Fumer le pangolin.

Si vous êtes là, c'est qu'une personne de goût vous a donné l'adresse de cet excellent récit...
Les aventures de Nono le confiné ont été écrites quotidiennement pendant le confinement.
Elles étaient destinées à assouvir la passion de l'auteur pour l'écriture, à lui faire relever le défi que constitue une chronique quotidienne, et à distraire un cercle d'amis, saturés de chatons joueurs et d'hymnes aux soignants dégoulinants de pétainisme.

Les aventures de Nono sont la petite dose de délire quotidien qui fait que chaque jour est différent des autres.
Il se trouve qu'au fil des récits un semblant de structure se fit jour… et qu'on frôla la série à douze épisodes par saison…

La mise en forme chronologique des ces épisodes en rendra la lecture plus agréable.
Alors puisque vous êtes là, profitez, délirez, souriez, et laissez vous porter par la légèreté…
Ou l'humour à gros godillots…
C'est la marque de fabrique : ne pas se cantonner à un genre.

Et souvenez-vous que toute ressemblance avec des situations ou des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

  
L'article 1 du décret du 23 mars 2020.


Nono promenait son VTT sur la grosse piste du Fournel, lorsque la voiture de gendarmerie arriva face à lui. Il se composa le bon sourire de l'innocent, mais à l'intérieur on pouvait entendre de gros jurons bien gras destinés à la fois aux bleus et au destin maléfique qui les avait mis sur son chemin.
- Bonjour Monsieur, gendarmerie nationale, montrez-nous votre attestation de déplacement dérogatoire... ...s'il vous plait.
Nono se dit qu'il pouvait le prendre au mot et lui dire que ça ne lui plaisait pas du tout, mais ça ne lui sembla pas être la meilleure idée de la journée…
Alors il élargit son sourire et fouilla sa poche arrière. Comme il avait un peu transpiré depuis trois heures qu'il pédalait, il sortit quatre morceaux baveux qu'il déposa artistiquement sur son avant bras. Ils collèrent immédiatement à la peau ruisselante, et le peu d'informations visibles qui s'y trouvaient encore disparurent en une grande tache noire et bleue. Nono tira encore un peu sur ses zygomatiques, mais le képi ne le remarqua même pas, occupé qu'il était à examiner ce qu'on ne pouvait déjà plus qualifier de document. Quand il releva le nez, il semblait clair que l'attestation ne lui avait pas donné entière satisfaction.
- On peut rien lire, reprocha-t-il sèchement.
Nono décida de la fermer et d'attendre…
- Vous avez une pièce d'identité, s'il vous plait ?
Okay, le gars aimait vraiment les trucs immondes : Nono sortit de sa poche une sorte de patte à vaisselle pliée en huit, qui pourrissant depuis dix jours dans sa veste. Le sourire un peu fané, il le tendit à l'amateur d'objets humides, en prenant l'air désolé du gars qui vient de se lâcher dans son pantalon.
Son nouvel ami regarda le truc d'un air dégoûté, sans le toucher, et embraya sèchement :
- Etes-vous dans un rayon de un kilomètre autour de chez vous ?
Nono prit le temps de réfléchir : soit le gars était prêt à croire qu'il habitait vraiment en plein bois, soit il fallait bien admettre que, même si le dernier kilomètre d'un marathon paraît toujours plus long que le premier, les deux font mille mètres, et pas plus… Et le Nono était bien à une vingtaine de kils de son domicile.
Donc les choses se compliquaient…
- Pas tout à fait, susurra Nono de l'air le plus modeste qu'il put.
- Z'habitez où ? insista le keuf en désignant les quatre pelures dégoulinantes toujours collées au bras de Nono.
- Sainte Maxime, flûta Nono comme on annonce à un condamné à mort que c'est pour aujourd'hui.
- On est à Roquebrune ici ! s'échauffa l'autre.
- Ah bon ? risqua Nono, le regrettant aussitôt en voyant le gars lorgner sur la grande carte GPS étalée sur l'écran 7 pouces ultra brillant et incassable du Garmin planté au milieu du guidon.
- Vous vous foutez de moi ! glapit le flic avec un sourire mauvais.
Le Nono décida de s'intéresser à ses chaussures pour éviter le regard du tueur.
Qui lui planta sa grosse main sous le nez et déplia le pouce tel César face aux gladiateurs.
- Premièrement vous êtes… commença-t-il… Mais son coéquipier l'interrompit.
 - Chef ! disait-il en plaçant sa main autour de son oreille et en levant un index interrogateur.
Dans une parfaite imitation le chef releva la tête, porta la main à son oreille et leva l'index.
Nono entendit distinctement le ronflement d'un quatre cylindres diesel martyrisé : le boucan se rapprochait à toute allure. Les flics s'avancèrent en direction de leur voiture qu'ils avaient laissée au milieu de la piste, puis ils accélérèrent gravement parce qu'il paraissait de plus en plus probable que le gros 4X4 qui fonçait vers eux allait sortir du virage en sucette complète et contrebraquage d'enfer, et ne pourrait éviter le pauvre Duster planté au milieu du circuit.
Nono balaya d'un coup le chiffon collé sur son bras, le roula en boule avec l'autre serpillère et bourra tout ça au fond de sa poche. Puis il laissa glisser mollement le vélo dans le sens de la descente et, le premier virage pris, se paya un Roquebrune / Sainte Maxime à 19 de moyenne, le cardio à 95%, ce qui, tous les vrais sportifs en conviendront, constitue une excellente séance d'entraînement pour qui rêve de déposer tout le monde à la prochaine course...


  

Délinquant !


Nono sait qu'il est vraiment un gros délinquant : il fait du VTT pendant le confinement.
Pendant que "les soignants sont au front".
Autrement dit, il court le risque d'engorger les hôpitaux et prend du bon temps pendant que nos héros se battent.
Mais je te déconseille d'aller chatouiller le Nono sur ce sujet, parce qu'il risque alors de verser encore plus dans la délinquance, genre atteinte à la vie d'autrui.
Il faut dire que le Nono, les soignants, il connait un peu, vu qu'il a exercé pendant vingt huit ans dans un hôpital en tant que chef de service.
Et qu'il a finalement lâché l'affaire il y trois ans, parfaitement écœuré par l'étranglement progressif et planifié du système de santé publique. Le Nono a fait des gardes quatre nuits d'affilé, il a fait des heures supplémentaires sans jamais les compter, il a jonglé avec les lits dans les couloirs, avec le matériel en panne depuis trois ans, avec le manque de perfs, avec le manque de draps. Il a imposé des arrêts de travail à des infirmières au bord du suicide,  il a donné des consultations à neuf heures du soir dans un sous-sol lugubre et dans un bureau juste assez grand pour loger trois balais, et il s'est fait engueuler dans un douzaine de langues différentes parce que ma femme doit être auscultée seulement par une femme, parce que ça va pas assez vite, parce qu'on est six à accompagner notre copain en coma éthylique et qu'on va tout péter si tu le fais pas passer avant les autres, et parce que allo quoi tu comprends pas qu'il faut me prescrire un stérilet là, aujourd'hui, dimanche, au service des urgences…
Parce que si tu le chatouilles sur ce sujet, il va te demander, le Nono, si par hasard, il y trois mois, tu n'avais pas ton gros cul posé dans ton gros fauteuil face à ta grosse télé en buvant tes grosses bières tout en le regardant défiler dans la rue à dénoncer la destruction du système de santé.
Et parce que ça l'étonne, le Nono, qu'on trouve aujourd'hui tous ces pouilleux de soignants si sympathiques et si dévoués alors qu'on leur avait claqué toutes les portes au nez quand ils avaient le culot d'aller demander quelques lits supplémentaires. Et il trouve aussi curieux, le Nono, qu'on balance aujourd'hui des milliards d'euros alors qu'on lui a expliqué en long en large et même en travers qu'il fallait toujours plus réduire les coûts parce qu'on n'avait plus de sous.
Et vraiment dispendieux aussi qu'on achète des masques 25 fois leur prix alors qu'on aurait pu juste les avoir dans un placard.
Et, surtout, le Nono supporte assez mal que certains pensent qu'on peut vraiment tout acheter et bourrent le mou à  "nos héros" en leur promettant des lendemains qui chantent à coup d'augmentation de salaires,  alors qu'ils demandent juste, les héros, qu'on leur donne les moyens de faire  correctement leur travail. Ce film il l'a déjà vu Nono : à la fin on plante une médaille sur les survivants, on pleure cinq minutes sur les morts, et on recommence les conneries…

Alors tu vois, le Nono il se la coule douce pendant le confinement et c'est un gros délinquant vu qu'il risque d'aller contaminer les lièvres.
Mais si tu le croises, sois prudent : n'essaie pas de lui faire la morale.




Adam !
  

Pour changer un peu, Nono va faire du footing. Il a sagement téléchargé l'appli lui indiquant son périmètre de liberté et a constaté qu'il pouvait aller jusque dans le petit bois, en faire le tour et revenir.  1852m la boucle, il part pour deux tours et puis on verra. Bon, un peu culpabilisé il a évité la tenue fluo flashy, et a opté pour le short tristounet, les baskets grises et le maillot marqué "Castorama "avec lequel il a lavé la ouature ce matin : depuis qu'il a vu à la télé tous ces salauds de joggers en train de propager zéro virus à personne autour d'eux, Nono se dit qu'il faut se la faire discrète. Ça commence mal lorsqu'il passe devant un type en train de bricoler son portail. Nono est un garçon poli et bien élevé, alors il dit bonjour au gars, qui le regarde avec un air hargneux, comme s'il avait vu à la télé le même reportage que lui sur ces salauds de joggers…
Il traverse ensuite son quartier, en se disant, un peu comme Fugain il y a… euh… ah oui… quand même… 1972 ça fait… pas loin de 50 ans… en se disant donc " merde que ma ville est belle sans ces putains de camions ". Et puis voilà le petit bois. Bon, il connait très bien puisque c'est toujours par là qu'il commence son jogging, c'est tranquille, c'est calme, c'est…
Ben, d'habitude c'est tranquille et c'est calme. Aujourd'hui beaucoup moins. Il faut croire que tous les confinés désireux de respirer un peu dans la verdure ont dû télécharger la même appli que Nono : des poussettes, des vélos, des chiens, et pas que des petits, bref, dix fois plus de monde que d'habitude. Nono c'est un optimiste, il se dit que là-bas il va tourner à droite et retrouver la tranquillité. Ben là-bas, que tu ailles à droite ou à gauche, c'est plein de confinés…
Bon, tu sais déjà que le Nono c'est un gros délinquant, alors il part tout droit et cinq minutes plus tard, sans même regarder l'appli sur son téléphone, il sait qu'il est entré dans le grand bandistisme : plus personne. Encore cinq minutes de gangstérisme et il se fait une petite pause. Et là, là !
Il entend les insectes, les feuilles qui bougent, la nature quoi. Pas de bruit de fond, pas d'avion, rien, que le bruit de la vraie vie. Le Nono, il lui vient une envie de pleurer : tout ce qu'on manque, d'habitude… Le boulevard pas très loin, là, derrière, oublié, silencieux. Le ciel, pur, silencieux. La forêt, vide, juste remplie des ses propres sons, ses insectes, ses feuilles, ses bestioles et même, si, écoute bien, un ruisseau. Tu as déjà entendu parler du Paradis ? Et bien le Nono, là, il entend le Paradis. Alors il marche silencieusement, et puis il se remet à courir, silencieusement, le Paradis défile autour de Nono, Nono qui s'enfonce toujours plus loin dans l'abjection, foulant au pied l'article 3 du décret du 23 mars 2020, Nono qui effleure le sol, qui pratique empiriquement la foulée médio-pied, qui pose son avant pied juste sous son genou pour ne pas taper le sol, qui amortit sans bruit, qui propulse le pied vers l'arrière pour avancer en l'air et qui s'aide des bras pour se faire encore plus léger. Sacré Nono, le voilà qui vole en rase motte, il a la banane en travers de la tronche, des insectes se collent sur ses dents, ses oreilles font 3m² chacune pour capter tout ce magnifique silence, Nono court au Paradis, il est totalement à poil, il est Adam, il va retrouver Eve, elle est heureusement allergique aux pommes et ils vont s'envoyer en l'air comme des fous pour peupler cette putain de planète si belle sans personne dessus.
Bon, c'est pas tout les gars, mais il y a un mort en travers du chemin. Le type est allongé à plat ventre, la tête et les bras dans les cistes, raide. Nono s'approche tout doucement, le type n'a pas un frémissement. Nono découvre alors l'appareil photo, la fleur de ciste, offerte, l'abeille qui se goinfre de pollen, les ailes dans la lumière, l'abdomen duveteux qui reflète le soleil.
Nono recule lentement. Sans bruit il s'éloigne, laissant le photographe à sa contemplation du paradis.




Briconono.

  
Après son voyage au Paradis, Nono est déchiré. Déchiré entre l'envie de profiter chaque jour de ce plaisir et la bonne grosse culpabilité du sportif en ces temps de crise. Elevé dans la foi catholique, Nono à toujours un diable sur l'épaule droite et un ange sur la gauche. A son âge, il a déjà fait la part des choses et connaît les délices des jeux interdits, mais le petit avec l'auréole est vraiment très insistant ce matin. Alors Nono décide de bricoler un peu, plutôt que d'aller se vautrer en vélo pour occuper un peu les pompiers et les toubibs.
S'il y un truc qu'il craint Nono, c'est grimper sur une échelle. Mais personne ne va venir changer l'ampoule du hall qu'un abruti d'architecte a planté à 6 m de haut pour "créer un beau volume de vie par la grâce une lumineuse mezzanine": si on faisait habiter les archis dans les piaules qu'ils dessinent, on aurait moins souvent envie de les tuer… Bon, Nono commence par arracher l'applique  du salon en manœuvrant avec l'échelle, puis il piétine évidemment un éclat de verre, traîne du sang dans toute la maison pour arriver devant la salle de bain et explose le miroir de la chambre parce qu'il a pas pensé à poser l'échelle avant de courir se soigner…
Sur son épaule droite, ça ricane… Dois-je préciser que Madame Nono a seulement levé les yeux au ciel en tordant la bouche ?
Une fois soigné, le Nono, qui fait partie de la race des guerriers, décide qu'il va te la changer cette saloperie d'ampoule, et que ce ne sont pas quelques dégâts collatéraux qui vont le faire caler.
Il plante l'échelle contre le mur et protège le sol avec le tapis de bain, qu'il glisse sous les pieds. Puis commence l'ascension de Nono qui, tel le Christ, gravit son Golgotha et arrive, oh joie, vers l'ampoule maudite. La garce est retenue par un clip métallique qui, bientôt décoincé par les doigts habiles de Nono, s'échappe évidemment. Nono se penche et envoie la main pour le rattraper,  l'échelle bouge, Nono, dans un ultime réflexe se cramponne à l'ampoule et commence la descente.
Oui, madame Nono aime bien que son intérieur brille, et le tapis de bain sur le plancher ciré, c'était pas la bonne option… Nous avons donc l'échelle qui laboure le mur sur lequel elle s'appuyait, nous avons Nono qui tire trois mètres de fil à la suite de l'ampoule, puis les pieds de l'échelle qui se bloquent contre le canapé, les pieds de Nono qui passent chacun d'un côté du barreau… Encore 78 cm - c'est la longueur de l'entrejambe de Nono mesuré il y a trois jours pour bien régler la selle du vélo - encore donc 78 cm et…
Ok, les gars lâchez votre  braguette, et vous les filles si ça vous fait rire, essayer d'imaginer l'état de l'objet…
Et plaignez la femme du bricoleur, qui va devoir utiliser un truc black et d'équerre…
Bon, tu sais ce qu'il a fait le Nono ? Il a réussit à rattraper l'échelle juste avant de s'écraser la nouille sur le barreau, il a décoincé l'engin, et il est allé directement au garage.
Puis il a prié l'auréole de son épaule gauche d'aller se faire voir, pris le VTT, et, confiné ou pas, est sorti faire de la délinquance dans la colline.
Et si tu penses qu'il prend un risque inconsidéré c'est que tu n'as jamais changé une ampoule…



Nono Rambo.


Nono et le sport, c'est une histoire d'amour, alors il a décidé que confiné et sportif c'était possible.
Du fond de son garage il a sorti un home-trainer récupéré un jour à côté de la poubelle, il a soufflé la poussière puis coincé son VTT là où il faut. Nono regarde ça d'un air attendri : on se croirait dans le garage d'un pro.
Quand il arrive vers madame Nono équipé de pied en cap et lui annonce qu'il va faire du vélo dans le garage, elle avance les lèvres, ouvre les yeux en grands et hoche lentement la tête…
De retour dans sa nouvelle salle de sport, Nono vire d'abord le chat qui s'était installé sur la selle, ouvre la porte du fond pour faire un agréable courant d'air, pose sur le guidon la séance qu'il a imprimée sur internet et enfourche le vélo. Un petit appui sur le compteur et voilà que défilent sa fréquence cardiaque, sa vitesse de rotation et le petit chronomètre parti pour une heure.
Le pneu arrière ronronne doucement, Nono voit battre son petit cœur sur l'écran, que du bonheur. Pendant deux minutes… parce que le chat est de retour et s'excite gravement en fixant le rouleau du home-trainer : le poil gonflé, il souffle méchamment, et tente de griffer le pauvre rouleau. Nono ralentit un peu, parce que s'il se prend la patte dans l'engin on risque d'avoir besoin rapidement d'un autre chat… Mais ça décuple l'ardeur du félin qui, voyant son adversaire ralentir, se dit qu'il va pouvoir se le faire plus facilement : il attaque maintenant des deux côtés… Nono doit stopper, attraper l'animal et l'envoyer jouer dans le jardin. Bon, on reprend.
Au premier bruit le tigre déboule, encore plus belliqueux, s'exciter sur le caoutchouc. Le temps de constater que le retour du chat lui a fait grimper le cœur de vingt pulses, Nono doit de nouveau s'interrompre, expédier le félin dans le jardin et se résigner à fermer la porte.
Nouveau départ : derrière ça ronfle, devant ça tourne rond, le petit cœur monte bien, 90 tours minute, que du bonheur. Pendant trois minutes : Nono a oublié le bidon : sur internet c'était bien marqué "boire beaucoup !"
Et effectivement, Nono a déjà la gorge en carton… Il arrive dans la cuisine avec son bidon et ses chaussures de vélo, fait le plein, et bute dans le chat qui venait aux nouvelles. En basket ça passait… avec les cales c'est plus délicat : Nono se rattrape de justesse contre le four, mais 250°, même pendant trois secondes, c'est chaud…
Madame Nono sort la pommade qui va bien, et on retourne au garage.
Le félin est sur la selle : il a profité de la porte ouverte… Nono ferme les yeux, expire lentement, se détend, prend délicatement la bête et la porte doucement dehors avant de fermer la porte sans la claquer… Et il se dit que ça, c'est déjà une performance…
Acte trois, tout va bien, Nono pédale depuis dix minutes, que du bonheur. Quelques gouttes de sueurs perlent un peu sur son front, tout va bien. Une goutte descend dans son œil, hé, ça brûle un peu, puis une autre dans l'autre œil. C'était marqué aussi sur internet : mettre un bandeau sur le front et prendre une serviette… Nono le héros tient deux minutes de plus mais la douleur devient intolérable. Il stoppe, descend encore du vélo, se dirige à tâtons vers la maison.
Aveugle, il longe le mur menant à l'entrée et se prend un gros taquet dans l'oreille : ça fait "paf" puis la douleur arrive et ça siffle dans toute sa tête : typique du râteau qu'il ne faut pas laisser traîner… Il arrive tant bien que mal dans le hall, cherche à tâtons les WC parce que là il y aura une serviette.
- Occupés ! dit madame Nono à l'intérieur.
Nono s'agrippe à la porte et patiente.
C'est sans doute sous le coup de l'émotion que madame Nono est sorti si brusquement de l'endroit : Nono s'est goinfré la porte pile dans l'autre oreille "paf" puis la douleur, puis ça siffle…
Et bien figure-toi qu'elle ne s'est même pas excusée !
- Nono, t'as dégouliné partout ! qu'elle lui dit !
Alors qu'il a maintenant deux choux-fleurs à la place des oreilles, qu'il est aveugle et que ça siffle partout dans sa  tête…
Négligeant l'adversité Nono a séché ses yeux, la flaque à ses pieds, et s'en est retourné à son sport, dans son garage.
Devine ! Oui ! Sur la selle il est ! Évacuation du félin, "la séquence a été tournée sans qu'aucune bête ne soit maltraitée", retour en selle, et Nono est prêt pour la seconde partie du programme, [6x (2x 30" Z3 / 30" récup active) + récup 1' entre les séries].
C'est parti ! Que du bonheur ! Pendant trois minutes.
Parce que même avec la serviette en permanence sur sa tronche, Nono dégouline vraiment trop. Pas question d'aller chercher un torchon à la cuisine, on a sa fierté quand même : Nono déniche un vieux chiffon graisseux qu'il se noue autour de la tête, ouvre la fenêtre, et repart au combat. Rambo quoi.
Ah que c'est bon de sentir son corps, que du bonheur ! Pendant deux minutes… parce qu'un coup de vent vient de faire s'envoler le programme, et Nono n'a pas vraiment mémorisé le coup des "6x (2x 30" Z3 / 30" récup active) + récup 1'entre les séries" : stopper, descendre du vélo, et recaler le papier pour qu'il ne  s'envole plus.
Acte quatre, Nono pédale regarde le papier, et constate que c'est devenu une serpillière avec la transpiration, complètement illisible. Il se remémore le début, pédale, se concentre pour retrouver la suite, mais le chat saute de la fenêtre en miaulant comme un damné et vient mordre le pneu !
Nono accélère dans l'espoir de lui arracher la tête mais l'autre est habile et survit, et ce sont finalement des coups à la porte du garage qui le sauvent. Nono quitte le vélo en soupirant, ouvre, et la factrice fait un bond de trois mètres en arrière face à Nono Rambo, dégoulinant, hagard et transpirant le coronavirus par tous ses pores dilatés.
Même pas la peine de signer, elle pose le colis et s'arrache en faisant couiner les pneus.
Nono soupire, met son casque et ses gants, et s'en va faire de la délinquance dans la colline. C'était ça ou le chat…



Petite Parenthèse Gymnique : PPG


Etre confiné laisse du temps pour faire autre chose : Nono est allé rôder sur internet… De révélations de complots en déclarations tonitruantes, il a parcouru toute la gamme des experts qui, du fond de leur garage ou de leur cuisine, postillonnent une science qui les extirpe quelques secondes de leur médiocrité congénitale. Ça lui a donné l'idée d'aller voir un peu ce que racontaient les voyants, médiums, astrologues et autres fumistes à l'aube de cette année 2020 si particulière…
Nono s'est alors demandé si s'être plantés à ce point allait enfin nous épargner leurs élucubrations ? Peu probable vu la propension de la moitié de l'humanité à se rendre intéressante en racontant n'importe quoi, et de l'autre moitié à s'exciter sur les niaiseries de la première…
Mais Nono a trouvé des programmes de PPG, et le sportif qui est en lui a tout de suite accroché. Parce que la PPG c'est le Graal du sportif confiné. Ça te permet de transpirer comme un phoque et de transformer ton corps gélatineux en viande de champion du monde. Tout en restant dans ta cuisine.
J'en vois, là-bas au fond, qui se disent que la PPG ça les brancherait bien aussi : la lucidité est le début du progrès…
Donc Nono s'est enregistré une vidéo de PPG sur le téléphone, il s'est bien motivé en se mirant à poil dans sa salle de bains, et s'est confiné au garage avec l'appareillage nécessaire. Suite à la session "home-trainer", un grillage protège les ouvertures pour contenir le félin félon ; un tapis, une bouteille d'eau, une serviette et un bandeau complètent la panoplie.
Top : un couple d'un autre monde est à l'écran, Ken et Barbie en vrai…
Ils marchent sur place en levant haut bras et jambes : Nono pareil.
Ils se mettent à boxer dans le vide tout en sautillant : Nono pareil.
Ils se jettent ensuite par terre et font la planche sur les coudes : Nono pareil.
Ils tiennent la position 45 secondes : Nono s'effondre à 5.
Ils font pareil sur un coude : Nono tremble et s'effondre à 3. Pareil de l'autre côté…
Nono à bloqué le programme. Hou… Réduisons un peu se dit-il, je fais la moitié… On repart.
Couché sur le dos, monter le buste 20 fois : 4 fois et l'estomac de Nono se déchire.
On monte les jambes et on touche les pieds 20 fois : 3 fois et les tripes se Nonos jaillissent hors de son ventre.
Bloqué le programme. Hou hou… réduisons encore un peu…
On repart. Couché sur le dos, les pieds sur une chaise, soulever le buste 20 fois… 5 fois et les cuisses de Nono laissent échapper toute leur viande…
- Ok, je divise tout par dix…
Et puis on arrive à la roulette : on se met à genoux une roulette entre les mains, on roule loin vers l'avant, puis on revient. Nono, de roulette, il en a pas mais le rouleau à pâtisserie fera l'affaire. Le rouleau… dans la cuisine… Un plan se profile…
Comme il dégouline de partout Nono enfile la tenue de jardin, plus les grosses chaussettes de ski, et entoure sa tête ruisselante avec la serviette : surtout pas une goutte sur le plancher ciré ! C'est ainsi qu'il entre le plus discrètement possible dans la maison, glisse sans bruit vers la cuisine, ouvre avec mille précautions le tiroir adéquat, se saisit du rouleau et accélère vers la sortie. Mais…
Mais Grominou le félon arrive aux nouvelles et lui coupe la route. Nono l'évite ! En baskets, ça l'aurait fait… mais les chaussettes sur le plancher ciré... Nono dérape en direction du gros ficus de l'entrée, le prend pleine face, s'agrippe aux branches. Le pot bascule, Nono pareil. Explose sur le plancher, Nono pareil. Il tente de s'extirper mais les branches sont coincées dans la serviette qui entoure son visage. Nono tire, arrache, saisit le pot et le ficus, ouvre la porte à la volée et gicle dehors.
Un hurlement, Nono écarte les branches d'une main : la factrice est là, elle beugle horriblement, Nono bafouille "le chat…", elle jette un paquet au sol et démarre sans fermer la portière, les pneus fument.
Nono, tétanisé entend le silence revenir, un frôlement à sa cheville : Grominou lui dit qu'il l'aime.
Nono lâche le pot, mais Grominou fait un pas de côté. Loupé…




Nono joue double Je.


Nono évite le bricolage, on a vu qu'il valait mieux, alors il décide d'aller courir. Mais cette fois, pour éviter la foule des confinés qui s'aèrent, il part en toute fin de journée, espérant ne pas à avoir à dépasser son périmètre autorisé pour être tranquille. Ça marche, il se fait son heure de jogging comme prévu, mais…
Mais à 500m de chez lui, voici qu'un brave toutou perdu le regarde, tout triste. Petit et blanc, un point noir devant et un point rose derrière sous la queue, il est de marque Westie et  il se trouve que Nono le  connait, il le voit derrière le portail chaque fois qu'il passe, juste là, au bout de la rue. Le clebs le reconnaît aussi et vient lui lécher la cheville, comme c'est mignon, Nono en est tout ému, il tape sur sa cuisse et s'adresse à la bête :
- Allez viens, je te ramène chez toi.
C'est ce qu'on fait tous dans ces cas là, non ? Et puis on avance en se disant qu'il va nous suivre…
Mais l'autre ne bouge pas, et le regarde avec l'air encore plus malheureux de se voir ainsi abandonné. Nono répète la manœuvre sans plus de succès, puis revient vers le clebs. La queue du Westie s'agite, il saute de joie et recommence à lécher Nono, trop mignon. Nono monologue des trucs que l'autre ne comprend visiblement pas, puis décide de porter la bête jusque chez elle. Il se soulève délicatement, le prend aux bras, l'autre est ravi et couvre Nono de léchouille, trop mignon.
Nono fait 50m et un doute lui vient : ce chien… ne se serait-il pas… roulé dans une charogne pourrie ? Il pue effectivement terriblement ! Trop tard, le tee-shirt de Nono est maculé d'une substance graisseuse terriblement malodorante,  ses mains aussi, et le salopard continue à le lécher amoureusement, trop mignon !
Pourri pour pourri, Nono transporte le puant jusqu'à sa maison : il est comme ça Nono, s'il commence une mission, il va jusqu'au bout.
Cependant, arrivé devant le portail, il y a un léger problème : le cabot habituel est déjà là… Nono le regarde, regarde le sien : pareils…
Alors Nono balance le sien par-dessus le portail et se taille en courant ?
Nan, pas Nono ! Nono aime les bête, on l'a vu… Et puis : la mission.
Alors Nono fait le truc le plus stupide et le plus inutile en cette période de confinement : il sonne chez tous les voisins…
Imagine : tu es confiné depuis 3 semaines, dès que tu sors on te regarde comme un pestiféré et toi-même changes de trottoir si quelqu'un arrive en face. Alors que tu es chez toi, le soir, à regarder des actualités parfaitement anxiogènes, on sonne. Tu mets ton masque, tes gants, tu enfermes ta femme et tes gosses dans les toilettes, tu prends la boîte de lingettes désinfectantes, tu t'en sers pour ouvrir les 5 verrous que tu as fait installer, tu entrouvres la porte en reculant vivement et là…
Là se tient Nono, un cabot totalement mort dans les bras vu l'odeur qui s'en échappe. Nono qui te demande si tu connais ce cadavre…
Douze portes claquées et une heure plus tard Nono est devant chez lui, couvert de bave tellement le clebs l'aime, et puant comme une hyène. Bon, il fait maintenant nuit et l'explication avec madame Nono est d'autant plus périlleuse que, vu l'heure, elle le croyait déjà mort au fond d'un fossé.
Une fois rassurée sur son état de santé, elle le pourrit copieusement,  puis s'intéresse malgré tout au cabot et, ô femmes, le trouve trop mignon et suggère à Nono d'aller le décaper au jet dans le jardin.
Bassine, shampoing, le clébard a visiblement l'habitude, il jubile, parfum, sèche cheveux, et voici que le vagabond fait son entrée dans la maison. Madame Nono est tout miel, lui file un bol de croquettes, un bol d'eau, lui raconte des trucs tout sucrés, on va garder la bête jusqu'à demain et on téléphonera aux vétérinaires du coin. Mais…
Mais voici que Grominou vient aux nouvelles… et… voit l'autre bouffer dans sa gamelle ! Ach ! Déklaration de kerre ! Son poil gonfle, il souffle horriblement et passe à l'attaque ! Banzaï ! Le chien le reçoit sur le dos, hurle terriblement et démarre en trombe pour échapper à la mort.
Canapé, table de salon, bibliothèque, tablette décorative avec collection de figurines en cristal, puis table de cuisine avec couverts verres et tout ce que tu peux imaginer vu qu'il est largement l'heure de souper, sont successivement visités par les fauves en furie.
Suite à un changement radical de direction du félin, le canapé lacéré laisse échapper sa mousse, les figurines font la gueule, les bouquins sont ravagés et la table est parfaitement débarrassée.
Les combattants enfilent ensuite le couloir à toc, et un drame se profile…
Le Westie envisage de prendre le virage à angle droit au bout du couloir, avionnant de toute la vitesse de ses courtes pattes. Le tueur le talonne. Mais ce chien, c'est pas son jour de chance… Deux événements totalement concomitants  viennent en effet contrarier son plan. Un, il est passé chez la toiletteuse ce matin et ses beaux ongles ont été radicalement rabotés ; deux, madame Nono aime les parquets bien cirés.
Il arrive donc à 50 à l'heure, amorce son virage, dérape et contre-braque en patinant spasmodiquement. Puis, à l'issue d'un violent tête à queue, vient s'encastrer dans la cloison. Derrière le tigre freine de toute la puissance des ses nombreuses griffes, des copeaux de plancher jaillissent de part et d'autre, madame Nono éclate en sanglots, et le tigre s'arrête le nez dans le fion de sa proie. La victime est face au mur, les quatre pattes à l'horizontale, totalement inerte. Un drame.
Le félin renifle la victime, et, rassuré, repart d'un air princier, queue dressée, voir si on a bien refait le niveau des croquettes, c'est qui le chef ici ?
Nono s'approche. La queue du chien remue tout doucement, puis il tente de se redresser. A la troisième tentative il tient sur ses pattes, se retourne lentement, voit Nono et vient se réfugier entre ses genoux. Émotion de Nono : légitime, car le clebs à la tronche de travers… Elle n'est plus dans l'alignement du corps, mais forme un angle de 30° assez peu esthétique.
Souvenons-nous que Nono est médecin. Il diagnostique immédiatement un déplacement C3 / C4 et, sans attendre, serre les genoux, coinçant ainsi la tête du patient, attrape ses pattes arrière, et tire d'un coup sec vers le haut. Craquement sinistre, couinement de la victime, hurlement de madame.
Nono repose l'animal, celui-ci tangue un peu, puis revient vers lui et lèche tendrement ses doigts en couinant de reconnaissance, trop mignon.
La crise est passée, mais Westie ne veut plus lâcher Nono et pleure maintenant abominablement  si on l'en sépare.
Nono va donc assumer la mission jusqu'à son terme.
On aura compris que le cabot est devenu persona non grata à la maison. On retrouve donc Nono dans le garage, couché sur son matelas de gymnastique, abrité sous une vieille couverture, le Westie lové dans ses bras, trop mignon.
Nono s'endort avec son nouvel amour. Puis il rêve qu'on l'appelle, se tourne, se réveille. Dehors, on l'appelle !
Un peu perturbé, Nono se lève, le canidé dans les bras. Dehors on l'appelle !
Il ouvre la porte du garage et découvre un couple en train de brailler son nom avec un accent tellement parisien que ça sent les gaz d'échappement. Soudain la femme le désigne et balbutie :
- Nono ! Nono !
Elle s'approche. Nono peut jurer sur l'honneur qu'il ne l'a jamais vue, elle approche encore, les yeux hallucinés, les bras tendus ! L'homme qui l'accompagne fait maintenant de même.
- Nono! Nono ! pleurnichent-ils  en tendant vers lui leurs petits bras.
C'en est gênant pense Nono…
Puis la femme lui arrache le clébard des bras et s'enfuie en continuant sa litanie :
- Nono Nono, mon Nono, on t'as sauvé du voleur de chien !
Le gars le traite sobrement de salaud et part rejoindre l'autre hystérique.
Nono murmure, "Merde, j'ai un nom de chien, j'ai un nom de chien !"
Puis il rentre à la maison, se couche auprès de Madame, qui vient aux nouvelles à moitié endormie. Il la rassure :
- On m'a pris pour un chien…
- Oui, bonne nuit Minou !
Faudrait savoir pense Nono…




Nono timbré pour la poste.


Nono ne peut rester sur un échec, c'est un guerrier. Le coup de la Préparation Physique Générale qui s'est terminée en Panique Générale l'a traumatisé. Donc Nono décide que cette séance de PPG il va la faire, coûte que coûte.
D'abord mettre les exercices sur papier pour ne pas devoir suivre la vidéo qui pédale beaucoup trop vite pour lui.
Ensuite adapter les répétitions à sa forme actuelle.
Enfin disposer de tout le matériel nécessaire.
Il faut de grands élastiques, des chambres à air feront l'affaire, et la roulette. Plus question de rouleau à pâtisserie, on joue maintenant chez les pros ! Nono le bricolo va se fabriquer une roulette de compétition à partir du tricycle qui traîne au fond du garage. Démonter, nettoyer, couper un peu ici ou là, facile.

Sans entrer dans des détails, on peut dire que l'opération roulette s'est bien déroulée puisque Nono en est sorti vivant, bien qu'il ait failli perdre un pouce en jouant de la disqueuse…
Lorsque tout est prêt, Nono contemple fièrement sa nouvelle salle de gym. Le tapis, le bidon pour la soif, la serviette et le bandeau pour se préserver de la sueur, les chambres à air solidement fixées à l'établi, et la superbe roulette de compétition : une petite roue traversée par un axe : oui dit comme ça c'est simpliste, mais il a quand même entouré l'axe de scotch noir pour faire des poignées…
La séance commence en douceur et tout va bien. Ses abdos n'explosent pas immédiatement, ses cuisses ne s'ouvrent pas en deux, ses fessiers le brûlent raisonnablement mais sans fumée, et ses pectoraux semblent déjà avoir doublé de volume, hé hé !
Puis on se sert des chambres à air. Il s'agit de tirer alternativement là-dessus à une cadence de dingue pour renforcer tous ces muscles qui dorment dans ses épaules de rêve.
Là, Nono se révèle ! Une bouffée d'adrénaline l'envahit, la testostérone se déverse à pleins bouillons dans sa tuyauterie, Nono savoure l'instant, accélère encore la cadence et ferme les yeux tellement c'est bon.
Erreur…
Si les élastiques sont bien fixés à l'établi, l'établi lui n'est fixé nulle part… Un peu moins excité, Nono aurait trouvé anormal que l'effort nécessaire diminue… Il aurait, par exemple, subodoré que l'établi était en train de basculer vers ses pieds… Mais l'adrénaline et la testostérone sont mauvaises conseillères. C'est comme ça que la séance "excitation" va se transformer en séance "coloration"…
Les deux ongles de ses deux gros orteils passent en effet d'un joli rose pastel à un noir violacé, tandis que Nono souffle comme une parturiente au bord de l'expulsion. La douleur est intense ! Il saisit la serviette, mord dedans comme dans les films, mais c'est vraiment du bidon, la douleur est toujours là ! Il verse de l'eau comme dans les films, mais sans résultat plus probant ; enfin il sautille sur place comme s'il était posé sur une plaque chauffante et, franchement, ça ne sert à rien non plus. Ça irradie dans les chevilles et jusque dans les genoux : Nono angoisse, parce que si ça monte encore… quand ça va se rejoindre…
Il lui faut cinq bonnes minutes pour récupérer et enfiler les chaussures de sécurité à bout métallique seules capables désormais d'assurer son relatif confort.
Nono, c'est the guerrier ! Il entrouvre la porte du garage pour avoir de l'air, et passe à la roulette ! Ouais, défense de mollir ! Il n'a quand même pas travaillé pendant une heure et risqué son pouce avec la disqueuse pour caler maintenant…
A genoux, tenir fermement les poignées, s'allonger vers l'avant, revenir. Gainage complet, étirement des muscles, renforcement du dos, Nono sent déjà son corps se transformer.
Ce nouvel effort déverse une bonne dose d'endorphine dans son sang, qui endort la douleur. Avant, arrière, avant arrière. Impatient de retrouver la bonne sensation qui l'avait précédemment envahi, il accélère la cadence et, imperceptiblement, commence à creuser les reins pour remonter. La bonne sensation va revenir, il le sent…
En fait, la sensation qui vient d'un coup c'est que son dos est soudain totalement bloqué, et que le moindre mouvement déclenche désormais de terribles douleurs…
Voici donc Nono, à genoux, les mains posées sur la roulette loin devant lui, bloqué dans son garage, incapable de bouger. Pas bien…
Il comprend que s'il ne tente rien, il va sécher sur place. Alors, un genou, puis un autre… Oui, en glissant doucement un genou après l'autre, il va pouvoir rejoindre la porte, sortir dans la cour et envisager d'aller hurler devant la porte pour que madame Nono le secoure.
Bon, tu as déjà deviné la suite…
Lorsqu'il a rampé jusqu'au milieu de la cour, la factrice arrive…
Elle découvre Nono faisant la brouette d'un air parfaitement concentré,  s'approche, pose le colis sur son dos, et lui fait un petit sourire avant de partir en secouant la tête…












Papinono.




Aujourd'hui Nono fait le taxi. Il a reçu hier soir un SOS : il doit récupérer à la gare son petit fils, que sa mère a mis ce matin au train, lui expliquant que c'était soit les grands-parents, soit la SPA. Il semblerait qu'après trois semaines de confinement, il y ait eu clash entre la maman et l'enfant…
L'enfant se présente à la sortie du train sous la forme d'une endive molle de 14 ans d'âge, poussée par une valise et trainé par un Iphone…
Comme en cette période on évite les embrassades, Nono le salue d'un joyeux et ironique "bonjour bel enfant !"…histoire de commencer sur une note fantaisiste… L'endive réussit l'exploit de lever un seul œil et une seule lèvre, et un "jourp'py" sort de sa cagoule : oui, il fait visiblement partie de la secte des encapuchonnés du matin au soir, comme un paf au salon de la syphilis…
Après avoir réussi à hisser, d'une seule main l'autre étant irrémédiablement collée au téléphone, sa valise dans le coffre, il s'effondre sur le siège, visiblement épuisé par cet effort. Durant le trajet Nono tente encore la fantaisie, mais il est évident que le bel enfant n'a pas été livré avec cette option… Patient, et avisé de la psychologie de cette si particulière période qu'est la préadolescence, Nono enterre ses vannes et tente d'entamer un dialogue.
Arrivé au terme du voyage, il sait désormais que le corona virus, le temps, son frère, sa sœur, sa mère, son père, le paysage, la bagnole, le voyage et les études, sont des sujets qui ne passionnent pas l'endive…
On lui présente ensuite sa grand-mère, sa chambre, sa salle de bain et même le chat sans susciter plus d'intérêt que si on lui causait de  la culture des horloges comtoises au paléolithique.
Madame Nono suggère que le voyage l'a fatigué…
On fait semblant d'y croire et on le laisse assis sur le lit en lui conseillant de se reposer.
A l'heure du repas, soit quand même quatre heures plus tard, Nono revient aux nouvelles et trouve le cagoulé exactement au même endroit et dans la même position. Il se contente d'un "on mange" minimaliste qui a pour effet de tirer un soupir au bel enfant, et Nono doit préciser "tu viens ?" pour qu'un nouveau soupir accompagne la levée du corps.
A table Madame Nono s'évertue à entretenir un ersatz de conversation, tandis que le môme mange comme un porc d'une main, navigue sur son écran de l'autre et profère quelques borborygmes censés attester de sa bonne réception…

Nono n'a fait ni vélo, ni course à pied aujourd'hui…
Autrement dit il n'a pas dépensé cette belle énergie qui déclenche des productions hormonales à la fois excitantes, mais aussi apaisantes.
Autrement dit il commence à chauffer gravement devant l'attitude du gniard. Autrement dit il va péter un plomb.
Alors il chope le téléphone, le balance dans le micro-onde et envoie la sauce pendant trente secondes ; il attrape ensuite le gnome, lui vide le contenu de l'assiette dans la bouche, ferme la cagoule et le transporte dans sa chambre en lui disant "à demain" ?
Nan, l'est pas comme ça Nono, il a lu des livres écrits par des pédagogues, et les pédagogues ne parlent jamais de micro-onde ou de cagoule…
Nono fait dans le subtil. J'en vois qui sourient, là-bas, au fond ?
Attends…
Nono commence doucement. Il regarde madame d'un air énamouré, lui prend les mains et susurre :
- Oh ! Ça va ma chérie ?
La chérie n'a pas trop l'habitude de ce genre d'effusion, mais joue le jeu.
- Oui, minaude-t-elle, en attendant la suite.
Le monstre en face d'eux bâfre toujours, pianote toujours, mais du fin fond de sa cagoule une oreille a perçu un léger changement, et ordonné à un œil d'aller aux nouvelles…
- Tu n'es pas trop fatiguée ? pleurniche Nono.
- Si, fatiguée, soupire madame.
Le deuxième œil du monstre vient se poser sur le couple, interrompant le pianotage.
Nono sourit d'un air béat et demande :
- Tu as pensé aux prénoms ?
Madame pince les lèvres, mais réussit à répondre.
- Michel ?
Le monstre a cessé de mastiquer, ses sourcils se froncent.
- Et pour la fille ?
- Marguerite ?
Le cerveau du monstre rassemble quelques neurones et les branche sur une synapse : a-t-il bien compris ?
Ses oreilles tentent de sortir de la cagoule pour attraper la suite.
- J'avais aussi pensé à Michel, mais pour la fille j'aimerais bien Josiane…
L'autre à viré la cagoule, ouvert la bouche, et dans sa tête des plans se font…
- Tu vois quand le gynéco, questionne Nono ?
Là, le gniard pose les mains sur la table et se penche en avant, la tête lui tourne un peu, il tente de capter quelques bruits ambiants pour vérifier que ses oreilles fonctionnent vraiment, et dans son cerveau des images se forment.
- Pour la visite du cinquième mois, soupire madame Nono.
La mâchoire de l'encagoulé tombe d'un coup, ses épaules aussi, dans sa tête c'est Sodome et Gomorrhe, des images affluent que la grosse main de la censure efface le plus vite possible.
- Ah ! geint madame Nono en portant les mains à son ventre.
Le monstre est figé, il est entré dans une autre dimension, à l'intérieur de sa tête c'est le combat, le chaos.
Nono se lève, prend sa femme par la taille et l'aide à se lever.
- Tu finis de manger, tu débarrasses, tu fais la vaisselle et tu ranges tout : Mamie et Papy doivent se reposer, balance Nono avec un pauvre sourire.
Le môme le dévisage, hagard, et, ne sachant pas encore s'il est triste ou dégoûté, acquiesce avec vigueur.
Nono et madame s'éloignent.
Un à zéro pour Nono !



Nono et le crétin digital.


Nono est songeur. Hier, en allant à la gare, il a parcouru des routes désertes et ensoleillées, et pensé qu'il serait bien agréable d'y faire du vélo en ce moment. Il s'est demandé si un cycliste en solo était vraiment un danger mortel pour ses contemporains…
Bon, le gniard s'est levé de méchante humeur : Nono lui a vraiment mis le vers, et il n'y a plus de réseau dans sa chambre. Il lui semblait pourtant avoir repéré un répéteur branché dans le couloir…
Et puis on l'a réveillé ! Lui qui avait son petit rythme bien calé, couché à trois heures et lever à midi, voilà qu'on l'a réveillé !
En plus le papy a commencé à fouiller sur le site Pronotes du collège pour savoir ce qu'il avait fait. Ou pas. Et s'est rendu compte que s'il y a eu clash, c'est sûrement à cause de ce délicat sujet : en fait le gosse n'a rien foutu !
Toujours à la pointe de la pédagogie, Nono a fouillé dans les bouquins et lui a balancé quelques exercices à faire ce matin. Et maintenant il fait tourner son stylo sur sa main, très très bien, lorgne sur son téléphone, mais reste sec devant toutes les questions.
A la fin de la matinée le bilan est clair. Ce gosse est en quatrième avec un niveau fin de sixième, voire CE2 pour ce qui est du français…
Nono est assez abasourdi : il ne connaît même pas les tables de multiplications, est infoutu de trouver un verbe dans une phrase, à fortiori de le conjuguer…
Ok, donc petits cours. Cette fois Nono est totalement abasourdi : l'asperge peut se concentrer cinq minutes grand maximum, et a la mémoire d'un poisson rouge. Mort…
Hou… pense Nono, joli cadeau…
Ses yeux sont incapables de fixer un seul point, seul un filet de voix émerge du cul de poule qui lui sert de bouche, et si ses doigts ne sont pas occupés il les fourre dans son nez. Il semblerait donc que le cerveau du sujet soit ravagé par l'usage intensif des écrans…
Et l'Education continue à investir dans ces technologies…
Il est pourtant prouvé que le nombre d'heures passées devant des écrans est inversement proportionnel aux notes obtenues.
Nono pense qu'à l'issue du confinement les cerveaux ravagés seront encore plus nombreux, mais espère que les parents qui se seront cogné leur crétin obsessionnel 24/24 et 7/7, auront une vision différente du métier de prof…
Sans se faire trop d'illusion sur la durée de la réflexion…
Car il semble bien que le niveau d'enseignement n'ait plus aucune importance.
Qu'on va se passer de prof et installer un animateur, sous-payé, qui pourra s'occuper de centaines  d'élèves avec son seul ordinateur
Parce que les emplois de demain seront peu qualifiés et qu'il ne faudra pas pour ces emplois des gens trop éduqués.
Parce qu'un étudiant coûte moins cher qu'un chômeur, et est socialement beaucoup plus acceptable.
Et parce que plus on garde les étudiants à l'université, plus on économisera sur les retraites…
Voilà peut être pourquoi on nous enfume avec les bienfaits du digital…
Et puis Nono se dit qu'il ne va pas se laisser péter le moral par une génération d'endives et, pragmatique il imprime les tables de multiplication, sort le bouquin de conjugaison qui va bien, colle tout ça dans les bras du bel enfant, et lui tend la main.
L'autre la contemple d'un air morne, puis regarde Nono.
Nono ferme l'autre main, puis tend le pouce, le petit doigt, et la porte à son oreille. Au moins il comprend le langage des sourds muets : il dépose son téléphone dans la main tendue et s'arrache.
Au repas il a viré la cagoule, les oreilles à l'affût de la moindre info concernant la grossesse de la grand-mère… Nono et madame la joue sobre mais mystérieuse… A la fin Mamy va couver, Nono fait la vaisselle pendant que le môme débarrasse.
Reprise des activités l'après-midi. Dur : Nono doit renoncer à sa sieste…
Bon rythme : une demi heure de révision, un quart d'heure de questions et on enchaîne.
Donc aujourd'hui pas de sport pour Nono, mais il a les mains toutes musclées à force de planter les ongles dans la table pour ne pas baffer le crétin digital…
Huit heures du soir : Nono et le gosse sont côte à côte sur le canapé, à moitié vitrifiés.
Match nul.



Nono dealer.


Madame Nono a déclaré qu'il y avait quand même de bonnes choses sur les réseaux sociaux. Alors Nono s'y est aventuré.
C'est vrai que le confinement descend le moral dans les chaussettes, mais visiblement l'intelligence l'accompagne en bas…
Il semblerait qu'en ces temps de morosité le moindre sourire arraché mérite d'être diffusé à toute l'humanité qui souffre. C'est ainsi que des vidéos totalement indigentes, copies éhontées d'originaux qui avaient le seul mais éphémère mérite d'exister avant elles, arrivent par tous les tuyaux sociaux, suivies de commentaires imagés et dithyrambiques. Alors qu'en temps normal même la moins nulle de ces niaiseries n'aurait pas franchi la barrière de la plus élémentaire réflexion…
Il semblerait également que la mièvrerie la plus sirupeuse fasse office de message d'amour à expédier d'urgence aux populations sinistrées.
Les chatons joueurs, les chiens acrobates, les perroquets danseurs, et, last but not least, le jour de Pâques, des poussins, des lapins, des nounours, des lapins tenant des œufs, des poussins dans les bras des lapins, des nounours portant des œufs pleins de poussins à des lapins qui eux-mêmes sonnent des cloches en chocolat… c'est no limit dans le kitch, le cliché au forceps : rien n'est assez niais ni assez éculé pour abreuver le monde de la cucuterie la plus crasse.

Et, comme d'habitude, dans l'entourage de la bonté universelle rôde la religion. C'est ainsi qu'on a vu circuler un discours attribué au pape, relayé par des gens ordinairement sains d'esprit…
Ce discours était évidemment bidon, mais tellement dégoulinant de bons sentiments poisseux que Nono s'est demandé si, plutôt que de faire circuler cette gélatine rose et sucrée transpirant l'amour de son prochain, on n'aurait pas mieux fait de contacter d'urgence ceux qu'on aime pour le leur dire carrément…

Nono a aussi repéré un discours de Macron lui paraissant suspect.
Il faut dire que l'imitation était assez grossière, puisque ça commençait par " Travailleuses, travailleurs"…
Puis il en a déniché d'autres :
Poutine commençant par "Amis européens…"
Bachar El Assad : "Mes chers compatriotes…"
Le seul crédible était Trump, "Fuck la planète" étant un élément de langage assez constitutif de l'animal.

Après ce voyage au bout de la mièvrerie et de la fourberie, Nono s'est recentré sur sa mission : sortir le morveux de l'esclavage digital et, accessoirement, faire entrer dans sa tête quelque connaissance, après en avoir extirpé le kilo de fromage blanc fermenté qui la remplit actuellement.
Agissant toujours sous l'étiquette pédagogique, il s'est dit prêt à autoriser l'usage du téléphone pendant une heure à condition que le sujet fasse preuve de bonne volonté. L'intoxiqué à hoché la tête très vite et très très fort, comme tout drogué prêt à la prostitution pour avoir sa dose.
Fort de cette promesse et de cet espoir, il a atteint dans la journée les objectifs fixés, et même réussi à manger quasi humainement.
A 18h Nono est allé courir, histoire d'évacuer la tension nerveuse et de décrisper ses poings…
De retour à 19h il a la surprise de trouver le forçat de l'instruction l'accueillant devant la porte de la maison : trop mignon !
Le gosse trépigne tellement il est content de voir son papy ! Trop mignon ! Nono dégouline comme une jeune mariée le soir de ses noces, mais le môme semble prêt à lui sauter au cou, trop mignon !
- Ça va bel enfant ? tente Nono face à l'humain qui perce sous la peau de l'adolescent.
- Papy, papy, bafouille l'autre.
- Oui mon ange, exagère Nono…
Se croyant ainsi enfin autorisé à exprimer le fond de sa pensée, le salopard se lâche enfin :
- Je peux faire mon heure de téléphone ???!!!!
Baf !! Prends ça dans ta tronche Nono !!
Et puis, finalement, tu ne récoltes que ce que mérite le dealer que tu es devenu…




Le théorème de Nono.


Théorème de Nono :
Tout individu visiblement abruti plongé dans un monde sans téléphone reçoit une poussée de bas en haut sur l'échelle de l'intelligence.
Vu, testé et prouvé.
L'endive molle récupérée depuis trois jours se transforme doucement en un individu, certes adolescent, mais se rapprochant de l'homo sapiens.
Il en possède désormais moult caractéristiques : il a retrouvé un mode locomoteur de rythme normal, son cerveau semble être sorti du coma digital, il est capable d'utiliser un langage, d'avoir des relations sociales, et son système cognitif paraît avoir retrouvé quelque aptitude à l'abstraction et  à l'introspection.
Pour la spiritualité on attend encore les résultats des tests…
Bon, il n'est pas encore capable de naviguer seul dans le logiciel Pronote mis au point par l'Education Nationale, mais cela semble être aussi le cas de bon nombre de profs qui balancent cours et exercices au petit bonheur des rubriques…
Donc la matinée commence par la plongée de Nono, accompagné de son fidèle compagnon, dans le monde merveilleux des informaticiens de l'Education Nationale, lieu de tous les dangers, de tous les pièges, dans lequel les gouffres de la nullité risquent de vous engloutir, tandis que vous chassez l'énigme ; risquant à tout instant d'être attaqué par la horde des sous-rubriques. L'ultime niveau consistant à entrer dans le monde de la "communication", dans lequel sont planqués, et pas qu'un peu, de nombreux indices cruciaux que certains profs, par la grâce de leur pseudo, ont envoyée se perdre aux confins de cette rubrique. Les pseudos sont infinis, mais on peut citer "Bouchétotaleninformatique", "Lesdoigtstropgrospouruneseuletouche", "Jaipassélanuitenboite",  "Laretraitedanstroismois", "Confinéauwisky" ou "Totaledéprime".
Le pire était "Limitesuicide", mais il y longtemps qu'on ne l'a pas vu sur le forum…
Après cette éprouvante chasse aux infos, Nono doit faire la traduction. Oui, parce que l'Education Nationale a son propre langage. Ton rejeton lorsqu'il entre dans ce monde merveilleux devient un élève. Et le banal stylo que tu as amoureusement mis dans sa trousse devient un outil scripteur. Le cahier moche qui te fait honte se transforme en support graphique. Et même le moindre ballon devient un référent bondissant. Alors s'il veut causer avec les mots qu'il a appris lors de ses études, Nono ne peut pas : il doit actualiser son vocabulaire.
Pendant ce temps l'autre abruti poireaute à côté, avec un petit sourire en coin et coule lentement sur sa chaise. Ce qui n'aide pas Nono à la concentration…
Mais une fois ces travaux fini, l'esprit de synthèse de Nono pond en quelques minutes de quoi faire exploser la tête du coulant.
Confiné dans un endroit neutre, sans téléphone, et avec des objectifs précis, le petit malin n'a d'autre solution que de bosser.
Ce qui lui permet parfois d'être félicité et d'en tirer une certaine satisfaction : Nono il est trop fort en pédagogie !




Nono mène l'enquête.


Nono est trop fort en pédagogie, mais en patience il a un déficit congénital, l'obligeant à s'aérer les neurones en faisant de la délinquance en VTT.
Pour ne pas enfouir l'endive dans le congélateur…
C'est comme ça qu'il s'est retrouvé hors de son périmètre légal, et qu'il est tombé sur deux autres mauvais citoyens.

- Bonjour bande de délinquants, lance Nono le blagueur.
Les gars sourient finement, et l'un d'eux questionne :
- Tu viens d'où ?
Nono reste assez évasif…
- Tu vas où ?
Tututut se dit Nono, ne seraient-ce pas là le début d'un interrogatoire ?
- Tu connais bien le coin ?
Là, Nono peut répondre que oui, ça ne mange pas de pain…
- Tu pourrais nous guider, parce que nous, on connaît pas…
Tututut se dit Nono soupçonneux : nous sommes en plein confinement, ces gars font du VTT sans connaître le coin ! Donc ils sont d'ailleurs conclut l'inspecteur Nono.
Il les regarde d'un air accusateur et constate qu'ils ressemblent à Titi et Grominet… Un petit chauve, l'autre est grand avec les dents qui dépassent…
Nous voici donc face à de grands bandits : non seulement ils ne confinent pas, mais ils ont enfreint les directives gouvernementales et sont venus en villégiature au soleil plutôt que de rester cloîtrés dans leurs cages à lapins!
- Vous êtes d'où ? questionne le divisionnaire Nono.
- On vient des Charentes… fait Grominet.
Nono réprime un haut le cœur ! Des terroristes, ce sont des terroristes ! Ils ont traversé la France entière pour venir délinquer ici ! Des fous ! Des radicalisés du VTT !
Le colonel Nono continue son enquête :
- Vous êtres venus comment ? glisse-t-il, mi angoissé mi-admiratif.
- En car, fait Titi d'un air d'évidence.
- En car !!!??? s'étrangle Nono.
- Ben ouais, fait l'autre, on était trois cars…
- Trois cars… soupire Nono.
Glouc ! C'est vraiment la guerre ! Il y a un réseau de terroristes qui fait passer la ligne de démarcation du périmètre de confinement !
Devant la mine de Nono, l'un des truands cherche à le rassurer :
- On est venu bosser ici. 
Tututut pense Nono ! Avec le confinement tout le monde reste les mains dans les poches et le cul sur son canapé et ces gars veulent me faire croire qu'on a besoin d'eux ici… De plus en plus louche…
Devant l'air soupçonneux de Nono, il ajoute :
- En renfort…
En renfort ! Les terroristes préparent une action de grande envergure, nécessitant des renforts !!
Nono se sent une petite faiblesse au niveau des genoux… Des images se forment dans  son cerveau perturbé par l'énormité de la chose : il voit trois cars bourré de terroristes traverser la France, suivit de remorques pleines de VTT. En plein confinement !
Alors qu'on en a encore pour un mois à se taper les courses à haut risque, le journaliste insupportable avec une écharpe rouge qui aligne âneries sur âneries puis se fait ramasser par un vrai médecin puis continue à pérorer d'autre âneries le menton levé tellement il est fier et les yeux mi-clos tellement il savoure de s'écouter parler, les gros porcs en joggings qui font soi-disant du sport et vont juste continuer leur petit trafic de dope, les ausweis à présenter à la kommandantur pour avoir le droit d'aller pisser au fond du jardin, et les petites mesures provisoires de déconfinement qui vont nous tomber sur le museau prétendument pour un mois et vont nous raboter la belle liberté inscrite au fronton de nos mairie pour des siècles et des siècles amen !
Et pendant ce temps les terroristes traversent la France impunément :  trois cars suivis de leurs vélos !
Titi reprend, les yeux écarquillés d'espoir.
- En fait, on a un jour de repos par semaine, alors on aimerait bien que quelqu'un nous guide pour le VTT.
Ça y est, ils demandent à Nono d'entrer dans leur réseau… Classique en temps de guerre…
- Et les vélos, poursuit l'enquêteur Nono, vous êtes venus avec vos vélos !
- Nan, des collègues nous les ont prêtés…
Voilà pense Nono, c'est la gang des vélos, c'est à ça qu'on les reconnait : tous les types en vélo sont de dangereux terroristes. Et leurs collègues, qu'est-ce qu'ils font leurs collègues ?
- Mais vous bossez dans quoi ? craque Nono.
- Bah, on est des gendarmes… font les duettistes, avec, quand même, un petit air contrit…




Nono a ses vapeurs.


Nono a décidé d'aérer l'endive, qu'elle prenne un peu des couleurs.
Rien de tel que de menus travaux pour s'occuper l'esprit et les mains, travail famille patrie : en ces temps de patriotisme guerrier le retour aux valeurs traditionnelles permettra à nos jeunes d'acquérir les valeurs qui seront le socle de la nouvelle société qu'ils vont nous bâtir, fort de nos enseignements et instruits de nos erreurs. A la tienne.
Bombe le torse petit, et si ça sent le pétainisme c'est parce que le maréchal Pétain agit tandis que la maréchale Pétain coud…
Oui, Nono est aujourd'hui pouêt…
Nono observe donc le futur dirigeant et se dit qu'il y a quand même du boulot : il a les mains au fond des poches, ce qui signifie qu'elles touchent ses chevilles vu que son pantalon commence juste en dessous de son derrière… Il a l’air inspiré de la moule arrachée de son rocher, l'œil torve, la lèvre pendante et l'assurance du condamné à mort qu'on a extrait de sa cellule à quatre heures du matin.
- Il y a la grille à repeindre, on va travailler un peu.
Au mot "travailler" le condamné s'est affaissé de dix centimètres. Sans doute tente-t-il de se remémorer ce qu'il a fait avec ses dix doigts pendant ces quatorze dernières année…
- La grille est rouillée, on va la nettoyer et la repeindre. On va chercher les outils.
Au mot "outil" l'ado a un haut de cœur, mais le pire l'attend encore… Déjà qu'il a appris seulement ce matin ce qu'était une bêche, et encore juste en apprenant les verbes anglais, le mot "outil" ouvre devant lui une galaxie inconnue.
Voilà qu'ils entrent  dans  l'antre de Nono, l'atelier. Il regarde éperdument autour de lui et ne voit que des "truc qui sert à" ou des "machin pour…", tous avec des formes bizarres, des couleurs bizarres, des fils qui dépassent, des dents agressives… Il fait un petit bilan et se résout à constater qu'il a repéré un tournevis, un marteau et une perceuse, mais que le reste lui est totalement inconnu.
Quant à l'utilité de ces engins, c'est un peu comme savoir comment un frigo dans lequel il puise sans arrêt se trouve toujours approvisionné, ou comment le slip sale qu'il balance sous son lit se retrouve miraculeusement propre et plié dans son armoire…
Nono le finit en sortant des gants, du papier de verre, une brosse métallique et une bouteille d'acétone.
Celui qui a déjà peint une grille connait la traîtrise de cet objet : il fait croire qu'il n'a pas de surface, alors qu'il est en quatre dimensions. Pour résumer, c'est le genre de boulot que tu penses boucler en une petite heure, et tu te retrouves en fin de journée à en avoir fait seulement la moitié.
Nono fait une brillante et rapide démonstration à la brosse métallique, la fourre dans les mains du gnome et attend la suite.
Le bel enfant commence à un rythme qui lui convient : gratte, ouf pendant cinq secondes, gratte, etc… Va falloir prolonger le confinement les gars…
Nono reprend la brosse, frotte comme un cinglé pendant dix secondes et tend l'outil à l'apprenti, dont les yeux se sont mis en mode "jeu vidéo", c'est-à-dire tourbillonnent dans tous les sens pour saisir le sens du mouvement… Devant ce piteux résultat, Nono refait une session, au ralenti cette fois.
- Vu ?
Le môme prend la brosse, et attention, là, ça va aller très vite :
- frotfrotfrofrot frotfrotfrofrot frotfrotfrofrot glisse ripe passe la main à travers, le bras aussi et vient s'aplatir le museau contre la grille bong.
- youille ouille ! couine le maladroit.
Mais on sent chez lui ce sursaut patriotique évoqué plus haut, il recommence de plus belle avec une belle vigueur… et se reprend la même avec une belle vigueur aussi.
- 'tain ! grince-t-il, ce que Nono feint de ne pas avoir entendu, comprenant toute la fervente détermination exprimée par ce juron.
Nouvelle attaque, mieux ciblée et maîtrisée, trente seconde avant de se prendre le troisième pain.
Décryptons : ceci s'appelle le phénomène d'apprentissage, avec son côté un peu darwinien : soit tu progresses et tu survis, soit tu disparais de la liste des espèces.
Ce gosse a un mérite, il est têtu et pourvu d'un minimum d'orgueil.  Nono laisse donc faire la nature en surveillant d'un œil que l'espèce évite l'extinction, et il constate, un peu rassuré, que la machine se lance.
- Si tu ne veux pas te reprendre un pain, éloigne un peu ta tête de la grille…
Il explique ensuite comment affiner les choses au papier de verre, et terminer en nettoyant à l'acétone. Gros progrès de l'arpète.
Mais Nono détecte encore une fois une grosse tendance à approcher son museau trop près de ses doigts…
- Dis donc, regarde un peu la voiture là…
- Laquelle ? fait le môme, ce qui augure mal de la suite vu qu'il n'y en a qu'une…
- La voiture là, devant nous : tu peux lire la plaque ?
- Beuhhhh, non….
- Approche-toi, tu lis maintenant ?
- Beuuuuuuhhh… non plus…
Okay : c'est une taupe…
Voilà, ce môme a 14 ans, il est aussi myope qu'un expert en économie, et personne ne s'en est encore rendu compte…
Comme la période est peu propice aux consultations ophtalmologiques il est inutile de se lamenter, passons à la suite se dit Nono.
On verra bientôt que cette décision ne restera pas sans conséquence…
- Évite quand même de mettre ton nez sur tes doigts…
Nono laisse donc la nouvelle France face à son destin laborieux et va faire un peu de rangement dans son garage, là, juste à côté.

Vingt minutes plus tard, c'est, bien sûr, la factrice qui vient lui faire part de sa totale réprobation, d'un "hem hem" accusateur et impérieux.
Nono sort de son antre à sa suite.
L'endive est vautrée contre la grille, le visage plaqué contre le métal. Il profère des sons totalement inaudibles, ses yeux sont révulsés et un sourire béat est plaqué sur sa face blafarde.
Par terre gît la bouteille d'acétone, vide, et dans la main de l'arpète le chiffon avec lequel il a si bien frotté qu'il l'a entièrement sniffée…



Ça chauffe pour Nono.


Donc Nono a rendez-vous avec deux gendarmes! Suivez un peu quoi !
Pour faire du Vtt.
Pendant le confinement…
La dernière fois les gars ont été conquis par la beauté du coin, et aujourd'hui Nono va les émerveiller. Il est comme ça Nono, il aime faire plaisir.
Il leur a donc concocté l'un des ses plus beaux circuits, avec les petits singles qui vont bien, les descentes de la mort qui tue, et les montées dévoreuses de cuisses : il les a vu à l'œuvre la dernière fois, Titi et Grominet sont de vrais sportifs.
En approchant du rendez-vous, Nono a cependant un doute…
Et si c'était un piège ?
Se fier à des gendarmes, oui, mais à des gendarmes qui délinquantent en Vtt…
Cette nuit l'idée l'a effleuré… Il est comme ça Nono, méfiant.
Il approche donc du lieu de rendez-vous avec la circonspection et la méfiance du sioux qui sommeille en lui, sans bruit, sous le vent, et par le petit sentier qui domine le point…
Les gars sont déjà là. Nono surveille les alentours à la recherche d'un indice, puis se reprend.
- Tu t'imagines pas trouver trois cars bleus garés à cent mètres quand même…
Foin de tergiversation, Nono s'annonce.
- Ah salut, on t'a pas entendu arriver dis donc…
Nono le sioux en est très fier…
Pas d'embrassade ni de serrage de main, distance réglementaire à conserver, c'est dur d'avoir des potes en ce moment…
Il n'y a que le vieux qui habite dans son quartier, celui qui a la sale habitude de te postillonner sous le nez quand il parle, qui continue comme si de rien était, à te choper par le bras pour t'empêcher de fuir et te balancer son haleine de cimetière sous le nez. Nono le soupçonne de vouloir attraper le virus…
- Où c'est qu'on va, demande Grominet.
Question débile pense Nono, puisqu'ils ne connaissent pas le quartier… Il répond donc en tendant le bras d'un air évasif :
- Par là.
Le gars réfléchit mais semble un peu contrarié.
- C'est bien ?
- C'est le mieux ! tranche Nono.

Une fois en route Nono gamberge encore un peu, puis beauté du circuit et plaisir le détendent, et les trois bandits arpentent des kilomètres de désert végétal en croisant des chevreuils, des faisans et des lièvres, mais rien d'humain à contaminer.
Arrivés sur une grosse piste, voilà les deux lascars qui commencent à bourriner fort, et Nono doit forcer sévèrement  pour les suivre, les rattraper, et enfin les doubler avant de prendre le petit sentier, là à gauche, que ces lourdauds  ont failli manquer !
Il s'abstient de commentaire mais, lorsqu'ils empruntent de nouveau une grosse piste, les voilà encore partis comme des fondus !
Tout en explosant son cardio pour les reprendre, Nono est pris d'un doute… On dirait que les gars sont plutôt pressés de dégager des grandes pistes et rassurés lorsqu'on entre de nouveau à couvert…
Et là, Nono le sioux subodore les emmerdes qui arrivent, comme s'il avait l'oreille collée au rail juste trois mètres devant la locomotive…
Et effectivement…
On arrive vers la fin et il faut enquiller une belle piste pendant deux kilomètres pour se perdre à nouveau dans le maquis et finir la boucle.
Nono, qui a anticipé la galopade, leur a donné une indication précise, permettant de trouver à coup sûr le single qui part à gauche. Et, comme prévu, à peine posé leurs pneus sur la piste les deux bourres avionnent comme des cinglés !
Nono se contente de les suivre à distance…
Il les a déjà perdus de vue lorsque les voilà qui reviennent face à lui, lancés à 40, les yeux exorbités, la langue dans les rayons, tortillant leurs derrières comme des danseuses du ventre.
Ils foncent sur lui !
Pour les éviter, Nono se jette à droite, quitte de la piste, traverse un gros bouquet de cistes et finit planté dans un arbousier. Chute au ralenti, pas de mal.
Mais sur la piste, ça chauffe grave…



Dorures, gants blancs et silicone.


Oui. Sur la piste ça chauffe grave…
Nono, confiné dans son buisson, observe la scène d'un œil incrédule.
Les malfaiteurs sont poursuivis par un pick-up bleu marqué "Gendarmerie", tandis qu'en face un Duster de la même maison leur barre la piste. Les deux gars comprennent vite que c'est foutu et, petits joueurs, ne tentent même pas un appel/extension pour sauter par-dessus la bagnole…
Ils se rendent lâchement.
Et là, là : du grandiose.
Les portières s'ouvrent et lâchent la volaille en gilets pare-balles qui vient cerner les nouveaux amis de Nono. Puis, par la portière obséquieusement  tenue par un sous fifre, voici qu'apparaît, reconnaissable à sa belle casquette dorée posée sur son fier crâne de représentant de l'état, monsieur le Préfet, tout bien habillé et même avec les gants blancs s'il vous plaît.
Immédiatement suivi d'un gueux du type journaliste muni d'une caméra, et d'une nana, de type journaliste également, munie d'assez de silicone pour fabriquer un trampoline à quatre places.
Nono la reconnaît, elle est la vedette de la feuille de chou locale, capable de faire la une et trois pages sur n'importe quel sujet en utilisant la désormais célèbre méthode dite du "N'importe quoi pourvu que ça mousse".
Tu connais pas la méthode ?
"Les piscines bientôt remboursées par la sécurité sociale ?"
Par exemple…
Tu peux mettre n'importe quelle niaiserie entre les guillemets, genre " Ma belle sœur nymphomane" ou "Un slip en latex à la Mairie"… du moment que tu n'oublies pas le point d'interrogation, ça glisse tout seul.
L'important c'est le point d'interrogation : par la magie du doute qu'il exprime, il t'exonère automatiquement de tout sérieux, de toute étude, de toute connaissance du sujet et, surtout, de toute poursuite éventuelle…
Le point d'interrogation qui va pourtant se transformer  pour la quasi majorité des lecteurs en point d'exclamation.
Autrement dit la question va se transformer en affirmation.
Autrement dit on prend le lecteur pour un gland, afin de lui vendre du papier imprimé.
Autrement dit, vu qu'il l'achète, c'est effectivement un gland…
Ne me dis pas que tu n'as pas encore remarqué ?
Ah… tu as acheté le canard... juste à cause de çà…
C'est pourtant ce que la fumeuse race des experts en n'importe quoi qualifie de "tendance forte" !
Tu vois, "tendance forte", le genre de formule que Mimile adorera répéter en boucle au bistrot pour impressionner ses potes.
"Tendance forte", le prêt à penser que Jean Edouard Michel tartinera lors du prochain conseil d'administration en présentant les jolies courbes de son power point.
Sois un peu attentif quoi…
- Lulu a piqué dans la caisse ?"
- Le 11 mai, fin du confinement ?
- Le virus n'existe pas ?
- Macron : un crypto-communiste ?
Tu vois, c'est trop facile : tu racontes n'importe quoi et tu mets un point d'interrogation à la fin, laissant le bon peuple faire le boulot.
Parce que le bon peuple a de l'imagination, surtout, tu remarqueras, pour le pire : c'est même dans le pire qu'il est le meilleur !
Imagine mémère qui promène son bichon. L'animal vide ses intestins tout au long de la promenade, trottoirs, pelouses, paillassons, rien n'échappe à ses vidanges. Puis mémère, au retour, écrase de son escarpin siglé Louboutin un des déchets ci-dessus décrits. A même moment, devant ses yeux, une affiche " Un slip en latex à la Mairie ?"
Franchement, un maire qui laisse ses trottoirs aussi sales, si en plus il porte des slips en latex et qu'il les laisse traîner, tu vas quand même pas te gêner pour le dézinguer auprès de tes copines… Et imaginer la suite si ça ne suffit pas…
Voilà, le bon peuple, c'est çà…

Bon, revenons à nos volailles…
Monsieur le Représentant de l'Etat suivi des Représentants de la Presse s'approche, l'air condescendant, du gibier, fraîchement capturé.
Nono voit que ça discute ferme. Et lorsque les gants blancs montent en l'air et s'agitent frénétiquement, il comprend que Titi et Grominet viennent de décliner leur pédigrée de flic !
L'encasquetté s'agite et brasse de l'air, tandis que les gilets pare balle se tournent pour ne pas éclater de rire devant Sa Majesté.
On charge ensuite les vélos dans la benne du 4x4, les cyclistes dans le Duster, et le noble cortège s'éloigne.

Nono, dans sa jungle, attend encore quelques minutes, le plus silencieusement possible, en faisant quatre apnées de quinze secondes par minute, puis il jaillit de son trou, et pédale comme un taré jusqu'à la casa.




La ouature bleue.


Le coup des bleus arrêtés par les bleus a un peu refroidi Nono dans sa conquête de l'espace.
Il a peu dormi et beaucoup réfléchi à la question.
Il lui semble maintenant évident que Titi et Grominet savaient qu'une opération "chasse au délinquant" devait avoir lieu, mais le démon du Vtt les a poussés à prendre le risque…
Comme on est en guerre, il est étonné qu'on ne les ait pas fusillés sur place, ce qui aurait fourni l'occasion d'ériger une stèle en leur mémoire :
"A la mémoire de nos camarades, victimes de leur passion de la liberté, fusillés ici par la milice gouvernementale lors de la Grande Guerre du 17 mars au 11 mai 2020."
Au matin il a la tête dans le seau : il a grillé une grande quantité de neurones à se poser mille questions, et imaginé les scénarios les plus catastrophiques pour y répondre.
- Titi et Grominet ont-ils dénoncé leur complice ?
- Big Brother peut-il remonter jusqu'à Nono ?
- Peut-on tracer un téléphone à ce point ?
- Se sont-ils déchargés de leur responsabilité en balançant Nono pour " incitation à la débauche sur majeurs de plus de quarante ans" ?
- Faut-il anticiper et prendre le maquis ?
- A-t-on pu retrouver mon ADN dans les buissons ?
- Dois-je changer les pneus du vélo et les brûler pour effacer toute trace ?
- Ne devrais-je pas manger une tartine de plus ce matin ?

Bref, Nono est perturbé, ce que ne manque de pas de remarquer madame.
- J'ai un peu mal à la tête…
L'ombre du coronavirus le fait se retrouver sur le ventre, un thermomètre planté dans le fondement et deux kilos de paracétamol au fond de l'estomac…

Puis il s'occupe du jeune oisillon en l'aidant à faire ses devoirs, et lui balance ensuite une série d'exercices, destinés :
Un, à asseoir les acquisitions.
Deux, à laisser à Nono le temps de se bouffer encore le cerveau avec cette histoire.

Nono tente ensuite de bricoler un peu dans son garage, mais le moindre bruit de voiture approchant la maison lui fait grimper le trouillomètre au-delà de la limite autorisée par la médecine, pourtant tolérante en ce temps de crise sanitaire...
Dans le jardin c'est pire, il entend des voix chuchoter et voit le GIGN derrière chaque buisson.
A midi sa décision est prise : il faut qu'il bouge, sinon il va faire un ulcère !

Il autorise donc le nouvel intellectuel à s'accorder quelques heures de loisir après le repas, et à sortir promener, muni de tous les certificats nécessaires à l'accomplissement de cet acte à haut risque.
Puis il chausse ses baskets pour aller évacuer le stress, muni lui aussi de toute la paperasse nécessaire.
Et bien décidé à ne prendre aucun risque, c'est  à dire à respecter scrupuleusement le kilomètre de liberté et l'heure qui lui sont alloués. : dans les clous, faut rester dans les clous !
Une heure plus tard il est de retour.
Comme il n'a pas encore évacué toute la tension, il se cache au fond du garage et s'établit une nouvelle dérogation pour une heure supplémentaire… Il psychote au point d'envisager l'ingestion de la première… Il finit par la brûler dans la poubelle, disperse les cendres accusatrices au fond du jardin, les recouvre de terre et de feuilles mortes…
"Big Brother était dans la tombe et regardait Nono !"
Et le voilà reparti pour une seconde heure de thérapie.

Lorsqu'il revient vers la maison, tout va bien. Il est calme, apaisé, serein, heureux de nouveau, la tête pleine de projets excitants, il finit en récupération douce, court léger, aérien, ferme les yeux tellement c'est bon, ôôôôôôôôhhhhhhmmm, nirvana, cool, relax, fait tourner c'est de la bonne…

Lorsqu'il rouvre les yeux, son cœur remonte dans sa gorge !
Ses jambes se dérobent !
Son cerveau vomit !
Ses poumons patinent !
Son estomac se bloque !
Ses sphincters se distendent !

Une voiture bleue marquée Gendarmerie stationne devant chez lui !





Pouces !


Les keufs !
Devant chez Nono !
A la question "pourquoi ?" Nono n'a aucun doute : s'ils ont pris la peine de se déplacer, c'est que l'affaire est gravissime. Et la gravissime affaire, tu la connais non ?
Il est fait !
Titi et Grominet l'ont balancé !
- Ah les ordures ! se dit Nono, quand même déçu…
C'est vrai quoi : tu emmènes des gars en randonnée, tu leur fait découvrir des merveilles, on échange, on se raconte un peu, et au moindre accroc voilà qu'ils te balancent pour sauver leur peau ! Et sans qu'on les tortures je suis sûr… c'est pas la guerre quand même…
Mais comment l'a-t-on identifié ?

Le cerveau de Nono menace de s'éjecter pas ses trous de nez tellement ça bouillonne à l'intérieur.
Sur son épaule gauche le petit Nono avec une auréole lui murmure à l'oreille :
- Nono, l'heure du châtiment a sonné ! Prépare-toi à avouer tes fautes ! Le repentir, et éventuellement une bonne séance de flagellation, t'ouvriront ensuite de nouveau les portes du royaume des cieux !
Bon, pour ce qui est de la flagellation Nono a de l'avance : il se botte le cul depuis qu'il a vu la voiture des bleus…
Sur son épaule droite, le petit Nono avec les pieds fourchus est aux abonnés absents…
… Ah ! Tiens, non ! En fait il devait juste être aux toilettes parce qu'il revient en trimbalant une odeur fétide, et murmure à l'oreille de Nono.
- Nono, tu vas jouer ton gros blaireau, je sais que tu peux le faire, et très bien… Tu vas te glisser dans le garage, te déguiser en jardinier, te pointer comme une fleur par la cuisine avec cet air innocent que tu réussis si bien lorsque tu lâches une caisse dans un ascenseur…
- Eh… oohh ! fait Nono…
- Et puisqu'on aborde ce sujet, continue l'inflexible diablotin, l'odeur fétide ne vient pas de moi, Nono, mais plutôt du bas de ton dos…
- Euhhh… fait Nono pris en flag…
- Mais t'inquiète pas de l'odeur, fais fumer les pneus, tu es un homme d'action Nono! le regonfle le diablotin, fonce !
Nono plonge vers le garage, cherche la clef, cherche la clef, cherche la clef, les bourres vont sortir juste maintenant tu vas voir, elle est où cette p… de clef, ah là, au fin fond de la poche, collée par la transpiration.
Il sort la clef, elle tombe. Dans le caniveau devant la porte. Nono est un homme d'action, il arrache d'un coup d'un seul la lourde grille en fonte, récupère la clef, relâche la grille…
Euh… non… en fait il la relâche juste en sortant la clef. Un poil trop tôt… Elle fait un bruit mat en tombant, comme si… oui… comme si le doigt de Nono avait amorti le choc !
Ce qui est le cas… Nono a des étincelles dans le cerveau, la douleur est immonde, il va vomir, son doigt est coincé, il tente frénétiquement de soulever la grille avec son autre main et…
Arrive la factrice…
Elle trouve le Nono accroupi devant son garage, en tenue de course à pied, suant par tous ses pores le terrible coronavirus, et contemplant les yeux exorbités la grille au sol.
Blasée…
- 'jour ! lance-t-elle avec la légèreté de celle qui a déjà connu les pires atrocités…
Nono, perclus de douleur, ne peut répondre : ses dents sont profondément enfoncées dans ses lèvres afin de bloquer le cri inhumain qui ferait à coup sûr arriver les perdreaux.
- 'jour quoi ! insiste-t-elle, pensant le Nono un peu dur de la feuille.
Faire quoi ? Téléphoner à qui ?
Nono n'a d'autre choix que de rassembler son énergie, se tourner vers la factrice et grimacer le sourire qu'elle attend.
Il réussit. Elle part, rassurée.
Un qui l'est moins c'est Nono, le doigt coincé.
Les perdreaux pouvant surgir d'un moment à l'autre, il va se surpasser !
Tel le loup pris au piège et se tranchant la patte, Nono tire sur son doigt, la grille décolle, il l'attrape de son autre main et ne perd pas une seconde. Attrape la clef, retire son pauvre doigt, lâche la grille, plante la clef dans la serrure, tourne, entre, referme vivement, et…
La douleur qui monte de son pied l'averti qu'il a de nouveau mal coordonné ses mouvements…
Et que son gros orteil a bel et bien lui aussi réceptionné la lourde grille en fonte…
Sur son épaule gauche on parle "châtiments divins !"
Sur la droite on psalmodie " Nono t'es un héros !"
Dans son pouce droit ça pulse horriblement.
Dans son gros orteil gauche, il sent bien que l'ongle arraché tente de rentrer de nouveau dans la chair !
Son problème de gendarmes est toujours présent…
On entend madame Nono crier…
On entend le gosse pleurer…





Nono se la joue.


Nono, adossé à la porte du garage, reprend un peu ses esprits.
Il a au moins réussi la traversée de la cour…
Maintenant, sortir discrètement, jouer le jardinier et faire le gros blaireau…
Il enfile toute la panoplie, et surtout les chaussures à bouts ferrés pour protéger son orteil ravagé, et des gants pour planquer son pouce explosé.
Puis, tel le sioux, il se glisse dans le jardin, chope un arrosoir et va se montrer sur l'avant de la maison.
Lorsqu'il voit du bleu son cœur s'emballe.
Ils sont deux, avec madame Nono et le gamin, installés à la cuisine.
Le gamin !
Nono, ému, repense à son propre grand-père… Lui viennent les souvenirs du lac, de la cabane au bord le l'étang, des amis du Papé, ce bon Riton, les lance-pierres…
- Oh, calme-toi… se tance Nono, ça c'est "Les enfants du Marais" avec Villeret… Ton grand-père était bistrotier à Lyon et n'est jamais sorti de son quartier…
- N'empêche… reprend-il, ce pauvre gosse ! Il va voir son papy embarqué par les gendarmes.
Traumatisme, famille brisée, honte, désespoir !
Nono se maudit. Le pauvre petit va trimbaler ces images toute sa vie, son grand-père, poussé dans la voiture, un flic lui appuyant sur la tête, comme dans Braquo, quand…
Tiens pense Nono, pourquoi est-ce qu'on appuie toujours sur la tête du gars pour le faire entrer dans la voiture ? Tu appuies sur ta tête pour entrer dans ta voiture, toi ? Les films sont bourrés de ces clichés grotesques et perpétués sans fin. Tu as une contrariété, tu vas te bourrer au bar. Tu t'es tapé la blonde toute la nuit et tu n'oublies pas de remettre ton caleçon pour sortir du lit. Tu gares toujours ta voiture pile devant ta porte, et surtout tu ne la verrouilles jamais. Quand tu entres dans la maison, surtout en plein hiver, tu ne refermes jamais la porte derrière toi. Sur la bombe la plus miniaturisée tu trouves toujours un énorme écran pour compter les secondes qui te restent avant que ça pète. Le type hyper-bon en informatique a des lunettes, l'air ahuri et des restes d'acné. Les extra terrestres ne débarquent jamais en Côte d'Ivoire. Un tueur sociopathe va plus vite en marchant tranquillement qu'une blonde qui court en criant…
- Je leur dirai que c'est pas la peine de m'appuyer sur la tête décide Nono, sortant du rêve et retrouvant sa fierté, comme Bruce Willis dans…
- Action ! beugle son oreille droite !
Et le voilà qui passe sur la terrasse, s'arrête, attends que tout le monde le regarde, et fait le gros étonné, comme Anconina dans "La vérité si je mens" quand on lui demande s'il est ashkénaze ou séfarade…
Ensuite il fronce les sourcils en penchant la tête, comme Montand dans "Jean de Florette" quand Ugolin lui annonce son amour pour Manon…
Puis il avance comme Robocop, mais là il n'a pas à se forcer vu l'état de son pied…
Enfin il entre dans la cuisine, tire sur ses  zygomatiques et lance un "Bonjour messieurs", comme Lino Ventura dans "Les tontons flingueurs" qui voit débarquer les frères Volfoni. 
Très réussi, on frôle le César !
Pile entre "Content de vous voir" et "Que me vaut l'honneur ?"
Avec une pointe de "Vous me voyez surpris !"
Du grand art, Nono…

Ce faisant il examine l'assemblée :
Les gars ont l'air plutôt cools.
Madame Nono a l'air plutôt en pétard.
Le rejeton a l'air plutôt contrit.
Tout le monde se dévisage, genre "le premier qui rit aura une tapette…"
Finalement le chef se tourne vers madame en soulevant le menton, comme Belmondo dans "Le magnifique", ce qui doit signifier qu'elle va causer…
Elle cause.
Et plus elle cause, plus Nono l'aime ! Elle raconte si bien ! Ses paroles sont si douces !
Nono aime ce gosse aussi, et ces deux gars, tiens c'est simple il a envie de les embrasser ! D'ailleurs il va tous les embrasser, les serrer dans ses bras, tellement ils lui font plaisir, comme Darroussin dans "Le cœur des hommes"…
Pendant que madame raconte, les flics ont le demi-sourire du patriarche bienveillant : Brando dans "Le parrain"…
Qu'ils sont beaux ! se dit Nono.
Madame raconte bien, vraiment : le gosse qui va promener. Qui rencontre un autre abruti dans son genre. Ils vont au stade, l'endive toute fine passe par la fenêtre de la buvette et envoie à son pote toutes les canettes de bières. Et puis la maréchaussée arrive, le pote s'enfuit, et l'endive continue à balancer de la canette aux bleus qui, patients, attendent qu'elle ressorte pour la serrer…
C'est beau, c'est drôle, Nono est aux anges !
- Un petit café, messieurs ? Comme Montand dans "Garçon !"…





Nono citoyen.


Les gendarmes l'ont sermonné, et le gniard s'en est tiré avec des travaux d'intérêts généraux… Nono s'est dit que ces gars là aimaient vraiment les missions impossibles…
Il a lui aussi tenté la leçon de morale, mais la façon dont le condamné l'a regardé à coupé court à ses velléités : on lisait dans ses yeux que l'hôpital se foutait de la charité…
Et puis Nono était tellement soulagé que même si cet abruti avait abattu un EHPAD entier à la machette, il aurait de toute façon trouvé ça beaucoup plus cool que de se voir embarqué au poste…
Nono va donc s'acheter une conduite. Et pour commencer, aller faire les courses. Comme tout bon citoyen.
Muni de la liste établie par madame et enrichie des propositions gourmandes du monstre, que Nono a validées avec un tel empressement que madame Nono est allée vérifier que la bouteille de whisky n'avait pas subi une attaque fatale, le voilà donc en route pour le monde merveilleux de la consommation de masse.
Arrivé au temple, il enfile la paire de gants imposée par madame, ainsi que le masque qu'une voisine solidaire a amoureusement fabriqué.
En temps normal cette harpie lui envoie la municipale pour tapage nocturne, tapage diurne, vol de pommes, destruction de grillage ou stationnement en dehors des clous, et là, bénit soit le virus ramenant le royaume des cieux sur la pauvre terre, elle s'est pointée toute mielleuse et souriante avec ses masques à la main. C'est heureusement madame Nono qui a ouvert, sinon la vieille repartait avec ses masques au fond… euh… au fond quoi…
Sur son parking, Nono, même pour de simples gants ou un stupide masque, il a des problèmes…
Trop justes, les gants lui raidissent les doigts, et il doit forcer comme un damné pour faire entrer son groin dans le masque… La voisine a dû le tailler dans de la toile de camion, ça lui serre bien la bouche, pas de problème…
Bon, un chariot, il entre, et là, l'horreur !
Depuis le temps qu'il n'a pas rencontré un humain, Nono voit ses contemporains comme autant de risques potentiels. Rester à un mètre, absolument ! Mais il y a là au-milieu une palette en attente de déchargement, et un type, un peu plus volumineux que la palette, qui hésite entre le poireau vert et le poireau vert… Nono patiente. Le gars doit être un hyper spécialiste parce qu'il se tâte maintenant entre la carotte orange et la carotte orange… Nono patiente encore, pendant que le chercheur hésite maintenant entre le radis rouge et blanc et le radis blanc et rouge, Nono patiente toujours, mais s'il se tâte avec le concombre, ça va mal finir …
Rien en face : Nono accélère, double, et stoppe devant les tomates : les tomates, les tomates et les tomates…Perplexité totale, téléphone, tutututut :
- Al--- m- ch---e , des to----es y'en a pl----n !
- …. ?
- Be-  c'e---  pa----e   j'--  l-   ma----que !
- … ….. !!!!
Bon, bon …. Nono ôte son masque en jetant des coups d'œil inquiet autour de lui…
Il y une femme juste à côté, mais elle a l'air inoffensive.
-  Je disais, ma chérie, tu préfères la grosse et charnue, la petite et brillante ou alors la très grosse, mais un peu molle ?
- …. …?
- Bien… mais si tu étais là tu pourrais la tâter…
- … … … … !!!
- D'accord, mais tu va la manger crue ou pas ?
- … … … …
- …de la sauce ? Tant que tu veux…
- … … … …  !
- Mmm ! On va se régaler hein ?!!!

Nono raccroche et la femme à côté  lui sourit étrangement, la lèvre humide. Mais une mémé qui poireaute derrière le dévisage en tordant la bouche, lui signifiant qu'il encombre un peu…
Nono remet son masque en vitesse :
- Fa---t  b---n que je pre-----e  les  b------es  to---m--es ! lui fait-il.
Elle plisse les yeux et tend l'oreille… en plus elle est sourde…

Les différents rayons sont ensuite autant d'étapes de son chemin de croix.
Là ! Un vieux qui sifflote, si si, il sifflote, sans masque !
- As----s--in ! murmure Nono le lâche.
Et l'autre là, qui fait des fouilles dans son nez, contemple le résultat des ses recherches, et reprends son chariot à pleine main ! Sans gants ! Dans cet antre de l'épidémie…
Plus loin un type renifle une salade ! Une salade…
- M---s  put---n  c'est que de  la  fl---te  ces  sa-----es, hurle Nono dans son masque, t'as pas be---s--n  de   fo--t---e   ton   nez   de--s---us   bor----el !
Sourd aussi celui-ci….
Il va devenir cinglé Nono…
Il arrive au jambon, prend en vitesse n'importe quel paquet, tandis qu'à côté un gars sort tranquillement toute la pile des blisters et commence à les étudier un par un... Interloqué, Nono observe…
Après une minutieuse recherche, le savant choisit un paquet et remet la pile dans la vitrine… Pris d'un doute Nono revient en arrière, regarde le jambon gisant au fond de son charriot, l'attrape, sort lui aussi toute la pile de la vitrine, et commence lui aussi sa recherche. Sans savoir ce qu'il cherche d'ailleurs… ce qui ne va pas faciliter la suite des opérations…
De déductions en recoupements il finit par trouver ! Ce sont les da…
La même vieille, tu sais, la sourde, le dévisage à nouveau, l'air exaspéré par sa lenteur.
- Ma-s   bo---l  de  m---e, lui crie Nono au comble de l'excitation, ces  p---t--- de ja--- -ns   sont   to-s  à  moi---ié   po--r--is ! T'as qu'as   r---g--d-r   la   da--- de   pé----p---ion !
Complètement bouchée la vieille : elle le regarde avec des yeux ronds en tordant encore la bouche… Elle a pas de masque ! Plein de  gens circulent sans masque dans ce nid de virus ! En plus elle a aussi la lèvre humide !

- Je me tire, pense Nono, il faut que je me sorte de ce repaire de cinglés !
La caisse. Nono s'approche pour vider sur le tapis.
- M---s-----r s'il vous pl--t,  ga----z   la   di-----c---e.
Kékailadit ?
- J'--- ri--- co----p---i ! soupire Nono désespéré.
Regarde autour de lui, en haut, le miroir, sa tronche : le masque lui écrase le groin, mais lui tire aussi horriblement les oreilles vers l'avant ! Elles sont rabattues sur ses joues, aplaties, bouchée, fermées…
La caissière a un regard de factrice…
Nono fourre les courses dans le coffre, et rejoint sa tanière, le moral laminé… mais le calvaire n'est pas fini : arrive un rond point… infesté de bleus…
- Gendarmerie-nationale-bonjour-monsieur…
Nono transpire, mais fouille sa poche…
Et toi tu te dis " et voilà : ce tocard a encore gaffé…"
Mauvaise langue : Nono sort le beau papier…
Et toi tu penses "oui, mais il s'est sûrement gouré…".
- Tout est en règle Monsieur, merci, fait le gendarme derrière son masque tandis que son collègue le rejoint.
Son collègue… avec son crâne…
Ils enlèvent leurs masques : le cauchemar continue :
- Titi et Grominet !



Oh! Marseille !


Titi et Grominet sont tout sourire, ce qui nous laisse le Nono un peu perplexe…
Qu'ils aient échappé à l'exécution sommaire l'avait déjà étonné, mais alors les retrouver ici, en tenue, et avec la banane… Après le numéro du préfet…
- Meeeehhhh ? Vouuuuuss ? déglutit Nono.
- Tu nous avais pas reconnus ! rigole Titi.
- Meeeehhhh ? Vouuuuuss ? ? répète Nono, décidément bloqué sur le sillon…
- Ah, l'uniforme, ça change son homme, hein ?
- Meeehhh le préfet… réussit à décoincer Nono.
- Et la blonde ! renchérit Grominet en se massant la poitrine, la blonde !
- Oui… la blonde murmure Nono émergeant du silicone…
- La blonde… soupire Grominet d'un air triste, se massant maintenant le derrière.
- Et… après ? ose Nono.
Rappelons que nous sommes en plein milieu d'un giratoire, et qu'une demie douzaine de voitures attendent derrière Nono…
- Oh on a rigolé ! s'esclaffe le chauve, ça, on a rigolé !
- Oui, fait le grand, on a rigolé…
Titi reprend :
- Figure-toi que le …
"Tutut" ose un gars dans la file d'attente…
Grominet bombe le torse, passe les pouces dans son ceinturon, et se dirige à pas mesurés vers le coupable.
Le gars est du type plâtrier et marseillais : il explique sans ménagement que, lui, il bosse, et que si on pouvait activer un peu !
- Vous pensez que nous, on ne travaille pas ? demande Grominet d'un air chafouin.
Le gars devient alors plus marseillais que plâtrier :
- Aaaahhhh si votre boulot c'est d'emmerder le monde alors oui : vous êtes à bloc les gars ! Sans déconner, il faut pas trois heures pour lire un papier !
Après, si vous savez pas encore lire, faut faire les ceintures, les téléphones ou les feux rouges… pas les papiers…
Le sourire de Grominet s'élargit et Titi vient à la rescousse. Mal lui en prend :
- Té, s'exclame l'autre, j'avais Grominet en ligne et voilà Titi ! Oh Titi, tu sais lire toi, ou pas ? Et une photo avec ton téléphone, tu sais faire ?
Il brandit alors une attestation dont il est visiblement très fier :
- Alors vas-y, prends une photo, et puis ce soir tu la fais voir à ton chef, il connaîtra peut-être quelqu'un qui sait lire, lui…
Il fourre maintenant son papier sous le nez de Grominet :
- Je suis en règle, moi, je bosse, je paye mes impôts, et j'ai pas que ça à faire d'attendre que ces messieurs fassent du fric sur le dos du pauvre couillon, là-bas devant, qui a été assez con pour se faire coincer !
Il est maintenant à moitié sorti par la fenêtre de fourgon, et interpelle Nono :
- Espèce de gland ! Alors toi, en plus, tu sais pas écrire ! T'aurais pu faire carrière chez les gendarme tu sais ! Tu sors de quelle planète ?  Ça fait plus d'un mois qu'ils nous bassinent avec leurs conneries, et toi tu quittes ta niche sans le papier ?
Il a ouvert la portière, descend, s'approche de Nono.
Les deux flics ne bronchent pas, on dirait même qu'ils jubilent…
-  T'es un malade toi… lance l'excité à Nono.
 Nono s'enfonce prudemment dans son siège…
- Ou alors t'es un pervers… voilà, t'es un pervers : tu le sais bien qu'il faut un papier, hein, tu le sais, oui ou non ?
Nono fait "oui" de la tête.
- Voilà ! reprend l'autre encore un ton plus haut : tu t'es levé ce matin et tu t'es dit "tiens, je vais sortir sans le papier pour me faire gauler par les flics, comme ça ils vont pouvoir emmerder les braves gens !" C'est ça hein, c'est ça ? beugle-t-il, le doigt pointé sur Nono en train d'émigrer prudemment vers le siège passager.
Il s'arrête alors brusquement, et revient vers les flics :
- Bon, ça m'a fait du bien : faut m'excuser mais j'ai du boulot en retard et ça me fait un peu chauffer… Allez, finissez l'autre tache, là, tranquillement, mais laissez-moi bosser. OK ?
- OK dit Titi, en rigolant.
- Tout le monde dégage, fait Grominet en moulinant des bras dans le sens de la sortie.
Décidément ces flics sont un peu spéciaux…
Le troupeau de voitures s'évacue, les duettistes reviennent vers Nono.
- Titi et Grominet ! rigolent-ils !! Toi,  tu trouves qu'on ressemble à Titi et Grominet ?
Nono s'abstient…




Épisode n°22…


Cet épisode est bien le n°22, y'a pas de hasard…

Nono se retrouve dans le fourgon des bleus, un verre à la main : ces gars doivent en permanence être prêts à faire face à toutes les situations... Grominet voudrait raconter, mais il est incapable d'aligner plus d'une phrase sans s'esclaffer : on les choisi plutôt gais dans la gendarmerie…
Alors c'est Titi qui explique.
En gros, ils ont laissé le préfet faire son sketch parce que c'était son boulot de préfet, surtout devant les journalistes. Au mot "journaliste", Grominet intervient en se massant la poitrine d'un air gourmand :
- Oh la journaliste ! La blonde !
Ensuite tout le monde s'est retrouvé à la Maison Mère, et le préfet en colère a demandé, d'un air de préfet en colère, à voir le chef de la brigade !
Grominet intervient encore, quasiment au bord des larmes :
- On a perdu la blonde !
Le chef de la brigade s'est donc avancé, du haut de son grade de capitaine.
Le préfet en colère lui a passé un savon en gesticulant avec ses gants blancs, mais, découvrant un petit sourire vicieux naissant aux lèvres de l'interpellé, il a décidé d'enfoncer le clou en hurlant :
- C'est bien vous le responsable de ces demeurés ??!! en désignant les deux délinquants.
L'autre a pris le temps de savourer l'instant, puis il a répondu d'un ton apparemment désolé :
- Non Monsieur Le Préfet…
Avec des majuscules devant, comme je te l'ai écrit.
Un préfet, Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant, se doit de savoir tout encaisser, sans aucun sentiment apparent. Mais là, ses nerfs le trahissent un peu : il a un coin de la bouche qui remonte en spasmes incontrôlés, sa glotte fait douze allers-retours en cinq secondes, et ses doigts se raidissent au fond de ses gants blancs.
Il ferme les yeux, soupire, histoire de laisser le temps aux deux kilos de neurones planqués sous son képi galonné de faire le point…
- Pardon ?!!!! déglutit-il en tordant le cou.
L'autre reste imperturbable devant l'Autorité de l'Etat :
- A la question " C'est bien vous le responsable des ces demeurés ?", j'ai répondu " Non Monsieur Le Préfet".
Même avec du temps additionnel, le cerveau du préfet commence à patiner…
- Alors qui est le responsable de ces abrutis ? réitère-t-il d'un air vachard, mais commençant à subodorer - un Préfet Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant, se doit d'avoir une certaine intuition - que ce sera là sa dernière saillie.
Le capitaine qui, souvenons-nous, s'est fait copieusement pourrir quelques instants auparavant, distille sa réponse :
- Ces hommes sont là en renfort, ils ont leur propre chef.
L'orgueil : voilà sur quoi un Préfet Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant doit s'asseoir le jour de sa nomination. Il doit s'asseoir sur son orgueil.
Et le notre a oublié cette règle élémentaire…
Il entre dès lors dans un processus destructeur, identique à celui qui a entrainé l'explosion de la centrale de Tchernobyl : on croit que le bouton AZ5 va effacer toutes les conneries accumulées, mais le bouton AZ5 est lui-même une connerie…
Et, malgré les deux kilos de neurones rompus à toute épreuve pédalant dans son képi, le préfet, dans un grand élan d'orgueil suicidaire se lance :
- Je veux voir immédiatement le responsable des ces crétins, immédiatement, vous m'entendez !?
Le capitaine en face de lui, prenant pitié, lui laisse une chance :
- MONSIEUR LE PREFET… commence-t-il en mettant, tu n'auras pas manqué de le remarquer, des majuscules absolument partout, et encore tu ne vois pas les fleurs qu'il a mis autour pour essayer de le calmer…
Mais  LE PREFET REPRESENTANT DE L'ETAT AVEC DES MAJUSCULES ABSOLUMENT PARTOUT ne comprend pas le préliminaire, ne supporte pas le préliminaire,  et décide de péter le plomb…
- Immédiatement, vous m'entendez, i-m-m-é-d-i-a-t-e-m-e-n-t articule-t-il en frappant la table en cadence, parce que je vais lui dire deux mots, moi, au responsable, je vais lui dire ses quatre vérités, moi, au responsable, je vais me charger de son cas, moi, au responsable, je…
Le capitaine, charitablement, l'interrompt :
- Il est là, monsieur le préfet - toute majuscule a disparu – soupire-t-il en fermant les yeux et en tendant le doigt.
Le préfet regarde le doigt du capitaine. Tendu.
Tendu en direction de … Grominet…
- Glouc, gargouille le préfet fraîchement démajusculé...
Grominet s'avance, sourire aux lèvres, claque les talons, et salue d'un geste si rapide que le préfet sursaute, pensant qu'il va s'en prendre une.
- Colonel CA……….ER, mes respects monsieur le préfet…
Là…………………………… il y a un blanc………………………………..très long…
Sous le képi, c'est Tchernobyl à Pétage moins une… Trop de pression, trop de chaleur, trop de puissance : un vide se crée…
- CA………….ER … réfléchit-il à haute voix… comme…. le….
Son cou se tord encore une fois pour laisser passer les mots.
- CA…………..ER … comme…. le ….. Ministre ? reprend-il en un souffle.
- Voilà ! sourit Grominet avec un air tout attendri : c'est mon petit frère…




Télé Nono.


Son frère, tu te rends compte : Nono connait le frère du  ministre…
Et ils ont, bien sûr, rendez-vous pour aller faire de la délinquance dans la colline.

Un rendez-vous que Nono a manqué, c'est celui de la ponctualité…
La rencontre avec les  duettistes  l'a un peu mis en retard… si l'on veut bien admettre que deux heures de retard c'est "un peu"…
Mais Nono avait rempli un sac chez le marchand d'articles congelés, et ce "un peu" eu quelques conséquences…
La première étant qu'il va falloir engloutir dix steaks, dix eskimos au chocolat, deux paquets de dix poissons avec les yeux dans les coins, et cinq kilos de légumes divers en quelques jours…
La seconde étant que madame Nono n'a même pas fait semblant de croire à son histoire, et le bat un peu froid depuis…
Mais il y a du nouveau… Nono va passer à la télé. Voilà, il pourra porter le label "vu à la télé" attribué, il faut l'avouer, à toutes les saloperies invendables autrement…
Alors voilà. Nono rôdait sur internet à la recherche de la recette du "steak à l'eskimo avec sa garniture de poisson et de choux fleur" lorsque le téléphone sonna.
Il ne reconnu pas immédiatement son interlocutrice, mais lorsqu'elle se présenta Nono fut envahi d'une bouffée de silicone, et la remit immédiatement…
En gros, les ventes du canard dans lequel elle sévissait quotidiennement était en chute libre pendant le confinement, et la rédaction avait mis sur pied, afin de continuer à exister, une chaîne de télé locale traitant des "problèmes locaux avec des acteurs locaux", c'est comme ça qu'on cause dans les rédactions.
Nono se voyait mal donner une conférence sur "la délinquance en colline avec des fonctionnaires d'état", mais lorsqu'il comprit que c'était en tant qu'ancien chef de service à l'hôpital que le fantasme de Grominet l'appelait, il refusa tout net.
La science a prouvé que l'ADN du journaliste contient des séquences proches de celui du morpion et du corbeau. Ce qui signifie que la blonde s'accrocha si fort et flatta si bien le Nono, qu'elle lui arracha un accord de principe, qui, il le savait, valait promesse ferme pour la silicone Valé.
Oui, son prénom est Valérie…
Une simple application permet la visioconférence, et l'affaire fut rondement menée, tout au moins côté journal…
Parce que côté Nono familly, ce fut un peu chaotique…
Dès que madame sut que son époux allait avoir les honneurs de l'outil télévisuel, elle s'assigna pour mission de le montrer sous son meilleur jour. Oubliés les steaks poissonneux et chocolatés aux légumes… Son merveilleux compagnon redevient l'homme de sa vie, et on allait voir ce qu'on allait voir.
Les séances d'essayages furent assez rudes, Nono ayant depuis très longtemps déserté les rivages du costard-cravate… Il fallut donc trouver parmi ces ustensiles quelques spécimens datant de ce siècle…
Madame Nono se toqua ensuite de fashion-choice, sujet sur lequel elle s'estimait imbattable puisqu'elle visionnait régulièrement une émission intitulée " les reines du shopping".
Sans préciser que les sujets mâles en étaient totalement absents…
Il s'en fallut donc de peu pour que Nono n'apparaisse en robe pailletée décolletée avec une sobre écharpe violette pour rehausser son teint d'opaline…
Ensuite vint la question du maquillage.
On sait  qu'elle n'est pas à éluder, puisque chacun s'est déjà retrouvé sur une vidéo avec des veinules sur le pif, les pommettes labellisées miroir, le bouton au menton qui gigote  devant la caméra, et le cheveu gras qui indique clairement que tu as campé dans une décharge. Sans parler du cachou au bord de l'œil qui menace à tout instant de finir dans ta bouche…
Plusieurs essais furent donc nécessaires pour que Nono ressemble à autre chose que… ben… que ce qu'il est vraiment… c'est-à-dire un type d'une banalité affligeante, pourvu de paupières tombantes, surplombant des poches noirâtres, d'un nez fixant obstinément le plafond, d'oreilles cherchant absolument à ce qu'on les voit, même de face, d'un cou de vieux poulet que ses joues cherchent à dissimuler.
En voyant le résultat dans la glace, Nono se sentit légèrement déprimé : le type qui le regardait avait dix ans de moins, mais on sentait que l'édifice était fragile…
Les choses s'accélérèrent le matin du jour J, sous l'œil goguenard de l'endive qui s'était improvisé décorateur : il avait déménagé trente kilos de bibelots infâmes pour ranger quelques livres sur les étagères qui allaient servir de fond visuel.
L'ultime problème se présenta sous la forme d'un pantalon qui avait tellement rétréci au fil des ans que Nono fut incapable de l'enfiler. Comme on était à H moins dix minutes, on résolu de s'en passer : Nono étant cadré pleine face et gros plan, le problème était résolu.
Tout se passa admirablement bien. Installé sur le canapé, l'ordinateur sur la table de salon, Nono, d'abord un peu crispé, se détendit, et les échanges avec ses trois partenaires furent d'un niveau fort correct.
Mis en confiance, Nono n'hésita pas à dévoiler le fond de sa pensée, qu'il exprima en une phrase concise, précise et efficace :
 - Ça fait des années qu'on nous prend pour des cons, et  voilà qu'aujourd'hui on nous lèche frénétiquement le cul.
Deux substantifs robustes en une formule parlante… Concis quoi…
Ayant ainsi synthétisé sa pensée, Nono trouva la suite du débat très insipide, et s'en désintéressa passablement…
D'autant qu'il fut distrait par Grominou venant aux nouvelles, le poil soyeux et la queue droite, avide de caresses.
Tandis qu'à l'écran un pompier tirait ostensiblement la couverture à lui, réduisant le corps médical à un fonctionnariat laborieux,  Nono grabota le chat derrière les oreilles, comme il aimait.
Pendant que le maire du bled expliquait qu'il avait sauvé de la mort tous ceux qui avaient voté pour lui et même, quelle grandeur d'âme, ses contradicteurs, Nono grattait le ventre du tigre qui s'était couché sur le dos.
Puis silicone Valé prit la parole afin qu'on puisse contempler ses investissements, et Grominou, repu de caresses, alla s'allonger sur la table du salon, derrière l'ordinateur.
Inoccupé de ses doigts, Nono s'en fut chercher quelque chose à gratter et tomba sur ses coucougnettes, un peu serrées à son goût dans le slip, pourtant assez lâche, qui les abritait.
Mais Grominou avait, modérément mais suffisamment, incliné l'écran et la caméra, pour que le sujet principal devienne l'entrejambe de Nono : c'est donc un simple problème technique qui bousilla la glorieuse prestation de Nono...





Pan sur le bec.


Suite à sa fulgurante prestation télévisuelle, Nono est devenu une vedette. Dans son quartier.
Confinement oblige il ne voit heureusement pas grand monde, mais ceux qu'il croise ont désormais le même regard que la factrice…
Comment pourraient-ils deviner que sa notoriété va devenir nationale ?
Son expression franche et concise eut l'heur d'intéresser quelques personnes. La vidéo tournée par le canard local fut relayée, heureusement amputée de son bonus testiculaire, et tomba dans l'oreille d'un des ces amuseurs qui font leur miel des déclarations colorées dans ce monde grisâtre.
La collaboratrice qui contacta Nono se fit bien évidemment passer pour une journaliste, ce qui n'était que demi-mensonge puisqu'elle en possédait effectivement quelques séquences ADN, particulièrement celles du morpion et  du corbeau précédemment évoquées dans ce brillant ouvrage…
Nono se laissa donc embobiner une seconde fois, la fierté le disputant sans doute à la soif de revanche.
Madame Nono prit la chose très au sérieux et mit en place un plan totalement verrouillé, mettant la future prestation à l'abri de toute surprise.
Le studio de diffusion migrerait dans le bureau de Nono, afin d'écarter toute possibilité de filmer en dessous de la ceinture. L'écran serait parfaitement calé et réglé, et le félin cinéaste serait prié d'aller s'occuper des souris dans le garage, et exclusivement dans le garage. Fermé. A clef. Barricadé.
La tenue vestimentaire de Nono fut revue, et il fut cette fois muni d'un pantalon, de chaussettes et de mocassins qui, si par extraordinaire l'image montrait le sujet en pied, ne viendraient pas défrayer la chronique par des digressions à caractère pornographique…
Le mouflet fut reconduit sans son rôle de décorateur, avec pour consigne qu'un bureau doit refléter l'esprit de son propriétaire. Muni de ce fil conducteur, il eut carte blanche pour sa mission. On lui confia le soin de choisir photos et  accessoires à répartir dans le décor.
Nono fut briefé par un assistant sur les éléments de langage, et en conclu benoîtement qu'il avait carte blanche pour  exprimer sa pensée concernant le traitement de la race des soignants avant et pendant l'épidémie. Il était bien conscient qu'il allait faire le guignol, mais il estimait que s'il se dérobait, personne ne tiendrait ce discours à sa place. Une sorte de sacerdoce, quoi…
Le jour J, madame Nono passa les troupes en revue et inspecta le matériel.
Sur le bureau étaient disposés quelques livres et quelques crayons dans un pot : cucul, classique et sans risque. La lumière viendrait de face, évitant de transformer le nez du sujet en sommet montagneux au coucher du soleil, les fenêtres seraient fermées pour éviter tout bruit parasite, les téléphones resteraient loin et éteints.
Derrière Nono, l'endive avait composé un patchwork de photos représentant Nono dans sa vie professionnelle, mais aussi dans ses loisirs ou ses voyages.
Un plan infaillible.
Moteur.
Tout se déroula à merveille.
On était entre gens respectueux et Nono dosa habilement petites piques et humour : on parlait quand même d'une épidémie assez ravageuse…
Les échanges furent cordiaux, parfois houleux mais toujours respectueux, au point que l'amuseur s'emmerdait ferme, lui qui aimait que le  monde s'écharpe et s'invective.
Il tenta bien de mettre de l'huile sur le feu en incitant Nono à faire un numéro un peu plus vigoureux, mais Nono resta parfaitement maître de lui.
Comme s'il avait décidé de lui bousiller son spectacle…
Après plusieurs tentatives de mise à feu avortées, le vendeur de pubs, fou de rage, rendit Nono responsable du ratage complet de son émission.  On veut rire gras, choquer le bon peuple, et faire le buzz, et voilà que l'autre, qu'on invite juste pour le voir casser la baraque, nous la fait bien sage…
Vint enfin la conclusion, pendant laquelle chacun pris sobrement la parole, sans se la péter ni dénigrer personne !
Un fiasco complet…
Mais…
Mais lorsque Nono en arriva à sa conclusion, l'opérateur, bien déçu lui aussi par cette bande de bien élevés, repéra une photo, derrière Nono…
Il l'étudia et sut qu'il tenait sa vengeance !
La photo avait été prise lors d'un bivouac, en plein désert. On y voyait quatre gars hilares derrière une rafale de bouteilles dont le contenu avait visiblement disparu dans leur système sanguin. Nono y apparaissait hurlant et brandissant un litron…
Alors, pendant que Nono concluait, l'opérateur commença à flouter son visage, dériva lentement vers la photo, et finit par faire le point sur cette scène, pile à la fin de l'intervention de Nono.
Le salopard en chef jubilait et s'apprêtait  à éclater Nono avec une des vannes dont il avait le secret, lorsque Nono, qui avait observé le manège, le devança.
Visiblement très ému, il s'adressa aux salopards :
- Je vous remercie d'avoir choisit cette photo. Elle a une très grande importance pour moi…
L'autre, contrairement à son habitude, la boucla : il existe bien un réflexe de survie chez ces primates…
 Et il fit bien :
- C'est une photo de mon père, articula péniblement Nono,  il est décédé hier soir du coronavirus.




La minute écononomique.


Quel ordure ce Nono quand même : faire pleurnicher sur la mort de son père pour moucher un imbécile !
Outre le fait que moucher un imbécile fait partie des grands plaisirs de la vie, j'en connais qui, pendant leurs études secondaires, ont fait mourir une bonne douzaine de grand-mères pour cause de devoirs en retard…
Je vois des rougeurs apparaître…
Et puis l'époque est quand même aux ordures, non ?
Certains se rincent le cerveau devant une télé 24/24 et 7/7, applaudissent à huit heures, puis vont glisser un mot dans la boîte à lettre de l'infirmière du cinquième, lui conseillant vicieusement de déménager pendant cette période.
Certains se sont mis à la boxe, et s'entraînent régulièrement sur leur femme.
Certains arnaquent les pharmaciens à coup de masques qui n'existent pas.
Certains écrivent des trucs débiles et les infligent quotidiennement à leurs victimes.
Et puis…
Et puis il y a les vraies Grosses Ordures qui, comme leur nom l'indique, continuent à exercer leur occupation favorite et, oh combien, rentable : nous ravager la planète.
Car, à la question récurrente " ce monde va-t-il changer ?" Nono l'ordure a sa réponse :
- Sûrement pas…
C'est à partir d'un minuscule indice qu'il s'est forgé cette conviction, un fait banal, totalement passé inaperçu, quasi invisible.
Explication.
On sait le monde gouverné par le fric, le flouze, le blé, l'oseille, la fraîche, le pognon, le pèze, les biftons.
On sait que les temples de cette religion s'appellent les bourses, et leurs icônes les marchés boursiers.
On sait que les grands prêtres s'appellent des économistes.
Définition : un économiste est un type qui t'explique magnifiquement, le lendemain, pourquoi il s'est trompé la veille.
Démonstration :
Imagine que tu marches, tu te prends un poteau pleine face, bong, sur ton pif. Ça peut arriver…
Imagine ensuite que tu continues à marcher et que tu te goinfres un autre poteau, bing, sur ton pif encore.
Ça, c'est de la mathématique : si tu te déplaces sur une droite d'un point à  autre et qu'un troisième point se situe sur ta ligne, tu vas le rencontrer.
La Mathématique est une science.
Imagine encore que, au lieu de marcher, tu te mettes à courir…
On se dit  :
- Holà, déjà en marchant il gère pas trop, ça va mal finir l'histoire…
Effectivement, tu te prends encore un gadin, bouf, sur ton pif, encore plus sévère parce que tu avionnais plus vite…
Ça, c'est de la physique : plus ta vitesse est grande, plus le choc est violent.
La Physique est aussi une science.
Imagine enfin que tu continues comme ça pendant des années : courir, bing, courir, bong, courir, bouf, etc…
Ensuite tu ériges cette pratique en une science, que tu l'appelles "l'Economie"…

Ben on en est là… pense Nono… On vient de se prendre un super gadin pleine tronche, on est encore par terre, mais on va se relever très vite pour recommencer à pédaler comme des tarés jusqu'au prochain poteau.

Nan tu penses, on peut pas être aussi stupides !
Si.
Le tout petit indice, le fait banal, quasiment invisible, tient en une toute petite phrase, évidemment prononcée par un des grands prêtres :
- Dès la mise au point d'un vaccin, les marchés vont rebondir.

Auto-prédiction.
C'est comme ça que ça s'appelle…
Processus : un grand prêtre, "croit" que le marché va rebondir dès que la mise au point d'un vaccin sera annoncée. Or nous possédons actuellement des millions d'actionnaires crétins, désorientés et aveugles qui sont pendus aux lèvres de n'importe quel gourou, leurs grosses  fesses serrées sur les - 40% qu'ils viennent de se prendre dans le fondement.  Ils gobent évidemment cette prophétie, parce que pour eux, c'est çà ou sauter par la fenêtre du vingtième étage…
Et donc, dès qu'on annoncera la bonne nouvelle, ils fonceront de nouveau !
Et la prophétie se réalisera… Auto prédiction…

Le mot important c'était "croit".
Il se trouve que le verbe "croire" est juste l'inverse du verbe… "savoir"…
 Soit tu dis :
- Je sais que 2 et 2 font 4. Et basta. C'est de la mathématique.
Soit tu dis
- Je crois que 2 et 2 font 4… ce qui signifie que tu n'en sais foutre rien… c'est donc simplement une croyance, et tu ferais mieux de la boucler…
Mais l'économiste ne la boucle jamais. Jamais. Donc, avec l'économie on est dans la croyance, voire dans la religion, et surtout pas dans la science…
Même si les grands prêtres ont réussi à nous faire gober que leur fumisterie était une science…
Alors voilà, dans les prochains mois le marché va se relever, pédaler à bloc, et nous… on va suivre.
Pourquoi ? Parce que c'est lui qui nous gouverne tiens…
Et donc : rendez-vous au prochain poteau les gars !

Tu comprends maintenant que Nono il aille faire du VTT avec des gens normaux qui, même munis de galons et de pouvoir, savent rigoler et se foutre de ce monde si peu sérieux ?



Nono prend du galon.


Voilà donc Titi, Grominet et Nono qui délinquantent dans la colline en Vtt. Nono regarde désormais ses compagnons de façon différente, et, tout en roulant, ils devisent.
- Vous êtes quand même des flics spéciaux, fait Nono.
- Tous les flics sont spéciaux : pour vouloir faire ce boulot il faut être spécial.
- Ah…
- Ben évidemment. Tu vis dans une société dans laquelle tricher est érigé en valeur suprême, et tu veux combattre ce système, en étant mal payé, mal vu et en risquant ta peau.
- Tricher…
- Ben évidemment. Tout est fait pour que tu triches. Déjà quand tu nais : si tu pleures pas on t'en claque une sur le cul. Dans ta prochaine vie, tu arrives : tu triches, tu pleures, et tu évites la claque sur le cul…
- Ah…
- Ben évidemment. Quand tu es gosse : tu dis non, tu t'en prends une. Tu dis oui, tout va bien. Alors tu triches : tu dis oui. Et tu fais ce que tu veux.
- Ah…
- Ben évidemment. Ensuite, tu n'es pas bien riche mais tu vas en boîte, avec tes fringues relous et ta bagnole fatiguée : tu repars à tous les coups avec coquette sous le bras. Alors que si tu triches, tu loues la bagnole qui flambe, tu mets les fringues vues à la télé, et tu vas emballer la bimbo qui a les fringues vues à la télé, le sac et la montre entièrement taillés dans la contrefaçon massive, et coquette va pouvoir faire du sport…
- Ah…
- Ben évidemment. Tu arrives pour trouver un boulot et on te demande un diplôme : tu triches, tu t'en fais un. Et personne ne vérifiera.
- Ah…
- Ben évidemment. Ou alors t'as pas assez de doigts pour bosser: tu triches. Tu trafiques un peu : du moment que tu as du fric à balancer, tu seras partout accueilli avec sourire et cirage de pompe, tout le monde se fout que tu sois honnête ou pas.
- Ah… mais vous trichez pas vous ?
- Ben évidemment qu'on triche. Sinon on est des saints : on est entré sans la police, pas dans les ordres.
- Ah…
- Ben évidemment. Tout le monde triche. La règle c'est juste de pas se faire pincer.
Sur ces fortes paroles, ils partent comme des cinglés en le laissant sur place.
- Bah, se dit-il, ils connaissent le circuit maintenant …
Mais Nono, qui n'aime pas trop se retrouver dernier, se met lui aussi à avionner gravement.
Sur un bout de ligne droite il les voit de nouveau. Allez Nono, envoie !
Ils virent à gauche, Nono se rapproche, c'est une belle piste en descente, avec des whoops qui te font bien décoller. Trop.
Nono retombe en travers, les jambes écartées, s'écrase la nouille sur la selle et finit dans un bosquet d'arbousiers.
- You youille, grogne-t-il en essayant de remettre le boulier en place.
Il respire à peine tellement le moindre mouvement irradie son système reproducteur.
Cinq minutes, il lui faut cinq minutes pour repartir, un peu secoué mais bien décidé à retrouver les petits poulets.
Quelques instants plus tard il se sent mieux et, joie, sent qu'ils sont passés ici depuis peu : une odeur de transpiration les trahi.
Plus Nono avance, plus l'odeur est prenante : ça transpire fort un poulet !
D'ailleurs ça ne sent pas le poulet, mais plutôt…. plutôt… le poney ! 
Ils transpirent comme des poneys, se réjouit Nono !
Et plus il avance, plus l'odeur est forte : il se rapproche.
Ça descend toujours, Nono a bien récupéré, il emmanche sévère, et il sent qu'il revient vite sur les poneys.
- Les poneys ! rigole-t-il dans sa barbe.
Un virage serré à droite, Nono est au taquet, pas question de couper, sus aux poneys ! Une belle bosse, hop, Nono en l'air, sus aux poneys !
Et là, là…
Ah, ça pouvait sentir le poney ! Nono a tout bloqué mais continue d'arriver très vite sur… des chevaux !
Oui, des chevaux, des bourrins, des canassons quoi ! Là, au milieu, impossible de les éviter. Les deux roues bloquée Nono a le temps de décortiquer la scène.
Ses deux complices sont là, discutant avec des collègues montés sur des chevaux, une brigade équestre quoi. Nono en avait entendu parler, mais là il les voit, et il les voit de plus en plus gros… Il voit le cul d'un des bourrins se rapprocher très vite, trop vite, de toute façon tout est bloqué, il lui reste juste à attendre…
Bouf !
C'est le bruit que fait le museau de Nono en s'encastrant dans les fesses du cheval. Bouf, exactement.
Puis Chlurp !
Comme quand tu arraches un pansement.
Titi  le laisse à peine respirer :
- Tiens, le voilà justement, fait-il, très sérieux,  à l'adresse de ses collègues.
Aussitôt les deux cavaliers se mettent au garde-à-vous.
Titi et Grominet le regardent, sourient, hochent la tête et ferment les yeux.
Les deux gars au garde-à-vous portent la main au képi et saluent Nono avec un bel ensemble :
- Mes respects, Monsieur le Préfet.
Nono voit Grominet qui le fixe et,  muet, articule :
- Tricheur !




Promonono.


Nono le Préfet commence mollement sa carrière, ne sachant pas qui est sérieux, ou pas :
- Euh….
- Le colonel nous a expliqué la situation.
- Oui… se lance enfin Nono, parce qu'un préfet qui roule des yeux  et bredouille "euh" sans arrêt n'est pas très crédible.
- Moi aussi je fais du sport, dit l'un des gardes, je cours tous les jours.
Ça y est, Nono est dans la peau du préfet :
- Dans votre jardin j'espère, lâche-t-il d'un ton sévère.
- Bien sûr, acquiesce le gars, avec le sourire en coin qui raconte le contraire.
- Très bien, fait Nono, de l'air du curé dans son confessionnal.
- C'est quand  votre championnat ? demande l'autre.
Grominet intervient :
- Dans un mois et demi, je t'ai dit…
- Ah oui, c'est sûr qu'il faut pas arrêter l'entraînement maintenant, fait l'autre cavalier.
Et il continue :
- Franchement Monsieur le Préfet, vous avez raison. Parce que je suppose que vous vous entraînez depuis un bon moment déjà ?
- Houlà ! fait prudemment Nono…
- Préparer un championnat de France, ça se fait pas en trois semaines… Alors tout arrêter … Pour rien, hein ? Qu'est ce qu'il en a faire le virus que vous rouliez ici, en pleine pampa ?
En veine de confidence, il commence à chauffer :
- Je vais vous dire le fond  ma pensée, Monsieur le Préfet : si on est là avec mon collègue, c'est parce que vous avez signé l'ordre. Nous, se promener à cheval, on aime plutôt ça. Quand le chef nous a dit d'aller faire des barrages pour vérifier les papiers, on n'avait pas envie. Alors on a demandé à venir ici. Le chef  nous a dit qu'il demanderait au préfet, alors moi, Monsieur le Préfet, je vous dis merci. Et dès que je pourrai je ferai savoir…
- Non, à crié Nono, non ! Surtout ne dites rien. A personne. Silence. Secret !
Ça commence à déraper, mais les deux autres imbéciles sont tout sourire.
Usurpation d'identité, ça va chercher dans les combien ?
Mais l'autre et lancé :
- Si si, on voit toujours les préfets comme des gens guindés, tristes, froids. Et vous, là, franchement vous faites plaisir à voir. Ma maman me disait toujours "si quelqu'un t'impressionne, imagine le quand il est aux vécés". Et ben avec vous, c'est pas la peine, on voit que vous êtes humain. Franchement, je suis fier de servir sous vos ordres, vraiment.
Nono est ravi de ne pas finir aux chiottes… Il hoche donc la tête d'un air de fausse modestie. Ce qui encourage l'autre garde qui s'adresse maintenant à Titi et Grominet :
- Vous les gars, vous avez vraiment du bol : accompagner le préfet qui s'entraîne en VTT, c'est de la mission XXL !
Puis, à Nono :
- Je vais vous avouer Monsieur Le Préfet, moi aussi je fais du VTT, et je me suis pas non plus privé de m'entraîner depuis le début du confinement ! Tous les jours je vais faire mon petit tour… Et ce coin là, fait-il en montrant tout autour de lui, je le connais comme ma poche. Alors si vous avez besoin d'un guide… Parce que les deux là, continue-t-il en désignant les deux poulets, ils doivent pas trop connaître le coin…
Et là, Grominet, l'incontrôlable, intervient :
- Ah oui, bonne idée, hein monsieur le Préfet ?
Nono est partagé… Partagé entre l'envie d'emplâtrer ce crétin, et la trouille de foirer l'examen. Parce qu'il s'agit bien d'un examen n'est-ce pas ? Examen de triche, mais examen…
A-t-il le choix ? S'il balance tout, quelle sera la réaction des deux gardes, se rendant compte qu'on les a pris pour des …. glands ?
Alors Nono se résout à jouer le jeu :
-  Excellent, mon cher, excellent !
L'autre, le "mon cher" lui fait grimper l'égomètre en zone rouge : on entre dans l'intimité, on va bientôt se tutoyer, et plus si affinité.
Maintenant Nono, pris d'une soudaine inspiration, va lui faire carrément exploser son appareil ! Tout en enfonçant profondément la tête de  Grominet dans les latrines :
- Et j'espère que le colonel C……R ici présent, nous fera le plaisir de venir avec son petit frère Christophe, vous savez, le…
Glouc et Glouc font les deux gardes, bien en chœur.
Glouc fait Grominet.
Nono sourit.
Titi rigole.
   


La gloire de Nono.


Lorsque Nono arrive à la maison, il est encore tout ébouriffé de son aventure. Son  torse est encore bombé, et son casque lui semble porter les feuilles chêne et olivier de l'autorité et de la paix publique, dorées et entrelacées, qui décorent la casquette préfectorale. C'est ainsi qu'il se dirige fièrement vers son garage.
Et croise la factrice.
Loin de s'incliner avec humilité devant les ors préfectoraux, elle dévisage bêtement Nono, puis se crispe comme sous l'effet d'une grande douleur. Elle tord ensuite la bouche et secoue la tête de droite à gauche, ce qui n'est pas, tu l'auras remarqué, une attitude très correcte face aux autorités. Puis elle se hausse un peu pour étudier la visière de Nono, et recule enfin, l'air effaré.
Enfin elle désigne le casque et, d'une main impérieuse, indique à Nono qu'il mériterait peut être un petit nettoyage.
Nono s'exécute, passe la main sur sa visière…
Et ramène du crottin de cheval.
Fin de l'intermède préfectoral.

Nono revient donc sur terre. Il a un petit fils à assumer, et un restant d'autorité préfectorale collée au fond de son cortex l'incite à remplir sa mission éducative : il va donc aujourd'hui s'occuper de l'éducation et de l'instruction du mouflet, lui montrer la rigueur, la droiture, le travail, et toutes ces belles valeurs, qui lui permettront ensuite de tomber de bien haut.
Il entre donc d'un pas martial dans la maison, et tombe sur le sujet, accompagné d'un bruit de chasse d'eau indiquant qu'il vient juste de mettre fin à une longue nuit réparatrice, il est quand même onze heures…
- Tu te lèves juste ? questionne Nono, pour qui les portes ouvertes méritent toujours d'être enfoncées.
- Bah oui… répond le pilote de chasse les yeux par terre.
- C'est tard.
- Bah oui…
- Moi, j'ai déjà fait trois heures de VTT, se la pète Nono.
- Bah… ça se sent… tu pue comme un poney…
Il faut bien reconnaître… qu'effectivement…
Le môme le regarde alors, et recule, horrifié.
- Houlà, t'es tombé !
- Un peu oui…
- Dans la boue !
Nono n'a pas souvenir d'avoir vu de la boue…
- T'es plein de boue, là… fait le môme en lui touchant  le visage.
Puis il regarde son doigt, le renifle, et hurle :
- C'est… c'est… de la merde, c'est de la merde ! Mamie ! Mamie ! Papy s'est roulé dans la merde !
Nono va au miroir. Horreur : il s'est tartiné le visage dans le cul du bourrin…
Alertée par les cris du mouflet, Madame Nono arrive, et la fait courte : elle hume, tord la bouche, lève les yeux au ciel et, d'un signe de tête, désigne la salle de bain…

Bon, pour les belles valeurs, c'est compromis…
Mais la mission c'est la mission, et Nono, malgré sa précédente expérience, chope le môme et se lance dans Pronote, le fabuleux logiciel  le l'Education Nationale.
Il faut reconnaître qu'au bout d'un mois, les choses ont évolué. Certain correspondants ont totalement lâché prise, balançant leurs recommandations au hasard des rubriques, d'autres ont profité des vacances pour disparaître des radars, et il y en a un qui s'est révélé être un grand informaticien, c'est le prof de physique. Tout bien organisé, tout à la bonne place, impeccable.
Malheureusement, soit il ne sait plus trop à quel niveau il navigue, soit il travaille avec le dictionnaire des synonymes pour crypter ses textes…
- Formule une problématique sur l'évolution de la luminosité des voyants d'une voiture.
Perplexe, Nono observe l'endive qui croupit à son côté : tellement habitué à baragouiner n'importe quoi, il donne l'impression que formuler une problématique sur l'évolution de la luminosité des voyants d'une voiture ne lui posera absolument aucun problème… Tellement cette génération est rodée à l'enfumage…
Si tu en chopes un la main dans le pot de confiture, il va t'embrouiller pendant une heure et te démontrer finalement, que cette main, c'est pas la sienne…. Trop forts. Ils seront d'excellent commerciaux, capables de vendre de la glace à un eskimo, ou des lunettes de soleil à des aveugles. Ah ? C'est déjà fait…
Peut être aussi d'excellents politiciens…
Souvenons-nous que le monstre est en quatrième, avec un niveau de CE2, et que la soupe pour chat qui lui sert de cerveau a déjà disjoncté sur le mélange de l'intensité et de la tension, sur les trucs qu'on ajoute en haut là… euh… oui, les puissances, et que si tu lui cause des voyants d'une voiture, c'est comme si tu parlais des êtres humains à un économiste…
Soudain l'endive observe Nono. Penche un peu la tête, et, totalement admiratif :
- Tu fais vraiment des trucs incroyables toi…
Finalement, il est sauvable, ce gosse…




Nono pédale dans le gratin.


Grominet est-il du genre à se dégonfler ?
Nan.
En conséquence ?
En conséquence, Nono va poursuivre son ascension républicaine : après son, bref, épisode préfectoral, il va pédaler avec un ministre.
Si.
Rendez-vous avait été pris à la fin de la dernière sortie, et les forces, de l'ordre, en présence, se retrouvent donc le jour dit.
Nono se fait désirer et, lorsqu'il arrive, est accueilli par ses amis, Titi et Grominet, le guide-cavalier, désormais juché sur un vélo, et…
Et Sa Majesté le Ministre de l'Intérieur, flanqué de deux types droit sortis d'un film : oreillette à l’oreille, crâne rasé, taillés dans de la viande d'assassin, et vêtus de costards noirs outrageusement bombés à la poitrine, faisant clairement savoir qu'ils ont la puissance de feu d'un sous-marin nucléaire… Dans les films les costards sont impeccables, mais les deux tueurs présents dérogent à la règle, vu qu'ils viennent de se faire cinq kilomètres en courant derrière leur protégé…
Le protégé disposant d'un superbe vélo électrique, ils ont aussi un bout de langue qui pendouille sur leur face ruisselante.
Sa Majesté arbore une sobre tenue de vélo, un peu malmenée par sa corpulence, et le sourire de Depardieu dans "Les valseuses" : décontracté du gland…
La présence du garde oblige Grominet à présenter Nono sous son identité d'emprunt :
- Et voici notre préfet !
Nono affiche donc un sourire de préfet, du genre "je viens de m'exploser un doigt avec ce gros marteau, mais j'ignore la douleur", et, dans un reste de lucidité, évite de se vautrer dans la très grande délinquance en gardant sagement sa main sur le guidon.
Un qui se vautre allègrement, c'est le Ministre, qui fonce sur Nono, lui tend une paluche énorme, mais cependant gantée, et effusionne sa pogne en lui tenant le coude de son autre main, visiblement réjoui de rencontrer le spécimen…
Avec un accent des Alpes de Haute Provence, qu'il gomme ordinairement parfaitement, il accueille chaleureusement un Nono à la limite du pétage de plomb :
- Vé, le voilà ! Ah p….., fais-nous la photo ! dit-il à son frère, en prenant Nono par l'épaule.
" Dans ses petits souliers", est une expression courante, qui s'applique, en cet instant, très exactement à Nono. On pourrait même préciser : Nono aimerait entrer et même se terrer "dans ses petits souliers"… Au fin fond…
Après cette effusion, Monsieur le Ministre dévisage Nono :
- P…., tu me plais toi, il faudra qu'on cause.
Grominet semble ravi, Titi plisse les yeux, avance les lèvres en cul de poule et tend les deux pouces devant lui, ce qui semblerait indiquer que tout va bien…
S'ensuit une discussion très animée entre le Ministre et ses molosses, qui ne semblent visiblement pas d'accords sur la suite du programme. Ça se termine de façon péremptoire, conformément au sens de la négociation qui caractérise le sujet :
- Je le sais que vous êtes des bons, les gars. Mais moi j'avais encore jamais rencontré des gus qui ne savent pas faire du vélo… Alors si vous voulez continuer à vous ruiner la santé à me cavaler derrière, vous pouvez. Sinon, vous m'attendez ici sagement, tiens, là, à l'ombre. On en a pour quoi ? une heure, une heure et demie ? Voilà. Et basta.
- Allez, roule ma poule, fait-il à Grominet en guide de conclusion.
Donc, on roule.
Le garde a dû être briefé, et on n'emprunte que de la piste assez facile. Sa Majesté sifflote à côté de Nono, Grominet et le garde discutent, Titi ferme la marche comme un chien de berger.
- Tu as vu, mon frère, c'est un furieux ! lâche soudain le ministre plein d'admiration.
- Ah ça… opine Nono, totalement sincère.
- Ça lui a valu quelques ennuis, parfois… rigole-t-il.
- C'est peut être pas fini… pronostique Nono.
- Sûr ! Mais c'est comme ça qu'on l'aime…
Grominet les rejoint alors :
- Alors mon gros père, tu la transpires ta vodka, hein !
- Et en plus, il est con, sourit le ministre : il a pas remarqué que j'ai un vélo électrique…
- Electrique ou pas, vu que tu passes ton temps le cul dans des fauteuils, tu vas rester derrière mon gros père ! fanfaronne Grominet.
Et là, juste là, une montée…
Grominet démarre comme un démon, immédiatement suivi de son ministre de frère, bien décidé à relever le défit !
Une dizaine de minutes plus tard, on fait les comptes :
Titi, qui s'était érigé en garde du corps, s'est arraché la peau pour suivre, sans succès d'ailleurs, et il est appuyé contre un arbre, tentant vainement de vomir.
Le garde regarde, effaré, cette bande de tarés, tout en essayant de faire rentrer sa langue dans sa bouche.
Sa Majesté, qui à enfumé tout le monde grâce à la fée électricité, arbore un grand sourire.
Grominet est crampé de partout et gémit par terre.
Nono arrive bon dernier pour constater les dégâts.
Et pense que ça augure bien de la suite…





Le château de Nono.


Après cette première passe d'arme, les choses semblent claires : ça va   saigner !
Grominet l'indomptable fomente sa revanche…
Nono, qui connaît bien le coin, pense que la deuxième manche se jouera dans quelques kilomètres : une longue montée assez technique dans laquelle Grominet pourra faire parler son expérience, tandis que son rival sera désavantagé par son manque de pratique.
On roule donc tranquillement pour l'instant, mais la tension est palpable…
Nono a l'impression que depuis quelques jours il bâtit un immense château de cartes, et que plus il en ajoute, plus l'édifice devient fragile… Tu sais, l'intuition du type qui chute depuis le vingtième étage et qui, en passant devant le premier, dit aux gens qui le regardent :
- Jusque là, ça va…
Parce que la situation est quand même un tantinet instable : il se fait passer pour un préfet auprès du premier ministre, avec lequel il circule en toute illégalité, en plein confinement, accompagnés de trois représentants des force de l'ordre totalement barrés du bulbe…
Un qui ne se pose pas de question c'est Grominet. Depuis sa cuisante défaite il a perdu tout sens de l'humour et Nono, lui-même grand spécialiste, le voit appliquer à la lettre toutes les techniques de cette spécialité indissociable de la sortie vélo : l'intox.
Exemples :
- Se tenir derrière son adversaire, puis prendre de l'élan et le doubler apparemment sans effort, avec un petit gimmick du genre "je regarde mes ongles voir si le vernis est sec…" Cerise sur le gâteau : l'intéressé profère un juron, voire une simple parole. On freine alors immédiatement, pour bien lui prouver qu'on allait vraiment plus vite que lui, on sourit, vraiment décontracté, et on questionne : "tu disais ?"
- Attendre, toujours en retrait, une petite montée dans laquelle tout le monde se retrouvera le souffle court. A quelques encablures du sommet, pédaler comme un taré puis doubler chacun des adversaires en lui glissant une petite parole d'encouragement, afin de lui faire comprendre que "tu vois, tellement je force pas je peux encore parler". Très efficace, mais demande une grande maîtrise du terrain, parce que si on s'effondre avant le sommet de la bosse, on passe pour le gros loser qu'on est…
- Choisir un faux plat montant dans lequel tout le monde est obligé de forcer. Se tenir cette fois à l'avant du peloton, puis choisir une des options suivantes : sortir ostensiblement sa gourde pour boire / sortir une barre et manger / vérifier, toujours très ostensiblement, d'une main décontractée que le sac à dos est bien fermé / sortir son smartphone et photographier le groupe derrière soi après avoir réclamé des sourires…
Grominet pratique tout cela à merveille, c'est un pro de l'intox. Malheureusement pour lui ce groupe est composé, Nono compris, d'un échantillon de population représentatif de tout ce qui existe de plus blaireau chez l'humain :
- trois flics, qui plus est pratiquants  assidus du vélo.
- un politique, qui plus est élu "blaireau de l'année" par l'ensemble de la profession.
Autrement dit, Grominet se ridiculise et gaspille inutilement une belle énergie…
Arrive donc le second test…
Titi, qui s'était fait oublier jusque là -bonne technique également- pose une mine en bas de la côte. Par mesure purement vexatoire, personne ne bouge. Message envoyé à l'intéressé : "même pas peur…"
Le garde, victime de la hiérarchie, ne joue pas : il lui semble compromettant pour sa carrière de mettre minables un colonel, un préfet et un premier ministre…
Nono décide d'adopter la technique dite de "la poubelle".
Elle suppose un égo assez terne, et une propension aux jeux de hasard : on laisse les winners se détruire entre eux, et on ramasse tout le monde en gérant son effort. C'est sans aucun panache, mais permet, en cas de réussite, de faire un grand numéro de fausse modestie…
Grominet lui, vient d'opter pour la méthode dite du "Gros Bourrin". Simple et efficace, elle consiste à débrancher le cerveau et à bourriner jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Bon, ne nous voilons pas la face : si l'on prend deux frères, et que l'un devient colonel de gendarmerie et l'autre ministre… on se doute que la distribution de neurones n'a pas été franchement équitable…
Donc, pendant que l'un se déchire les cuisses et les poumons, l'autre joue avec le petit bouton de gauche sur le guidon, permettant de passer de l'assistance "éco" à la puissance "turbo".
Vingt minutes plus tard, il faut bien dresser un bilan…
Après que Titi ait explosé à moitié de la côte, comme espéré par ses fidèles amis, l'homme électrique l'a dépassé et tranquillement finit premier en haut. Nono et le garde l'ont suivi au sommet. Bien qu'ils aient souffert dans l'ascension, le moment le plus douloureux fut celui où ils dépassèrent un Grominet hagard, poussant son vélo, les jambes totalement raidies par de monstrueuses crampes, proférant un mélange de jurons et de couinements dignes du film "Délivrance". Pour les connaisseurs…
Mais la vraie surprise les attendait encore.
Lorsque le martyr parvint au sommet, un grand silence régnait. Même son ministre de frère joua l'apaisement. Pour dire qu'on lui avait quand même préparé une arrivée assez digne… Nono observait la scène, le garde scrutait ses chaussures, Titi avait la bouche tordue et des yeux de cocker neurasthénique, et monsieur le ministre s'avançait vers son frère pour une accolade. Correct quoi.
Mais Grominet l'indomptable, sans prononcer une parole, pas même un petit juron, enfourcha son vélo, ignora ses compagnons, et se jeta immédiatement dans la descente. Titi, inquiet,  le suivit aussitôt, ainsi que le garde, craignant de les voir se perdre.
Monsieur Nono se retrouva seul avec Monsieur le Ministre…
Début du drame…




Le temps des secrets.


Grominet vient donc de se jeter dans la descente.
- …'culé ! fait le ministre, mi admiratif, mi inquiet, mi fâché.
Oui, je sais, ça fait trois demis, mais n'oublions pas que cet homme est capable de vous arracher deux doigts et un œil d'un même mouvement…
Nono la fait sobre, n'omettant cependant pas d'enfoncer une nouvelle porte ouverte :
- L'a les boules…
- …'culé ! répète l'autre en enfourchant son vélo.
Et il démarre, plein pot lui aussi, dans la descente de la mort qui tue…
Le vélo électrique est un outil merveilleux, il permet à des personnes d'une condition physique moyenne de découvrir des espaces qui leur resteraient inaccessibles sans assistance.
Voilà pour le côté positif.
Il a donc permis à monsieur le ministre "passant son temps le cul planté dans des fauteuils" comme le lui avait aimablement rappelé son frère, d'accéder sans trop d'effort au sommet de cette côte.
Le côté négatif est lié à un principe physique très simple, qui affirme que les côtes sont, assez souvent, suivies de descentes…
Or, si le vélo électrique est un merveilleux outil pour la montée, il redevient un banal vélo pour la descente… Et la descente exige une maîtrise que ne possède pas forcément un quidam "passant son temps le cul planté dans des fauteuils". Si le quidam est, de plus, mi admiratif, mi inquiet et mi fâché, un simple calcul mathématique conclut qu'il a 133% de chances de se vautrer…
Ajoutons à cette probabilité qu'un ministre a pour habitude de prendre le plus court chemin pour atteindre son but, et on obtient un chiffre tel que, même avec la meilleure statistique, il ne peut échapper à la gamelle…
Oui. Parce qu'il existe dans cette descente, un passage vertigineux, que l'on peut cependant éviter en faisant un léger détour.
C'est pour cette raison que Nono s'attelle maintenant à rattraper l'autre furieux avant qu'il ne se retrouve face au vide.
Vu de derrière, un ministre sur un vélo n'est guère reconnaissable, mais un type "passant son temps le cul planté dans des fauteuils", si : il manque, beaucoup, de souplesse… Nono voit le vélo rebondir de plus en plus haut,   et le cul habitué aux fauteuils osciller avec une amplitude exponentielle, dans tous les sens : ça sent le brûlé…
Arrive un gauche assez serré : Nono, les dents sur le guidon, effectue un freinage de Grand-Prix, réussit un intérieur très propre, sort du virage devant le ministre, freine et agite une main à plat vers le sol, ce que n'importe quel individu ordinaire interpréterait comme signifiant "mollo mollo".
Question : un ministre est-il un individu ordinaire ?
Perds pas ton temps, la réponse est non.
Dommage d'ailleurs…
Dommage parce qu'arrive justement le petit raccourci qui t'évite la vertigineuse descente.
L'individu pas ordinaire, loin de se ranger aux injonctions de Nono, le redouble comme un furieux, manque donc le raccourci qui sauve, et s'engage, lesté de ses 133% dans la descente…
Rassure-toi : il a du bol.
Il a du bol parce que Sainte Gamelle s'occupe immédiatement de lui, sans le laisser prendre l'élan qui l'aurait vu finir totalement déchiqueté au pied du mur. Un ministre, ça sait prendre des décisions rapides : lorsqu'il s'aperçoit que sous ses roues c'est le vide, il freine des deux en murmurant sa phrase fétiche :
- …'culé…
Fétiche ou pas, va falloir assumer…
Voici donc quatre vingt quinze kilos de ministre plus vingt cinq kilos de vélo, ce qui nous fait un total de… cent vingt kilos, merci, qui… volent.
Jusque là, ça va…
Lorsque l'équipage touche le sol, les roues sont bloquées, mais pas le ministre.
En conséquence le vélo s'arrête, mais le ministre continue sa trajectoire : il vole encore.
Jusque là, ça va…
La formation à la haute fonction publique, si elle prépare à bien des situations scabreuses, n'inclut pas l'atterrissage sur le ventre en territoire hostile. C'est pourquoi notre sujet rate totalement cet examen : il touche le sol les deux bras en avant, ce qui a pour effet immédiat de les refouler vers le bas et vers l'arrière. C'est ensuite son torse qui prend contact avec le sol, puis le reste du sujet. Pour la trajectoire elle-même, c'est sans problème puisqu'il vient d'intégrer une profonde ornière qui va désormais guider le projectile.
Quelques secondes plus tard la poussière se dissipe et Nono, découvre le spectacle…
Une ornière donc, dans laquelle est allongé, à plat ventre, Sa Majesté, dans une position assez peu protocolaire, puisque ses deux bras sont coincés sous son ventre, réduisant ainsi à néant toute tentative d'extraction autonome… Du genre gros phoque sur la banquise… Détail cocasse, une petite touffe de romarin orne sa lèvre, un peu comme un cochon grillé, quoi…
- …'culé, lâche-t-il afin de prouver qu'il est toujours vivant et que son fétiche ne l'a pas quitté.
Nono l'enfonceur de portes ouvertes ne va évidemment pas la manquer :
- Ça va ?
- Une aute queftion ? murmure l'autre en crachant le romarin.
Puis il tente de bouger en grognant : habitué aux sangliers, Nono ne peut retenir un sourire…
Il faut aussi dire que le ministre de l'intérieur n'a jamais autant mérité son nom, depuis qu'il est encastré dans cette ornière…
Privé de ses bras, la victime arrive à remuer les pieds, ce qui semble notoirement insuffisant pour espérer un quelconque retournement de la situation.
- Je vais vous… commence Nono…
- Grouik, répond le ministre, évacuant quelques cailloux de sa bouche.
Nono prend alors les choses en mains. Enfin tente…
Parce qu'il s'avère que l'ornière est si bien remplie qu'il lui est impossible de passer les mains sous la victime pour la soulever !
- On est mal on est mal ! mumure Nono…





Le temps des amours.


Résumons : Nono est face à un joli cochon de lait de quatre vingt quinze kilos coincé dans une ornière, et ne peut même pas passer ses mains sur les côtés pour le soulever.
L'animal est habillé d'une tenue de vélo, laissant espérer une prise possible. Voici donc Nono, à califourchon sur un ministre en exercice, tentant de lui arracher successivement son maillot, puis son cuissard…
Mission impossible.
- Téphone, murmure la victime.
- J'ai pas de téléphone, avoue Nono.
- Hon téphone han ha  hoche ! s'énerve l'allongé en remuant la tête.
Voici donc Nono fouillant un ministre en exercice… Rien…
- Dans gna poche ! grogne l'autre.
- Nan, dit Nono, perdu…
Il remonte un peu la pente à la recherche de l'appareil, sans succès. Il va falloir survivre seuls… parce que si on les cherche, on ne viendra pas fouiller ici… hors du circuit prévu…
Nono tente de soulever les pieds, sans autre effet que de tirer des grognements du blessé. La seule solution semble donc être de lui faire retrouver l'usage de ses bras, mais il va falloir pour cela soulager tout l'avant de… du… du ministre…
Nono s'accroupit alors face à lui, et tente de soulever la tête.
- Gargol ! suffoque l'autre.
- Désolé… gémit Nono.
Et là, là… un beau sourire apparaît sur la face du ministre ! Il est même tenté de rire mais l'opération semble un peu douloureuse pour l'instant.
- Hé bras ! articule-t-il.
- Oui, fait Nono, on va essayer…
Alors, âmes sensibles sautez quelques lignes, Nono s'accroupit près de la tête, et fait ramper ses mains sous le torse du ministre.
- Ouïne ouïne , fait la victime en riant à moitié : il est chatouilleux…
Les mains de Nono s'enfoncent plus en avant, il progresse un peu, ses mains gagnent, il avance encore.
- Uh euh une hipe ? bredouille l'autre, le nez fourré dans l'entrejambe de Nono.
On ne rit pas : il s'agit d'une opération de sauvetage !
Nono réussit enfin à attraper une main, leurs doigts se crochent et rampent maintenant en sens inverse, jusqu'à ce qu'un appui soit possible. Le mourant réussit alors à se décoller légèrement du sol.
Vas-y Nono, fonce !
Nono attrape la main ainsi libérée, bascule sur le côté,  tire sur le bras et le lève, faisant ainsi basculer le corps dans l'ornière.
Quelques secondes s'écoulent, pendant lesquelles divers grognements se succèdent, sans qu'on puisse précisément les attribuer à un sanglier, un porcelet ou un phoque…
Couché sur le côté, le ministre dévisage Nono, puis un haut le cœur le traverse. Un autre, et il commence à être secoué d'un rire spasmodique, qui semble lui procurer autant de plaisir que de souffrance. Il rit, il s'esclaffe, en tordant terriblement la bouche sous la douleur, c'est horrible, c'est dantesque, mais Nono est contaminé, il rit, il éclate, il pleure de rire et finit par manquer de souffle…
Quelques contorsions plus tard, ils sont assis côte à côte, les pieds au fond le l'ornière, et reprennent leur souffle.
En manque d'inspiration le ministre murmure :
-…'culéculéculéculé… avec un accent des Hautes Alpes qui sent le mouton.
Il semblerait que la tenue l'ait assez bien protégé, et que rien ne soit cassé à l'intérieur. Il a finit de cracher du romarin et du caillou, et tous deux tétinent leurs bidons d'eau.
- Aqui, li sian bèn, continue-t-il, sans que Nono comprenne…
- Euh…
- C'est pour dire que ça va mieux… j'ai eu peur quand même…
Nono lui fait voir son casque qui a pris un bon pet : l'autre éclate de rire !
Puis il penche la tête, observe son maillot déchiqueté, et éclate de rire !
Il frotte ensuite ses genoux incrustés de cailloux, ce qui le met également en joie… Puis il commence une phrase :
- Ecoute Nono…
S'arrête et pouffe…
Y'a pas que le casque qui a prit un pet…
- Ecoute Nono, reprend le pété du casque en s'efforçant de ne pas éclater de rire, il m'arrive des trucs louches en ce moment…
Appliquer l'adjectif "louche" au fait qu'un ministre de l'intérieur se prenne une gamelle en VTT, à neuf cent kilomètres de son lieu de résidence, en plein confinement ; peut s'apparenter à une litote…
Foin de litote, en veine de confidences, il continue :
- Tu vois, je suis plus très sûr d'être ministre…
Nono se dit que ce doit être contagieux parce que lui-même ne sent plus très sûr d'être préfet non plus… Mais il la ferme prudemment.
Toujours à la limite du fou rire, il continue :
- Tu sais qu'on a tous une doublure ?
- Euh… couine Nono.
- Les ministres : on a une doublure, un sosie, pour nous remplacer aux manifestations peu importantes, ou trop risquées…
- Glouc … acquiesce Nono un peu inquiet parce qu'on entre quand même dans le secret d'état là, non ?
Ce qu'un pet au casque peut faire, quand même…
- Et ben ma doublure, il essaie de me piquer ma place.
Okay : science fiction maintenant…
Il explique que sa doublure s'est fait choper en boîte, tripotant une blonde qui n'était évidemment pas la sienne, et engloutissant des litres de vodka gracieusement offerts par le contribuable. Pour éviter tout problème on a exfiltré le noctambule directement au ministère, et convoqué le ministre. L'erreur fatale fut de s'enfermer avec le sosie pour lui passer un savon…
L'autre, munit d'un culot à côté duquel celui de Trump passe pour un simple haussement de sourcil, est sorti de la pièce en engueulant le ministre ! Un peu estomaqué, le Cricri a fait une seconde erreur : il lui  a collé une droite. Maîtrisé par les gardes du corps, on l'a emmené à l'écart tandis que l'usurpateur se la jouait offusqué. Perdu pour Cricri…
Depuis, personne ne sait quel est le vrai et le faux….
- Il a même téléphoné à mon père ! se lamente-t-il,  il sait tout sur moi !
Et là il hurle de rire… mais tu sais, le rire du type qui se jette dans le vide pour en finir…
Tu connais Nono: on l'a forcé à manger de la terrine de Saint Bernard lorsqu'il était petit, alors les missions de sauvetage sont devenues son karma…
Du coup il a les neurones qui bouillonnent.
L'usurpé murmure :
- Je suis fatigué là…
- On va y aller, fait Nono doucement.
Il remonte les deux vélos, puis le comique dépressif au sommet de la côte. Le remet en selle, et on repart tout doucement.
Surveillant l'accidenté d'un œil, Nono cogite.
Lorsqu'ils arrivent enfin, les deux cerbères sont au bord de la crise de larmes tellement ils sont contents de revoir leur protégé. Grominet chope son frère et le tripote de partout pour vérifier qu'il ne manque pas de morceaux. Le garde et Titi ressemblent à de vieux ballons dégonflés tant ils ont soufflé.
On rentre doucement. Soudain Nono s'approche du ministre, et, avec un sourire, lui tape sur l'épaule :
- J'ai trouvé !




Sièu d'Oulièle.


Le soir même, petite réunion à la mairie.
Le pseudo ministre s'est déplacé en urgence au prétexte qu'on a un très gros problème avec le colonel C……R, ci-devant frère du rival : il menace d'exécuter la brigade entière si le pseudo ne vient pas lui causer… Le genre d'incident qui risque de faire tache s'il n'est pas traité rapidement…
Il débarque donc avec les porte-flingues à oreillettes, et est accueilli par le préfet.
Nono est dans les coulisses. La ressemblance est telle qu'il doute un instant… le temps de constater que le nouvel arrivant promène un menton intact, contrairement au vététiste…
En coulisse se trouvent également les duettistes, et le ministre déchu.
On frôle la catastrophe lorsque se pointent les municipaux qui accompagnent le maire : ce sont les deux gardes équestres ! Sans doute désireux de montrer à leur patron qu'ils connaissent du beau monde, ils se ruent sur Nono en lui tendant leurs petites mains et en lui balançant du "Monsieur le Préfet" par rafale.
Le maire, qui connaît quand même bien son préfet, se met à flotter…
Déjà qu'on lui explique à dix sept heures que le ministre de l'intérieur et le préfet vont venir lui faire une petite visite pour le souper, déjà qu'on ne lui donne d'autre indication que "secret défense", déjà qu'on se renseigne sur son pedigree en lui demandant quasiment s'il porte à droite ou à gauche…
Si en plus on brouille ses repères au point d'envoyer un préfet qu'il ne connait pas et dépourvu des apparats de fonction qui font la dignité du personnage…
Le maire est un grand échalas de deux mètres, au crâne rasé surplombant de petits yeux de tueur, profondément enfoncés. Il en est à son cinquième mandat, pour dire qu'il a déjà connu des situations scabreuses, mais il est présentement si perturbé qu'il lève un sourcil !
Puis ses beaux yeux de tueur se posent sur Nono, qui se dit qu'il aurait mieux fait de choisir baby-foot que VTT…
Une petite faiblesse dans les genoux, il commence à bredouiller :
- Je vais vous expliquer….
…cherchant désespérément de l'aide dans les alentours…
Arrive alors Grominet qui, dans un salut impeccable, fait péter son nom et son grade.
Un cerveau de maire fonctionne généralement à une vitesse correcte, et l'intervention de Grominet fait bon effet sur l'élu, qui demande quand même précisions :
- C……R ?
- C'est mon frère.
C'est toujours pareil… Dès que tu te présentes comme assez proche d'une célébrité, tu prends instantanément une autre valeur aux yeux de ton interlocuteur… Tellement humain et tellement pitoyable, que les pires escrocs de l'histoire n'ont jamais rien fait d'autre que d'exploiter cette faille…
Toujours est-il que l'échalas à écharpe tricolore se fend d'un demi-sourire qui signifie "bien reçu mon cher ami, nous pouvons donc causer entre honnêtes gens…"
Et Grominet, du haut de sa superbe, d'expliquer la situation et le rôle qu'on entend lui faire jouer. Il semble apprécier le scénario, au point qu'un vrai sourire apparaît au milieu de son visage d'assassin : ça fait peur…
Tout est en place.
L'usurpateur discute avec le préfet.
On envoie le ministre…
Il est tout rafistolé, mais ficelé dans un costard à dix mille boules, ça passe…
A sa vue, le préfet a un petit hoquet, puis il reste la bouche ouverte à faire des bulles. On voit sa casquette qui va de l'un à l'autre, tandis que ses gants blancs se tortillent pour tenter d'exprimer son incompréhension.
L'usurpateur a des nerfs :
- Et voilà de nouveau notre candidat ! lance-t-il avec son incroyable culot.
L'autre en face a retenu la leçon : il se garde bien d'emplâtrer l'enflure…
Il garde son air sérieux de ministre, tout en levant une commissure à l'intention du préfet.
Et puis, derrière eux, arrive le maire :
- Adiou…
Les sosies se retournent.
- Me dison Ferdi.
- Adiou, me dison Christophe, d'oute sies ? Sies d'aqui ? questionne le ministre.
- Sièu d'Oulièle.
- Oulièle ! Siéu d'Oulièle autambèn !
- Coume vai ?
- Balin-balan…
Et les voilà qui tapent la discute en provençal : c'est joli, c'est chantant… et ça contrarie profondément le sosie qui se voit ainsi démasqué…
Eh oui, si tu es né à Ollioules, tu parles la langue…
Il est question de "Chiapacan" lorsqu'ils désignent le sosie, qui, lui, fait maintenant   "le gobi", c'est-à-dire qu'il attend, la bouche ouverte…
Grominet et Titi s'avancent, avec les tueurs à oreillette, et pêchent le gobi.
Nono respire enfin.
Le préfet écoute les explications de Grominet en hochant la casquette, mais on sent qu'il a du mal à réintégrer le réel…
Un qui n'a aucun problème avec ce sujet, c'est Sa Majesté  Le Ministre.
Il expédie le maire et le préfet d'une poignée de main mollassonne, donne des ordres, le menton levé, les tueurs l'entourent, tout le monde se dirige vers la sortie. 
Une petite tape sur l'épaule de son frère, un petit signe de tête à Nono, il s'engouffre dans le van noir, et disparaît…
- …'culé… pense Nono.
Les politiques, c'est comme les poupées gonflables…
Si tu n'en attends rien, tu n'es jamais déçu…



Fumer le pangolin.

Voici Nono revenu à l'ordinaire.
Et la fin du confinement approche.
Ces semaines, outre qu'elles ont été riches en événements, nous ont rendu le Nono différent de ce qu'il était.

Il avait accueilli une endive molle gavée de jeux vidéo et d'écrans de toutes sortes, qui s'est transformé en ado gazouillant, par la grâce d'une restriction radicale de l'usage des machines à décérébrer. Téléphone une heure par jour, et basta.
Une communication a ainsi pu être établie, et il est devenu capable d'apprendre et retenir quelques données fondamentales, dont l'absence faisait capoter toute tentative de progression.
Mais dans quel état sont ceux qui ont continué le gavage ?
Ben… ils sont juste à point, finalement…

Son expérience télévisuelle lui a fait reconsidérer le rôle des médias. Nono a désormais la sale impression que ces vecteurs ont pour fonction principale de transformer en spectacle tout ce qu'ils touchent.
La sale impression que tout ce qui vit de la pub, est vendu à la pub…
La sale impression que les journaux vivant exclusivement de leurs ventes sont fragile et précieux.

Sa brève fréquentation de la haute administration et de l'engeance politique l'a amené à cette laconique conclusion :
- Les politiques sont comme les poupées gonflables : si tu n'en attends rien, tu n'es jamais déçu.
Sur un plan plus global, le bilan semble, hélas, être le même: grotesque.

Grotesque que les masques soient inutiles lorsqu'on en manque, et obligatoires lorsqu'on les vend.
Grotesque la transformation soudaine des emmerdeurs du service publique en demi-dieux soignants.

Grotesques les agités du bocal pour qui cette crise n'est qu'un accident de parcours, et qui vont repartir de plus belle vers la suivante.

Grotesque d'aller skier à Dubaï.
Grotesque d'aller faire les soldes à New York.
Grotesque de fumer le pangolin pour réveiller coquette.

Grotesques leur pétrole qu'ils  vendent au prix de l'or.
Grotesque leur pétrole qu'ils te paient ensuite pour les en débarrasser.
Grotesque leur "loi des marchés" qui vient nous pleurer des subventions quand ils sont arrivés au bout de leur nullité.
Grotesques leur shoot au bénéfice net et au CAC 40. L'endive est la preuve que les bonnes vieilles méthodes donnent de très bons résultats...

Grotesques les bricolages incessants et approximatifs de dirigeants pétant de trouille derrière leur arrogance. Pour le bricolage, Nono peut donner des leçons.

Grotesques les raisons pour lesquelles on s'excite, les priorités finissant toujours par s'imposer.
Sans oublier surtout, et pour être parfaitement honnête, grotesque d'oublier que notre liberté de critiquer n'existe pas partout :
critique gouv.turquie, critique gouv.russie, critique gouv.egypt, etc… sont des adresses inconnues…

Et Nono de conclure, tel le taureau dans La Corrida de Cabrel :
- Est-ce que ce monde est sérieux ?

Un contact ? lepatafon@gmail.com

Si vous avez apprécié vous pouvez retrouver d'autres textes ou aventures ci-dessous.

Championnat du monde de délinquance.

NONO FAIT LE CONFINE

https://confination.blogspot.com/

Championnat du monde de prise de tête.

FLAT CAB

https://flatcab.blogspot.com/

Championnat du monde de la béatitude.

LA RECETTE DU POIREAU AU SABLE

https://larecettedupoireauausable.blogspot.com/

Championnat du monde de brassage de tortue.

Y'A DU MONDE AUX BALKANS

https://yadumondeauxbalkans.blogspot.com/

Championnat du monde de mauvaise foi.

LE RAID NOUNOURS

https://leraidnounours.blogspot.com/

Championnat du monde de plantage dans le sable.

LE BOULET DES DUNES

https://monbouletdesdunes.blogspot.com/

Championnat du monde de persistance dans l'erreur.

BON COMME LA DUNE

https://boncommeladune.blogspot.com/

Championnat du monde d'amateurisme en Lybie.

ON A MARCHE SUR LA DUNE

https://onamarchesurladune.blogspot.com/

Championnat de France de Cross-Triathlon.

NONO SE FINIT

https://nonosefinit.blogspot.com/

Championnat du monde de triathlon en Floride.

AU PAYS DES GATORS :

https://lepaysdesgators.blogspot.com/

Championnat du monde de plantage de camping-car.

L'EUROPE EN BAS A GAUCHE

https://enbasetagauche.blogspot.com/

Championnat du monde de romantisme al dente.

DU PIED GAUCHE DANS LA PIZZA

https://dupiedgauchedanslapizza.blogspot.com/

GUIDE MOTO POUR RESTER EN ETAT D'EN FAIRE.

https://survivreendeuxroues.blogspot.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Commentaires