Si vous êtes là,
c'est qu'une personne de goût vous a donné l'adresse de cet excellent récit...
Les aventures de
Nono le confiné ont été écrites quotidiennement pendant le confinement.
Elles étaient
destinées à assouvir la passion de l'auteur pour l'écriture, à lui faire
relever le défi que constitue une chronique quotidienne, et à distraire un
cercle d'amis, saturés de chatons joueurs et d'hymnes aux soignants
dégoulinants de pétainisme.
Les aventures de
Nono sont la petite dose de délire quotidien qui fait que chaque jour est
différent des autres.
Il se trouve
qu'au fil des récits un semblant de structure se fit jour… et qu'on frôla la
série à douze épisodes par saison…
La mise en forme
chronologique des ces épisodes en rendra la lecture plus agréable.
Alors puisque
vous êtes là, profitez, délirez, souriez, et laissez vous porter par la
légèreté…
Ou l'humour à
gros godillots…
C'est la marque
de fabrique : ne pas se cantonner à un genre.
Et souvenez-vous
que toute ressemblance avec des situations ou des personnages existants ou
ayant existé ne serait que pure coïncidence.
L'article 1 du décret du 23 mars 2020.
Nono promenait
son VTT sur la grosse piste du Fournel, lorsque la voiture de gendarmerie
arriva face à lui. Il se composa le bon sourire de l'innocent, mais à
l'intérieur on pouvait entendre de gros jurons bien gras destinés à la fois aux
bleus et au destin maléfique qui les avait mis sur son chemin.
- Bonjour
Monsieur, gendarmerie nationale, montrez-nous votre attestation de déplacement
dérogatoire... ...s'il vous plait.
Nono se dit qu'il
pouvait le prendre au mot et lui dire que ça ne lui plaisait pas du tout, mais
ça ne lui sembla pas être la meilleure idée de la journée…
Alors il élargit
son sourire et fouilla sa poche arrière. Comme il avait un peu transpiré depuis
trois heures qu'il pédalait, il sortit quatre morceaux baveux qu'il déposa
artistiquement sur son avant bras. Ils collèrent immédiatement à la peau
ruisselante, et le peu d'informations visibles qui s'y trouvaient encore
disparurent en une grande tache noire et bleue. Nono tira encore un peu sur ses
zygomatiques, mais le képi ne le remarqua même pas, occupé qu'il était à
examiner ce qu'on ne pouvait déjà plus qualifier de document. Quand il releva
le nez, il semblait clair que l'attestation ne lui avait pas donné entière
satisfaction.
- On peut rien
lire, reprocha-t-il sèchement.
Nono décida de la
fermer et d'attendre…
- Vous avez une
pièce d'identité, s'il vous plait ?
Okay, le gars
aimait vraiment les trucs immondes : Nono sortit de sa poche une sorte de patte
à vaisselle pliée en huit, qui pourrissant depuis dix jours dans sa veste. Le
sourire un peu fané, il le tendit à l'amateur d'objets humides, en prenant
l'air désolé du gars qui vient de se lâcher dans son pantalon.
Son nouvel ami
regarda le truc d'un air dégoûté, sans le toucher, et embraya sèchement :
- Etes-vous dans
un rayon de un kilomètre autour de chez vous ?
Nono prit le
temps de réfléchir : soit le gars était prêt à croire qu'il habitait vraiment
en plein bois, soit il fallait bien admettre que, même si le dernier kilomètre
d'un marathon paraît toujours plus long que le premier, les deux font mille
mètres, et pas plus… Et le Nono était bien à une vingtaine de kils de son
domicile.
Donc les choses
se compliquaient…
- Pas tout à
fait, susurra Nono de l'air le plus modeste qu'il put.
- Z'habitez où ?
insista le keuf en désignant les quatre pelures dégoulinantes toujours collées
au bras de Nono.
- Sainte Maxime,
flûta Nono comme on annonce à un condamné à mort que c'est pour aujourd'hui.
- On est à
Roquebrune ici ! s'échauffa l'autre.
- Ah bon ? risqua
Nono, le regrettant aussitôt en voyant le gars lorgner sur la grande carte GPS
étalée sur l'écran 7 pouces ultra brillant et incassable du Garmin planté au
milieu du guidon.
- Vous vous
foutez de moi ! glapit le flic avec un sourire mauvais.
Le Nono décida de
s'intéresser à ses chaussures pour éviter le regard du tueur.
Qui lui planta sa
grosse main sous le nez et déplia le pouce tel César face aux gladiateurs.
- Premièrement
vous êtes… commença-t-il… Mais son coéquipier l'interrompit.
- Chef ! disait-il en plaçant sa main autour
de son oreille et en levant un index interrogateur.
Dans une parfaite
imitation le chef releva la tête, porta la main à son oreille et leva l'index.
Nono entendit
distinctement le ronflement d'un quatre cylindres diesel martyrisé : le boucan
se rapprochait à toute allure. Les flics s'avancèrent en direction de leur
voiture qu'ils avaient laissée au milieu de la piste, puis ils accélérèrent
gravement parce qu'il paraissait de plus en plus probable que le gros 4X4 qui
fonçait vers eux allait sortir du virage en sucette complète et contrebraquage
d'enfer, et ne pourrait éviter le pauvre Duster planté au milieu du circuit.
Nono balaya d'un
coup le chiffon collé sur son bras, le roula en boule avec l'autre serpillère
et bourra tout ça au fond de sa poche. Puis il laissa glisser mollement le vélo dans le
sens de la descente et, le premier virage pris, se paya un Roquebrune / Sainte
Maxime à 19 de moyenne, le cardio à 95%, ce qui, tous les vrais sportifs en
conviendront, constitue une excellente séance d'entraînement pour qui rêve de
déposer tout le monde à la prochaine course...
Délinquant !
Nono sait qu'il
est vraiment un gros délinquant : il fait du VTT pendant le confinement.
Pendant que
"les soignants sont au front".
Autrement dit, il
court le risque d'engorger les hôpitaux et prend du bon temps pendant que nos
héros se battent.
Mais je te
déconseille d'aller chatouiller le Nono sur ce sujet, parce qu'il risque alors
de verser encore plus dans la délinquance, genre atteinte à la vie d'autrui.
Il faut dire que
le Nono, les soignants, il connait un peu, vu qu'il a exercé pendant vingt huit
ans dans un hôpital en tant que chef de service.
Et qu'il a
finalement lâché l'affaire il y trois ans, parfaitement écœuré par
l'étranglement progressif et planifié du système de santé publique. Le Nono a
fait des gardes quatre nuits d'affilé, il a fait des heures supplémentaires
sans jamais les compter, il a jonglé avec les lits dans les couloirs, avec le
matériel en panne depuis trois ans, avec le manque de perfs, avec le manque de
draps. Il a imposé des arrêts de travail à des infirmières au bord du
suicide, il a donné des consultations à
neuf heures du soir dans un sous-sol lugubre et dans un bureau juste assez grand
pour loger trois balais, et il s'est fait engueuler dans un douzaine de langues
différentes parce que ma femme doit être auscultée seulement par une femme,
parce que ça va pas assez vite, parce qu'on est six à accompagner notre copain
en coma éthylique et qu'on va tout péter si tu le fais pas passer avant les
autres, et parce que allo quoi tu comprends pas qu'il faut me prescrire un
stérilet là, aujourd'hui, dimanche, au service des urgences…
Parce que si tu
le chatouilles sur ce sujet, il va te demander, le Nono, si par hasard, il y
trois mois, tu n'avais pas ton gros cul posé dans ton gros fauteuil face à ta
grosse télé en buvant tes grosses bières tout en le regardant défiler dans la
rue à dénoncer la destruction du système de santé.
Et parce que ça
l'étonne, le Nono, qu'on trouve aujourd'hui tous ces pouilleux de soignants si
sympathiques et si dévoués alors qu'on leur avait claqué toutes les portes au
nez quand ils avaient le culot d'aller demander quelques lits supplémentaires.
Et il trouve aussi curieux, le Nono, qu'on balance aujourd'hui des milliards
d'euros alors qu'on lui a expliqué en long en large et même en travers qu'il
fallait toujours plus réduire les coûts parce qu'on n'avait plus de sous.
Et vraiment dispendieux
aussi qu'on achète des masques 25 fois leur prix alors qu'on aurait pu juste
les avoir dans un placard.
Et, surtout, le
Nono supporte assez mal que certains pensent qu'on peut vraiment tout acheter
et bourrent le mou à "nos
héros" en leur promettant des lendemains qui chantent à coup
d'augmentation de salaires, alors qu'ils
demandent juste, les héros, qu'on leur donne les moyens de faire correctement leur travail. Ce film il l'a
déjà vu Nono : à la fin on plante une médaille sur les survivants, on pleure
cinq minutes sur les morts, et on recommence les conneries…
Alors tu vois, le
Nono il se la coule douce pendant le confinement et c'est un gros délinquant vu
qu'il risque d'aller contaminer les lièvres.
Mais si tu le croises, sois
prudent : n'essaie pas de lui faire la morale.
Adam !
Pour changer un peu,
Nono va faire du footing. Il a sagement téléchargé l'appli lui indiquant son
périmètre de liberté et a constaté qu'il pouvait aller jusque dans le petit
bois, en faire le tour et revenir. 1852m
la boucle, il part pour deux tours et puis on verra. Bon, un peu culpabilisé il
a évité la tenue fluo flashy, et a opté pour le short tristounet, les baskets
grises et le maillot marqué "Castorama "avec lequel il a lavé la
ouature ce matin : depuis qu'il a vu à la télé tous ces salauds de joggers en
train de propager zéro virus à personne autour d'eux, Nono se dit qu'il faut se
la faire discrète. Ça commence mal lorsqu'il passe devant un type en train de
bricoler son portail. Nono est un garçon poli et bien élevé, alors il dit
bonjour au gars, qui le regarde avec un air hargneux, comme s'il avait vu à la
télé le même reportage que lui sur ces salauds de joggers…
Il traverse
ensuite son quartier, en se disant, un peu comme Fugain il y a… euh… ah oui…
quand même… 1972 ça fait… pas loin de 50 ans… en se disant donc " merde que ma ville est belle sans ces
putains de camions ". Et puis voilà le petit bois. Bon, il connait
très bien puisque c'est toujours par là qu'il commence son jogging, c'est
tranquille, c'est calme, c'est…
Ben, d'habitude
c'est tranquille et c'est calme. Aujourd'hui beaucoup moins. Il faut croire que
tous les confinés désireux de respirer un peu dans la verdure ont dû
télécharger la même appli que Nono : des poussettes, des vélos, des chiens, et
pas que des petits, bref, dix fois plus de monde que d'habitude. Nono c'est un
optimiste, il se dit que là-bas il va tourner à droite et retrouver la
tranquillité. Ben là-bas, que tu ailles à droite ou à gauche, c'est plein de
confinés…
Bon, tu sais déjà
que le Nono c'est un gros délinquant, alors il part tout droit et cinq minutes
plus tard, sans même regarder l'appli sur son téléphone, il sait qu'il est
entré dans le grand bandistisme : plus personne. Encore cinq minutes de
gangstérisme et il se fait une petite pause. Et là, là !
Il entend les
insectes, les feuilles qui bougent, la nature quoi. Pas de bruit de fond, pas
d'avion, rien, que le bruit de la vraie vie. Le Nono, il lui vient une envie de
pleurer : tout ce qu'on manque, d'habitude… Le boulevard pas très loin, là,
derrière, oublié, silencieux. Le ciel, pur, silencieux. La forêt, vide, juste
remplie des ses propres sons, ses insectes, ses feuilles, ses bestioles et
même, si, écoute bien, un ruisseau. Tu as déjà entendu parler du Paradis ? Et
bien le Nono, là, il entend le Paradis. Alors il marche silencieusement, et
puis il se remet à courir, silencieusement, le Paradis défile autour de Nono,
Nono qui s'enfonce toujours plus loin dans l'abjection, foulant au pied
l'article 3 du décret du 23 mars 2020, Nono qui effleure le sol, qui pratique
empiriquement la foulée médio-pied, qui pose son avant pied juste sous son
genou pour ne pas taper le sol, qui amortit sans bruit, qui propulse le pied
vers l'arrière pour avancer en l'air et qui s'aide des bras pour se faire
encore plus léger. Sacré Nono, le voilà qui vole en rase motte, il a la banane
en travers de la tronche, des insectes se collent sur ses dents, ses oreilles
font 3m² chacune pour capter tout ce magnifique silence, Nono court au Paradis,
il est totalement à poil, il est Adam, il va retrouver Eve, elle est
heureusement allergique aux pommes et ils vont s'envoyer en l'air comme des
fous pour peupler cette putain de planète si belle sans personne dessus.
Bon, c'est pas
tout les gars, mais il y a un mort en travers du chemin. Le type est allongé à
plat ventre, la tête et les bras dans les cistes, raide. Nono s'approche tout
doucement, le type n'a pas un frémissement. Nono découvre alors l'appareil
photo, la fleur de ciste, offerte, l'abeille qui se goinfre de pollen, les
ailes dans la lumière, l'abdomen duveteux qui reflète le soleil.
Nono recule
lentement. Sans bruit il s'éloigne, laissant le photographe à sa contemplation
du paradis.
Briconono.
Après son voyage
au Paradis, Nono est déchiré. Déchiré entre l'envie de profiter chaque jour de ce
plaisir et la bonne grosse culpabilité du sportif en ces temps de crise. Elevé
dans la foi catholique, Nono à toujours un diable sur l'épaule droite et un
ange sur la gauche. A son âge, il a déjà fait la part des choses et connaît les
délices des jeux interdits, mais le petit avec l'auréole est vraiment très
insistant ce matin. Alors Nono décide de bricoler un peu, plutôt que d'aller se
vautrer en vélo pour occuper un peu les pompiers et les toubibs.
S'il y un truc
qu'il craint Nono, c'est grimper sur une échelle. Mais personne ne va venir
changer l'ampoule du hall qu'un abruti d'architecte a planté à 6 m de haut pour
"créer un beau volume de vie par la grâce une lumineuse mezzanine":
si on faisait habiter les archis dans les piaules qu'ils dessinent, on aurait
moins souvent envie de les tuer… Bon, Nono commence par arracher
l'applique du salon en manœuvrant avec
l'échelle, puis il piétine évidemment un éclat de verre, traîne du sang dans
toute la maison pour arriver devant la salle de bain et explose le miroir de la
chambre parce qu'il a pas pensé à poser l'échelle avant de courir se soigner…
Sur son épaule
droite, ça ricane… Dois-je préciser que Madame Nono a seulement levé les yeux
au ciel en tordant la bouche ?
Une fois soigné,
le Nono, qui fait partie de la race des guerriers, décide qu'il va te la
changer cette saloperie d'ampoule, et que ce ne sont pas quelques dégâts
collatéraux qui vont le faire caler.
Il plante
l'échelle contre le mur et protège le sol avec le tapis de bain, qu'il glisse
sous les pieds. Puis commence l'ascension de Nono qui, tel le Christ, gravit
son Golgotha et arrive, oh joie, vers l'ampoule maudite. La garce est retenue
par un clip métallique qui, bientôt décoincé par les doigts habiles de Nono,
s'échappe évidemment. Nono se penche et envoie la main pour le rattraper, l'échelle bouge, Nono, dans un ultime réflexe
se cramponne à l'ampoule et commence la descente.
Oui, madame Nono
aime bien que son intérieur brille, et le tapis de bain sur le plancher ciré,
c'était pas la bonne option… Nous avons donc l'échelle qui laboure le mur sur
lequel elle s'appuyait, nous avons Nono qui tire trois mètres de fil à la suite
de l'ampoule, puis les pieds de l'échelle qui se bloquent contre le canapé, les
pieds de Nono qui passent chacun d'un côté du barreau… Encore 78 cm - c'est la
longueur de l'entrejambe de Nono mesuré il y a trois jours pour bien régler la
selle du vélo - encore donc 78 cm et…
Ok, les gars
lâchez votre braguette, et vous les
filles si ça vous fait rire, essayer d'imaginer l'état de l'objet…
Et plaignez la
femme du bricoleur, qui va devoir utiliser un truc black et d'équerre…
Bon, tu sais ce
qu'il a fait le Nono ? Il a réussit à rattraper l'échelle juste avant de
s'écraser la nouille sur le barreau, il a décoincé l'engin, et il est allé
directement au garage.
Puis il a prié
l'auréole de son épaule gauche d'aller se faire voir, pris le VTT, et, confiné
ou pas, est sorti faire de la délinquance dans la colline.
Et si tu penses
qu'il prend un risque inconsidéré c'est que tu n'as jamais changé une ampoule…
Nono Rambo.
Nono et le sport,
c'est une histoire d'amour, alors il a décidé que confiné et sportif c'était
possible.
Du fond de son
garage il a sorti un home-trainer récupéré un jour à côté de la poubelle, il a
soufflé la poussière puis coincé son VTT là où il faut. Nono regarde ça d'un
air attendri : on se croirait dans le garage d'un pro.
Quand il arrive
vers madame Nono équipé de pied en cap et lui annonce qu'il va faire du vélo
dans le garage, elle avance les lèvres, ouvre les yeux en grands et hoche
lentement la tête…
De retour dans sa
nouvelle salle de sport, Nono vire d'abord le chat qui s'était installé sur la
selle, ouvre la porte du fond pour faire un agréable courant d'air, pose sur le
guidon la séance qu'il a imprimée sur internet et enfourche le vélo. Un petit
appui sur le compteur et voilà que défilent sa fréquence cardiaque, sa vitesse
de rotation et le petit chronomètre parti pour une heure.
Le pneu arrière
ronronne doucement, Nono voit battre son petit cœur sur l'écran, que du
bonheur. Pendant deux minutes… parce que le chat est de retour et s'excite
gravement en fixant le rouleau du home-trainer : le poil gonflé, il souffle
méchamment, et tente de griffer le pauvre rouleau. Nono ralentit un peu, parce
que s'il se prend la patte dans l'engin on risque d'avoir besoin rapidement
d'un autre chat… Mais ça décuple l'ardeur du félin qui, voyant son adversaire ralentir,
se dit qu'il va pouvoir se le faire plus facilement : il attaque maintenant des
deux côtés… Nono doit stopper, attraper l'animal et l'envoyer jouer dans le
jardin. Bon, on reprend.
Au premier bruit
le tigre déboule, encore plus belliqueux, s'exciter sur le caoutchouc. Le temps
de constater que le retour du chat lui a fait grimper le cœur de vingt pulses,
Nono doit de nouveau s'interrompre, expédier le félin dans le jardin et se
résigner à fermer la porte.
Nouveau départ :
derrière ça ronfle, devant ça tourne rond, le petit cœur monte bien, 90 tours
minute, que du bonheur. Pendant trois minutes : Nono a oublié le bidon : sur
internet c'était bien marqué "boire beaucoup !"
Et effectivement,
Nono a déjà la gorge en carton… Il arrive dans la cuisine avec son bidon et ses
chaussures de vélo, fait le plein, et bute dans le chat qui venait aux
nouvelles. En basket ça passait… avec les cales c'est plus délicat : Nono se
rattrape de justesse contre le four, mais 250°, même pendant trois secondes,
c'est chaud…
Madame Nono sort
la pommade qui va bien, et on retourne au garage.
Le félin est sur
la selle : il a profité de la porte ouverte… Nono ferme les yeux, expire
lentement, se détend, prend délicatement la bête et la porte doucement dehors
avant de fermer la porte sans la claquer… Et il se dit que ça, c'est déjà une
performance…
Acte trois, tout
va bien, Nono pédale depuis dix minutes, que du bonheur. Quelques gouttes de
sueurs perlent un peu sur son front, tout va bien. Une goutte descend dans son
œil, hé, ça brûle un peu, puis une autre dans l'autre œil. C'était marqué aussi
sur internet : mettre un bandeau sur le front et prendre une serviette… Nono le
héros tient deux minutes de plus mais la douleur devient intolérable. Il
stoppe, descend encore du vélo, se dirige à tâtons vers la maison.
Aveugle, il longe
le mur menant à l'entrée et se prend un gros taquet dans l'oreille : ça fait
"paf" puis la douleur arrive et ça siffle dans toute sa tête :
typique du râteau qu'il ne faut pas laisser traîner… Il arrive tant bien que
mal dans le hall, cherche à tâtons les WC parce que là il y aura une serviette.
- Occupés ! dit
madame Nono à l'intérieur.
Nono s'agrippe à
la porte et patiente.
C'est sans doute
sous le coup de l'émotion que madame Nono est sorti si brusquement de l'endroit
: Nono s'est goinfré la porte pile dans l'autre oreille "paf" puis la
douleur, puis ça siffle…
Et bien
figure-toi qu'elle ne s'est même pas excusée !
- Nono, t'as
dégouliné partout ! qu'elle lui dit !
Alors qu'il a
maintenant deux choux-fleurs à la place des oreilles, qu'il est aveugle et que
ça siffle partout dans sa tête…
Négligeant
l'adversité Nono a séché ses yeux, la flaque à ses pieds, et s'en est retourné
à son sport, dans son garage.
Devine ! Oui !
Sur la selle il est ! Évacuation du félin, "la séquence a été tournée sans
qu'aucune bête ne soit maltraitée", retour en selle, et Nono est prêt pour
la seconde partie du programme, [6x (2x 30" Z3 / 30" récup active) +
récup 1' entre les séries].
C'est parti ! Que
du bonheur ! Pendant trois minutes.
Parce que même
avec la serviette en permanence sur sa tronche, Nono dégouline vraiment trop. Pas question d'aller chercher un torchon à la cuisine, on a sa fierté quand
même : Nono déniche un vieux chiffon graisseux qu'il se noue autour de la tête,
ouvre la fenêtre, et repart au combat. Rambo quoi.
Ah que c'est bon
de sentir son corps, que du bonheur ! Pendant deux minutes… parce qu'un coup de
vent vient de faire s'envoler le programme, et Nono n'a pas vraiment mémorisé
le coup des "6x (2x 30" Z3 / 30" récup active) + récup 1'entre
les séries" : stopper, descendre du vélo, et recaler le papier pour qu'il
ne s'envole plus.
Acte quatre, Nono
pédale regarde le papier, et constate que c'est devenu une serpillière avec la
transpiration, complètement illisible. Il se remémore le début, pédale, se
concentre pour retrouver la suite, mais le chat saute de la fenêtre en miaulant
comme un damné et vient mordre le pneu !
Nono accélère
dans l'espoir de lui arracher la tête mais l'autre est habile et survit, et ce
sont finalement des coups à la porte du garage qui le sauvent. Nono quitte le
vélo en soupirant, ouvre, et la factrice fait un bond de trois mètres en
arrière face à Nono Rambo, dégoulinant, hagard et transpirant le coronavirus
par tous ses pores dilatés.
Même pas la peine
de signer, elle pose le colis et s'arrache en faisant couiner les pneus.
Nono soupire, met
son casque et ses gants, et s'en va faire de la délinquance dans la colline.
C'était ça ou le chat…
Petite Parenthèse Gymnique : PPG
Etre confiné
laisse du temps pour faire autre chose : Nono est allé rôder sur internet… De
révélations de complots en déclarations tonitruantes, il a parcouru toute la
gamme des experts qui, du fond de leur garage ou de leur cuisine, postillonnent
une science qui les extirpe quelques secondes de leur médiocrité congénitale.
Ça lui a donné l'idée d'aller voir un peu ce que racontaient les voyants,
médiums, astrologues et autres fumistes à l'aube de cette année 2020 si
particulière…
Nono s'est alors
demandé si s'être plantés à ce point allait enfin nous épargner leurs
élucubrations ? Peu probable vu la propension de la moitié de l'humanité à se
rendre intéressante en racontant n'importe quoi, et de l'autre moitié à
s'exciter sur les niaiseries de la première…
Mais Nono a
trouvé des programmes de PPG, et le sportif qui est en lui a tout de suite
accroché. Parce que la PPG c'est le Graal du sportif confiné. Ça te permet de
transpirer comme un phoque et de transformer ton corps gélatineux en viande de
champion du monde. Tout en restant dans ta cuisine.
J'en vois, là-bas
au fond, qui se disent que la PPG ça les brancherait bien aussi : la lucidité
est le début du progrès…
Donc Nono s'est
enregistré une vidéo de PPG sur le téléphone, il s'est bien motivé en se mirant
à poil dans sa salle de bains, et s'est confiné au garage avec l'appareillage
nécessaire. Suite à la session "home-trainer", un grillage protège
les ouvertures pour contenir le félin félon ; un tapis, une bouteille d'eau,
une serviette et un bandeau complètent la panoplie.
Top : un couple
d'un autre monde est à l'écran, Ken et Barbie en vrai…
Ils marchent sur
place en levant haut bras et jambes : Nono pareil.
Ils se mettent à
boxer dans le vide tout en sautillant : Nono pareil.
Ils se jettent
ensuite par terre et font la planche sur les coudes : Nono pareil.
Ils tiennent la
position 45 secondes : Nono s'effondre à 5.
Ils font pareil
sur un coude : Nono tremble et s'effondre à 3. Pareil de l'autre côté…
Nono à bloqué le
programme. Hou… Réduisons un peu se dit-il, je fais la moitié… On repart.
Couché sur le
dos, monter le buste 20 fois : 4 fois et l'estomac de Nono se déchire.
On monte les
jambes et on touche les pieds 20 fois : 3 fois et les tripes se Nonos
jaillissent hors de son ventre.
Bloqué le
programme. Hou hou… réduisons encore un peu…
On repart. Couché
sur le dos, les pieds sur une chaise, soulever le buste 20 fois… 5 fois et les
cuisses de Nono laissent échapper toute leur viande…
- Ok, je divise
tout par dix…
Et puis on arrive
à la roulette : on se met à genoux une roulette entre les mains, on roule loin
vers l'avant, puis on revient. Nono, de roulette, il en a pas mais le rouleau à
pâtisserie fera l'affaire. Le rouleau… dans la cuisine… Un plan se profile…
Comme il
dégouline de partout Nono enfile la tenue de jardin, plus les grosses
chaussettes de ski, et entoure sa tête ruisselante avec la serviette : surtout
pas une goutte sur le plancher ciré ! C'est ainsi qu'il entre le plus
discrètement possible dans la maison, glisse sans bruit vers la cuisine, ouvre
avec mille précautions le tiroir adéquat, se saisit du rouleau et accélère vers
la sortie. Mais…
Mais Grominou le
félon arrive aux nouvelles et lui coupe la route. Nono l'évite ! En baskets, ça
l'aurait fait… mais les chaussettes sur le plancher ciré... Nono dérape en
direction du gros ficus de l'entrée, le prend pleine face, s'agrippe aux
branches. Le pot bascule, Nono pareil. Explose sur le plancher, Nono pareil. Il
tente de s'extirper mais les branches sont coincées dans la serviette qui
entoure son visage. Nono tire, arrache, saisit le pot et le ficus, ouvre la
porte à la volée et gicle dehors.
Un hurlement,
Nono écarte les branches d'une main : la factrice est là, elle beugle
horriblement, Nono bafouille "le chat…", elle jette un paquet au sol
et démarre sans fermer la portière, les pneus fument.
Nono, tétanisé
entend le silence revenir, un frôlement à sa cheville : Grominou lui dit qu'il
l'aime.
Nono lâche le
pot, mais Grominou fait un pas de côté. Loupé…
Nono joue double Je.
Nono évite le
bricolage, on a vu qu'il valait mieux, alors il décide d'aller courir. Mais
cette fois, pour éviter la foule des confinés qui s'aèrent, il part en toute
fin de journée, espérant ne pas à avoir à dépasser son périmètre autorisé pour
être tranquille. Ça marche, il se fait son heure de jogging comme prévu, mais…
Mais à 500m de
chez lui, voici qu'un brave toutou perdu le regarde, tout triste. Petit et
blanc, un point noir devant et un point rose derrière sous la queue, il est de
marque Westie et il se trouve que Nono
le connait, il le voit derrière le
portail chaque fois qu'il passe, juste là, au bout de la rue. Le clebs le
reconnaît aussi et vient lui lécher la cheville, comme c'est mignon, Nono en
est tout ému, il tape sur sa cuisse et s'adresse à la bête :
- Allez viens, je
te ramène chez toi.
C'est ce qu'on
fait tous dans ces cas là, non ? Et puis on avance en se disant qu'il va nous
suivre…
Mais l'autre ne
bouge pas, et le regarde avec l'air encore plus malheureux de se voir ainsi abandonné.
Nono répète la manœuvre sans plus de succès, puis revient vers le clebs. La
queue du Westie s'agite, il saute de joie et recommence à lécher Nono, trop
mignon. Nono monologue des trucs que l'autre ne comprend visiblement pas, puis
décide de porter la bête jusque chez elle. Il se soulève délicatement, le prend
aux bras, l'autre est ravi et couvre Nono de léchouille, trop mignon.
Nono fait 50m et
un doute lui vient : ce chien… ne se serait-il pas… roulé dans une charogne
pourrie ? Il pue effectivement terriblement ! Trop tard, le tee-shirt de Nono
est maculé d'une substance graisseuse terriblement malodorante, ses mains aussi, et le salopard continue à le
lécher amoureusement, trop mignon !
Pourri pour
pourri, Nono transporte le puant jusqu'à sa maison : il est comme ça Nono, s'il
commence une mission, il va jusqu'au bout.
Cependant, arrivé
devant le portail, il y a un léger problème : le cabot habituel est déjà là…
Nono le regarde, regarde le sien : pareils…
Alors Nono
balance le sien par-dessus le portail et se taille en courant ?
Nan, pas Nono !
Nono aime les bête, on l'a vu… Et puis : la mission.
Alors Nono fait
le truc le plus stupide et le plus inutile en cette période de confinement : il
sonne chez tous les voisins…
Imagine : tu es
confiné depuis 3 semaines, dès que tu sors on te regarde comme un pestiféré et
toi-même changes de trottoir si quelqu'un arrive en face. Alors que tu es chez
toi, le soir, à regarder des actualités parfaitement anxiogènes, on sonne. Tu
mets ton masque, tes gants, tu enfermes ta femme et tes gosses dans les
toilettes, tu prends la boîte de lingettes désinfectantes, tu t'en sers pour
ouvrir les 5 verrous que tu as fait installer, tu entrouvres la porte en
reculant vivement et là…
Là se tient Nono,
un cabot totalement mort dans les bras vu l'odeur qui s'en échappe. Nono qui te
demande si tu connais ce cadavre…
Douze portes
claquées et une heure plus tard Nono est devant chez lui, couvert de bave
tellement le clebs l'aime, et puant comme une hyène. Bon, il fait maintenant nuit
et l'explication avec madame Nono est d'autant plus périlleuse que, vu l'heure,
elle le croyait déjà mort au fond d'un fossé.
Une fois rassurée
sur son état de santé, elle le pourrit copieusement, puis s'intéresse malgré tout au cabot et, ô
femmes, le trouve trop mignon et suggère à Nono d'aller le décaper au jet dans
le jardin.
Bassine,
shampoing, le clébard a visiblement l'habitude, il jubile, parfum, sèche
cheveux, et voici que le vagabond fait son entrée dans la maison. Madame Nono
est tout miel, lui file un bol de croquettes, un bol d'eau, lui raconte des
trucs tout sucrés, on va garder la bête jusqu'à demain et on téléphonera aux
vétérinaires du coin. Mais…
Mais voici que
Grominou vient aux nouvelles… et… voit l'autre bouffer dans sa gamelle ! Ach !
Déklaration de kerre ! Son poil gonfle, il souffle horriblement et passe à
l'attaque ! Banzaï ! Le chien le reçoit sur le dos, hurle terriblement et
démarre en trombe pour échapper à la mort.
Canapé, table de
salon, bibliothèque, tablette décorative avec collection de figurines en
cristal, puis table de cuisine avec couverts verres et tout ce que tu peux
imaginer vu qu'il est largement l'heure de souper, sont successivement visités
par les fauves en furie.
Suite à un
changement radical de direction du félin, le canapé lacéré laisse échapper sa
mousse, les figurines font la gueule, les bouquins sont ravagés et la table est
parfaitement débarrassée.
Les combattants
enfilent ensuite le couloir à toc, et un drame se profile…
Le Westie
envisage de prendre le virage à angle droit au bout du couloir, avionnant de
toute la vitesse de ses courtes pattes. Le tueur le talonne. Mais ce chien,
c'est pas son jour de chance… Deux événements totalement concomitants viennent en effet contrarier son plan. Un, il
est passé chez la toiletteuse ce matin et ses beaux ongles ont été radicalement
rabotés ; deux, madame Nono aime les parquets bien cirés.
Il arrive donc à
50 à l'heure, amorce son virage, dérape et contre-braque en patinant
spasmodiquement. Puis, à l'issue d'un violent tête à queue, vient s'encastrer
dans la cloison. Derrière le tigre freine de toute la puissance des ses
nombreuses griffes, des copeaux de plancher jaillissent de part et d'autre,
madame Nono éclate en sanglots, et le tigre s'arrête le nez dans le fion de sa
proie. La victime est face au mur, les quatre pattes à l'horizontale,
totalement inerte. Un drame.
Le félin renifle
la victime, et, rassuré, repart d'un air princier, queue dressée, voir si on a
bien refait le niveau des croquettes, c'est qui le chef ici ?
Nono s'approche.
La queue du chien remue tout doucement, puis il tente de se redresser. A la
troisième tentative il tient sur ses pattes, se retourne lentement, voit Nono
et vient se réfugier entre ses genoux. Émotion de Nono : légitime, car le clebs
à la tronche de travers… Elle n'est plus dans l'alignement du corps, mais forme
un angle de 30° assez peu esthétique.
Souvenons-nous
que Nono est médecin. Il diagnostique immédiatement un déplacement C3 / C4 et,
sans attendre, serre les genoux, coinçant ainsi la tête du patient, attrape ses
pattes arrière, et tire d'un coup sec vers le haut. Craquement sinistre,
couinement de la victime, hurlement de madame.
Nono repose
l'animal, celui-ci tangue un peu, puis revient vers lui et lèche tendrement ses
doigts en couinant de reconnaissance, trop mignon.
La crise est
passée, mais Westie ne veut plus lâcher Nono et pleure maintenant
abominablement si on l'en sépare.
Nono va donc
assumer la mission jusqu'à son terme.
On aura compris
que le cabot est devenu persona non grata à la maison. On retrouve donc Nono
dans le garage, couché sur son matelas de gymnastique, abrité sous une vieille
couverture, le Westie lové dans ses bras, trop mignon.
Nono s'endort
avec son nouvel amour. Puis il rêve qu'on l'appelle, se tourne, se réveille.
Dehors, on l'appelle !
Un peu perturbé,
Nono se lève, le canidé dans les bras. Dehors on l'appelle !
Il ouvre la porte
du garage et découvre un couple en train de brailler son nom avec un accent
tellement parisien que ça sent les gaz d'échappement. Soudain la femme le
désigne et balbutie :
- Nono ! Nono !
Elle s'approche.
Nono peut jurer sur l'honneur qu'il ne l'a jamais vue, elle approche encore,
les yeux hallucinés, les bras tendus ! L'homme qui l'accompagne fait maintenant
de même.
- Nono! Nono !
pleurnichent-ils en tendant vers lui
leurs petits bras.
C'en est gênant
pense Nono…
Puis la femme lui
arrache le clébard des bras et s'enfuie en continuant sa litanie :
- Nono Nono, mon
Nono, on t'as sauvé du voleur de chien !
Le gars le traite
sobrement de salaud et part rejoindre l'autre hystérique.
Nono murmure,
"Merde, j'ai un nom de chien, j'ai un nom de chien !"
Puis il rentre à
la maison, se couche auprès de Madame, qui vient aux nouvelles à moitié
endormie. Il la rassure :
- On m'a pris
pour un chien…
- Oui, bonne nuit
Minou !
Faudrait savoir
pense Nono…
Nono timbré pour la poste.
Nono ne peut
rester sur un échec, c'est un guerrier. Le coup de la Préparation Physique
Générale qui s'est terminée en Panique Générale l'a traumatisé. Donc Nono
décide que cette séance de PPG il va la faire, coûte que coûte.
D'abord mettre
les exercices sur papier pour ne pas devoir suivre la vidéo qui pédale beaucoup
trop vite pour lui.
Ensuite adapter
les répétitions à sa forme actuelle.
Enfin disposer de
tout le matériel nécessaire.
Il faut de grands
élastiques, des chambres à air feront l'affaire, et la roulette. Plus question
de rouleau à pâtisserie, on joue maintenant chez les pros ! Nono le bricolo va
se fabriquer une roulette de compétition à partir du tricycle qui traîne au
fond du garage. Démonter, nettoyer, couper un peu ici ou là, facile.
Sans entrer dans
des détails, on peut dire que l'opération roulette s'est bien déroulée puisque
Nono en est sorti vivant, bien qu'il ait failli perdre un pouce en jouant de la
disqueuse…
Lorsque tout est
prêt, Nono contemple fièrement sa nouvelle salle de gym. Le tapis, le bidon
pour la soif, la serviette et le bandeau pour se préserver de la sueur, les
chambres à air solidement fixées à l'établi, et la superbe roulette de
compétition : une petite roue traversée par un axe : oui dit comme ça c'est
simpliste, mais il a quand même entouré l'axe de scotch noir pour faire des
poignées…
La séance
commence en douceur et tout va bien. Ses abdos n'explosent pas immédiatement,
ses cuisses ne s'ouvrent pas en deux, ses fessiers le brûlent raisonnablement
mais sans fumée, et ses pectoraux semblent déjà avoir doublé de volume, hé hé !
Puis on se sert
des chambres à air. Il s'agit de tirer alternativement là-dessus à une cadence
de dingue pour renforcer tous ces muscles qui dorment dans ses épaules de rêve.
Là, Nono se révèle
! Une bouffée d'adrénaline l'envahit, la testostérone se déverse à pleins
bouillons dans sa tuyauterie, Nono savoure l'instant, accélère encore la
cadence et ferme les yeux tellement c'est bon.
Erreur…
Si les élastiques
sont bien fixés à l'établi, l'établi lui n'est fixé nulle part… Un peu moins
excité, Nono aurait trouvé anormal que l'effort nécessaire diminue… Il aurait,
par exemple, subodoré que l'établi était en train de basculer vers ses pieds…
Mais l'adrénaline et la testostérone sont mauvaises conseillères. C'est comme
ça que la séance "excitation" va se transformer en séance
"coloration"…
Les deux ongles
de ses deux gros orteils passent en effet d'un joli rose pastel à un noir
violacé, tandis que Nono souffle comme une parturiente au bord de l'expulsion.
La douleur est intense ! Il saisit la serviette, mord dedans comme dans les
films, mais c'est vraiment du bidon, la douleur est toujours là ! Il verse de
l'eau comme dans les films, mais sans résultat plus probant ; enfin il sautille
sur place comme s'il était posé sur une plaque chauffante et, franchement, ça
ne sert à rien non plus. Ça irradie dans les chevilles et jusque dans les
genoux : Nono angoisse, parce que si ça monte encore… quand ça va se rejoindre…
Il lui faut cinq
bonnes minutes pour récupérer et enfiler les chaussures de sécurité à bout
métallique seules capables désormais d'assurer son relatif confort.
Nono, c'est the
guerrier ! Il entrouvre la porte du garage pour avoir de l'air, et passe à la
roulette ! Ouais, défense de mollir ! Il n'a quand même pas travaillé pendant
une heure et risqué son pouce avec la disqueuse pour caler maintenant…
A genoux, tenir
fermement les poignées, s'allonger vers l'avant, revenir. Gainage complet,
étirement des muscles, renforcement du dos, Nono sent déjà son corps se
transformer.
Ce nouvel effort
déverse une bonne dose d'endorphine dans son sang, qui endort la douleur.
Avant, arrière, avant arrière. Impatient de retrouver la bonne sensation qui
l'avait précédemment envahi, il accélère la cadence et, imperceptiblement,
commence à creuser les reins pour remonter. La bonne sensation va revenir, il
le sent…
En fait, la
sensation qui vient d'un coup c'est que son dos est soudain totalement bloqué,
et que le moindre mouvement déclenche désormais de terribles douleurs…
Voici donc Nono,
à genoux, les mains posées sur la roulette loin devant lui, bloqué dans son
garage, incapable de bouger. Pas bien…
Il comprend que
s'il ne tente rien, il va sécher sur place. Alors, un genou, puis un autre…
Oui, en glissant doucement un genou après l'autre, il va pouvoir rejoindre la
porte, sortir dans la cour et envisager d'aller hurler devant la porte pour que
madame Nono le secoure.
Bon, tu as déjà
deviné la suite…
Lorsqu'il a rampé
jusqu'au milieu de la cour, la factrice arrive…
Elle découvre
Nono faisant la brouette d'un air parfaitement concentré, s'approche, pose le colis sur son dos, et lui
fait un petit sourire avant de partir en secouant la tête…
Papinono.
Aujourd'hui Nono
fait le taxi. Il a reçu hier soir un SOS : il doit récupérer à la gare son
petit fils, que sa mère a mis ce matin au train, lui expliquant que c'était
soit les grands-parents, soit la SPA. Il semblerait qu'après trois semaines de
confinement, il y ait eu clash entre la maman et l'enfant…
L'enfant se
présente à la sortie du train sous la forme d'une endive molle de 14 ans d'âge,
poussée par une valise et trainé par un Iphone…
Comme en cette
période on évite les embrassades, Nono le salue d'un joyeux et ironique
"bonjour bel enfant !"…histoire de commencer sur une note
fantaisiste… L'endive réussit l'exploit de lever un seul œil et une seule
lèvre, et un "jourp'py" sort de sa cagoule : oui, il fait visiblement
partie de la secte des encapuchonnés du matin au soir, comme un paf au salon de
la syphilis…
Après avoir
réussi à hisser, d'une seule main l'autre étant irrémédiablement collée au
téléphone, sa valise dans le coffre, il s'effondre sur le siège, visiblement
épuisé par cet effort. Durant le trajet Nono tente encore la fantaisie, mais il
est évident que le bel enfant n'a pas été livré avec cette option… Patient, et
avisé de la psychologie de cette si particulière période qu'est la
préadolescence, Nono enterre ses vannes et tente d'entamer un dialogue.
Arrivé au terme
du voyage, il sait désormais que le corona virus, le temps, son frère, sa sœur, sa
mère, son père, le paysage, la bagnole, le voyage et les études, sont des
sujets qui ne passionnent pas l'endive…
On lui présente
ensuite sa grand-mère, sa chambre, sa salle de bain et même le chat sans
susciter plus d'intérêt que si on lui causait de la culture des horloges comtoises au
paléolithique.
Madame Nono
suggère que le voyage l'a fatigué…
On fait semblant
d'y croire et on le laisse assis sur le lit en lui conseillant de se reposer.
A l'heure du
repas, soit quand même quatre heures plus tard, Nono revient aux nouvelles et
trouve le cagoulé exactement au même endroit et dans la même position. Il se
contente d'un "on mange" minimaliste qui a pour effet de tirer un
soupir au bel enfant, et Nono doit préciser "tu viens ?" pour qu'un
nouveau soupir accompagne la levée du corps.
A table Madame
Nono s'évertue à entretenir un ersatz de conversation, tandis que le môme mange
comme un porc d'une main, navigue sur son écran de l'autre et profère quelques
borborygmes censés attester de sa bonne réception…
Nono n'a fait ni
vélo, ni course à pied aujourd'hui…
Autrement dit il
n'a pas dépensé cette belle énergie qui déclenche des productions hormonales à
la fois excitantes, mais aussi apaisantes.
Autrement dit il
commence à chauffer gravement devant l'attitude du gniard. Autrement dit il va
péter un plomb.
Alors il chope le
téléphone, le balance dans le micro-onde et envoie la sauce pendant trente
secondes ; il attrape ensuite le gnome, lui vide le contenu de l'assiette dans
la bouche, ferme la cagoule et le transporte dans sa chambre en lui disant
"à demain" ?
Nan, l'est pas
comme ça Nono, il a lu des livres écrits par des pédagogues, et les pédagogues
ne parlent jamais de micro-onde ou de cagoule…
Nono fait dans le
subtil. J'en vois qui sourient, là-bas, au fond ?
Attends…
Nono commence
doucement. Il regarde madame d'un air énamouré, lui prend les mains et susurre
:
- Oh ! Ça va ma
chérie ?
La chérie n'a pas
trop l'habitude de ce genre d'effusion, mais joue le jeu.
- Oui,
minaude-t-elle, en attendant la suite.
Le monstre en
face d'eux bâfre toujours, pianote toujours, mais du fin fond de sa cagoule une
oreille a perçu un léger changement, et ordonné à un œil d'aller aux nouvelles…
- Tu n'es pas
trop fatiguée ? pleurniche Nono.
- Si, fatiguée,
soupire madame.
Le deuxième œil
du monstre vient se poser sur le couple, interrompant le pianotage.
Nono sourit d'un
air béat et demande :
- Tu as pensé aux
prénoms ?
Madame pince les
lèvres, mais réussit à répondre.
- Michel ?
Le monstre a
cessé de mastiquer, ses sourcils se froncent.
- Et pour la
fille ?
- Marguerite ?
Le cerveau du
monstre rassemble quelques neurones et les branche sur une synapse : a-t-il
bien compris ?
Ses oreilles
tentent de sortir de la cagoule pour attraper la suite.
- J'avais aussi
pensé à Michel, mais pour la fille j'aimerais bien Josiane…
L'autre à viré la
cagoule, ouvert la bouche, et dans sa tête des plans se font…
- Tu vois quand
le gynéco, questionne Nono ?
Là, le gniard
pose les mains sur la table et se penche en avant, la tête lui tourne un peu,
il tente de capter quelques bruits ambiants pour vérifier que ses oreilles fonctionnent
vraiment, et dans son cerveau des images se forment.
- Pour la visite
du cinquième mois, soupire madame Nono.
La mâchoire de
l'encagoulé tombe d'un coup, ses épaules aussi, dans sa tête c'est Sodome et
Gomorrhe, des images affluent que la grosse main de la censure efface le plus
vite possible.
- Ah ! geint
madame Nono en portant les mains à son ventre.
Le monstre est
figé, il est entré dans une autre dimension, à l'intérieur de sa tête c'est le
combat, le chaos.
Nono se lève,
prend sa femme par la taille et l'aide à se lever.
- Tu finis de
manger, tu débarrasses, tu fais la vaisselle et tu ranges tout : Mamie et Papy
doivent se reposer, balance Nono avec un pauvre sourire.
Le môme le
dévisage, hagard, et, ne sachant pas encore s'il est triste ou dégoûté,
acquiesce avec vigueur.
Nono et madame
s'éloignent.
Un à zéro pour
Nono !
Nono et le crétin digital.
Nono est songeur.
Hier, en allant à la gare, il a parcouru des routes désertes et ensoleillées,
et pensé qu'il serait bien agréable d'y faire du vélo en ce moment. Il s'est
demandé si un cycliste en solo était vraiment un danger mortel pour ses
contemporains…
Bon, le gniard
s'est levé de méchante humeur : Nono lui a vraiment mis le vers, et il n'y a
plus de réseau dans sa chambre. Il lui semblait pourtant avoir repéré un
répéteur branché dans le couloir…
Et puis on l'a
réveillé ! Lui qui avait son petit rythme bien calé, couché à trois heures et
lever à midi, voilà qu'on l'a réveillé !
En plus le papy a
commencé à fouiller sur le site Pronotes du collège pour savoir ce qu'il avait
fait. Ou pas. Et s'est rendu compte que s'il y a eu clash, c'est sûrement à cause
de ce délicat sujet : en fait le gosse n'a rien foutu !
Toujours à la
pointe de la pédagogie, Nono a fouillé dans les bouquins et lui a balancé
quelques exercices à faire ce matin. Et maintenant il fait tourner son stylo
sur sa main, très très bien, lorgne sur son téléphone, mais reste sec devant
toutes les questions.
A la fin de la
matinée le bilan est clair. Ce gosse est en quatrième avec un niveau fin de
sixième, voire CE2 pour ce qui est du français…
Nono est assez
abasourdi : il ne connaît même pas les tables de multiplications, est infoutu
de trouver un verbe dans une phrase, à fortiori de le conjuguer…
Ok, donc petits
cours. Cette fois Nono est totalement abasourdi : l'asperge peut se concentrer
cinq minutes grand maximum, et a la mémoire d'un poisson rouge. Mort…
Hou… pense Nono,
joli cadeau…
Ses yeux sont
incapables de fixer un seul point, seul un filet de voix émerge du cul de poule
qui lui sert de bouche, et si ses doigts ne sont pas occupés il les fourre dans
son nez. Il semblerait donc que le cerveau du sujet soit ravagé par l'usage
intensif des écrans…
Et l'Education
continue à investir dans ces technologies…
Il est pourtant
prouvé que le nombre d'heures passées devant des écrans est inversement
proportionnel aux notes obtenues.
Nono pense qu'à
l'issue du confinement les cerveaux ravagés seront encore plus nombreux, mais
espère que les parents qui se seront cogné leur crétin obsessionnel 24/24 et
7/7, auront une vision différente du métier de prof…
Sans se faire
trop d'illusion sur la durée de la réflexion…
Car il semble
bien que le niveau d'enseignement n'ait plus aucune importance.
Qu'on va se
passer de prof et installer un animateur, sous-payé, qui pourra s'occuper de
centaines d'élèves avec son seul
ordinateur
Parce que les
emplois de demain seront peu qualifiés et qu'il ne faudra pas pour ces emplois
des gens trop éduqués.
Parce qu'un
étudiant coûte moins cher qu'un chômeur, et est socialement beaucoup plus
acceptable.
Et parce que plus
on garde les étudiants à l'université, plus on économisera sur les retraites…
Voilà peut être
pourquoi on nous enfume avec les bienfaits du digital…
Et puis Nono se
dit qu'il ne va pas se laisser péter le moral par une génération d'endives et,
pragmatique il imprime les tables de multiplication, sort le bouquin de
conjugaison qui va bien, colle tout ça dans les bras du bel enfant, et lui tend
la main.
L'autre la
contemple d'un air morne, puis regarde Nono.
Nono ferme
l'autre main, puis tend le pouce, le petit doigt, et la porte à son oreille. Au
moins il comprend le langage des sourds muets : il dépose son téléphone dans la
main tendue et s'arrache.
Au repas il a
viré la cagoule, les oreilles à l'affût de la moindre info concernant la
grossesse de la grand-mère… Nono et madame la joue sobre mais mystérieuse… A la
fin Mamy va couver, Nono fait la vaisselle pendant que le môme débarrasse.
Reprise des activités
l'après-midi. Dur : Nono doit renoncer à sa sieste…
Bon rythme : une
demi heure de révision, un quart d'heure de questions et on enchaîne.
Donc aujourd'hui
pas de sport pour Nono, mais il a les mains toutes musclées à force de planter
les ongles dans la table pour ne pas baffer le crétin digital…
Huit heures du
soir : Nono et le gosse sont côte à côte sur le canapé, à moitié vitrifiés.
Match nul.
Nono dealer.
Madame Nono a
déclaré qu'il y avait quand même de bonnes choses sur les réseaux sociaux.
Alors Nono s'y est aventuré.
C'est vrai que le
confinement descend le moral dans les chaussettes, mais visiblement
l'intelligence l'accompagne en bas…
Il semblerait
qu'en ces temps de morosité le moindre sourire arraché mérite d'être diffusé à
toute l'humanité qui souffre. C'est ainsi que des vidéos totalement indigentes,
copies éhontées d'originaux qui avaient le seul mais éphémère mérite d'exister
avant elles, arrivent par tous les tuyaux sociaux, suivies de commentaires
imagés et dithyrambiques. Alors qu'en temps normal même la moins nulle de ces
niaiseries n'aurait pas franchi la barrière de la plus élémentaire réflexion…
Il semblerait
également que la mièvrerie la plus sirupeuse fasse office de message d'amour à
expédier d'urgence aux populations sinistrées.
Les chatons
joueurs, les chiens acrobates, les perroquets danseurs, et, last but not least,
le jour de Pâques, des poussins, des lapins, des nounours, des lapins tenant
des œufs, des poussins dans les bras des lapins, des nounours portant des œufs
pleins de poussins à des lapins qui eux-mêmes sonnent des cloches en chocolat…
c'est no limit dans le kitch, le cliché au forceps : rien n'est assez niais ni
assez éculé pour abreuver le monde de la cucuterie la plus crasse.
Et, comme
d'habitude, dans l'entourage de la bonté universelle rôde la religion. C'est
ainsi qu'on a vu circuler un discours attribué au pape, relayé par des gens
ordinairement sains d'esprit…
Ce discours était
évidemment bidon, mais tellement dégoulinant de bons sentiments poisseux que
Nono s'est demandé si, plutôt que de faire circuler cette gélatine rose et
sucrée transpirant l'amour de son prochain, on n'aurait pas mieux fait de
contacter d'urgence ceux qu'on aime pour le leur dire carrément…
Nono a aussi
repéré un discours de Macron lui paraissant suspect.
Il faut dire que
l'imitation était assez grossière, puisque ça commençait par "
Travailleuses, travailleurs"…
Puis il en a
déniché d'autres :
Poutine
commençant par "Amis européens…"
Bachar El Assad :
"Mes chers compatriotes…"
Le seul crédible
était Trump, "Fuck la planète" étant un élément de langage assez
constitutif de l'animal.
Après ce voyage
au bout de la mièvrerie et de la fourberie, Nono s'est recentré sur sa mission
: sortir le morveux de l'esclavage digital et, accessoirement, faire entrer
dans sa tête quelque connaissance, après en avoir extirpé le kilo de fromage
blanc fermenté qui la remplit actuellement.
Agissant toujours
sous l'étiquette pédagogique, il s'est dit prêt à autoriser l'usage du téléphone
pendant une heure à condition que le sujet fasse preuve de bonne volonté.
L'intoxiqué à hoché la tête très vite et très très fort, comme tout drogué prêt
à la prostitution pour avoir sa dose.
Fort de cette
promesse et de cet espoir, il a atteint dans la journée les objectifs fixés, et
même réussi à manger quasi humainement.
A 18h Nono est
allé courir, histoire d'évacuer la tension nerveuse et de décrisper ses poings…
De retour à 19h
il a la surprise de trouver le forçat de l'instruction l'accueillant devant la
porte de la maison : trop mignon !
Le gosse trépigne
tellement il est content de voir son papy ! Trop mignon ! Nono dégouline comme
une jeune mariée le soir de ses noces, mais le môme semble prêt à lui sauter au
cou, trop mignon !
- Ça va bel enfant
? tente Nono face à l'humain qui perce sous la peau de l'adolescent.
- Papy, papy,
bafouille l'autre.
- Oui mon ange,
exagère Nono…
Se croyant ainsi
enfin autorisé à exprimer le fond de sa pensée, le salopard se lâche enfin :
- Je peux faire
mon heure de téléphone ???!!!!
Baf !! Prends ça
dans ta tronche Nono !!
Et puis,
finalement, tu ne récoltes que ce que mérite le dealer que tu es devenu…
Le théorème de Nono.
Théorème de Nono
:
Tout individu
visiblement abruti plongé dans un monde sans téléphone reçoit une poussée de
bas en haut sur l'échelle de l'intelligence.
Vu, testé et
prouvé.
L'endive molle
récupérée depuis trois jours se transforme doucement en un individu, certes
adolescent, mais se rapprochant de l'homo sapiens.
Il en possède
désormais moult caractéristiques : il a retrouvé un mode locomoteur de rythme
normal, son cerveau semble être sorti du coma digital, il est capable
d'utiliser un langage, d'avoir des relations sociales, et son système cognitif
paraît avoir retrouvé quelque aptitude à l'abstraction et à l'introspection.
Pour la
spiritualité on attend encore les résultats des tests…
Bon, il n'est pas
encore capable de naviguer seul dans le logiciel Pronote mis au point par
l'Education Nationale, mais cela semble être aussi le cas de bon nombre de
profs qui balancent cours et exercices au petit bonheur des rubriques…
Donc la matinée
commence par la plongée de Nono, accompagné de son fidèle compagnon, dans le
monde merveilleux des informaticiens de l'Education Nationale, lieu de tous les
dangers, de tous les pièges, dans lequel les gouffres de la nullité risquent de
vous engloutir, tandis que vous chassez l'énigme ; risquant à tout instant
d'être attaqué par la horde des sous-rubriques. L'ultime niveau consistant à entrer
dans le monde de la "communication", dans lequel sont planqués, et
pas qu'un peu, de nombreux indices cruciaux que certains profs, par la grâce de
leur pseudo, ont envoyée se perdre aux confins de cette rubrique. Les pseudos
sont infinis, mais on peut citer "Bouchétotaleninformatique",
"Lesdoigtstropgrospouruneseuletouche",
"Jaipassélanuitenboite",
"Laretraitedanstroismois", "Confinéauwisky" ou
"Totaledéprime".
Le pire était
"Limitesuicide", mais il y longtemps qu'on ne l'a pas vu sur le
forum…
Après cette
éprouvante chasse aux infos, Nono doit faire la traduction. Oui, parce que
l'Education Nationale a son propre langage. Ton rejeton lorsqu'il entre dans ce
monde merveilleux devient un élève. Et le banal stylo que tu as amoureusement
mis dans sa trousse devient un outil scripteur. Le cahier moche qui te fait
honte se transforme en support graphique. Et même le moindre ballon devient un
référent bondissant. Alors s'il veut causer avec les mots qu'il a appris lors
de ses études, Nono ne peut pas : il doit actualiser son vocabulaire.
Pendant ce temps
l'autre abruti poireaute à côté, avec un petit sourire en coin et coule
lentement sur sa chaise. Ce qui n'aide pas Nono à la concentration…
Mais une fois ces
travaux fini, l'esprit de synthèse de Nono pond en quelques minutes de quoi
faire exploser la tête du coulant.
Confiné dans un
endroit neutre, sans téléphone, et avec des objectifs précis, le petit malin
n'a d'autre solution que de bosser.
Ce qui lui permet
parfois d'être félicité et d'en tirer une certaine satisfaction : Nono il est
trop fort en pédagogie !
Nono mène l'enquête.
Nono est trop
fort en pédagogie, mais en patience il a un déficit congénital, l'obligeant à
s'aérer les neurones en faisant de la délinquance en VTT.
Pour ne pas
enfouir l'endive dans le congélateur…
C'est comme ça
qu'il s'est retrouvé hors de son périmètre légal, et qu'il est tombé sur deux
autres mauvais citoyens.
- Bonjour bande
de délinquants, lance Nono le blagueur.
Les gars sourient
finement, et l'un d'eux questionne :
- Tu viens d'où ?
Nono reste assez
évasif…
- Tu vas où ?
Tututut se dit
Nono, ne seraient-ce pas là le début d'un interrogatoire ?
- Tu connais bien
le coin ?
Là, Nono peut
répondre que oui, ça ne mange pas de pain…
- Tu pourrais
nous guider, parce que nous, on connaît pas…
Tututut se dit
Nono soupçonneux : nous sommes en plein confinement, ces gars font du VTT sans
connaître le coin ! Donc ils sont d'ailleurs conclut l'inspecteur Nono.
Il les regarde
d'un air accusateur et constate qu'ils ressemblent à Titi et Grominet… Un petit
chauve, l'autre est grand avec les dents qui dépassent…
Nous voici donc
face à de grands bandits : non seulement ils ne confinent pas, mais ils ont
enfreint les directives gouvernementales et sont venus en villégiature au
soleil plutôt que de rester cloîtrés dans leurs cages à lapins!
- Vous êtes d'où
? questionne le divisionnaire Nono.
- On vient des
Charentes… fait Grominet.
Nono réprime un
haut le cœur ! Des terroristes, ce sont des terroristes ! Ils ont traversé la
France entière pour venir délinquer ici ! Des fous ! Des radicalisés du VTT !
Le colonel Nono
continue son enquête :
- Vous êtres
venus comment ? glisse-t-il, mi angoissé mi-admiratif.
- En car, fait
Titi d'un air d'évidence.
- En car !!!???
s'étrangle Nono.
- Ben ouais, fait
l'autre, on était trois cars…
- Trois cars…
soupire Nono.
Glouc ! C'est
vraiment la guerre ! Il y a un réseau de terroristes qui fait passer la ligne
de démarcation du périmètre de confinement !
Devant la mine de
Nono, l'un des truands cherche à le rassurer :
- On est venu
bosser ici.
Tututut pense
Nono ! Avec le confinement tout le monde reste les mains dans les poches et le
cul sur son canapé et ces gars veulent me faire croire qu'on a besoin d'eux
ici… De plus en plus louche…
Devant l'air
soupçonneux de Nono, il ajoute :
- En renfort…
En renfort ! Les
terroristes préparent une action de grande envergure, nécessitant des renforts
!!
Nono se sent une
petite faiblesse au niveau des genoux… Des images se forment dans son cerveau perturbé par l'énormité de la
chose : il voit trois cars bourré de terroristes traverser la France, suivit de
remorques pleines de VTT. En plein confinement !
Alors qu'on en a
encore pour un mois à se taper les courses à haut risque, le journaliste insupportable
avec une écharpe rouge qui aligne âneries sur âneries puis se fait ramasser par
un vrai médecin puis continue à pérorer d'autre âneries le menton levé
tellement il est fier et les yeux mi-clos tellement il savoure de s'écouter
parler, les gros porcs en joggings qui font soi-disant du sport et vont juste
continuer leur petit trafic de dope, les ausweis à présenter à la kommandantur
pour avoir le droit d'aller pisser au fond du jardin, et les petites mesures
provisoires de déconfinement qui vont nous tomber sur le museau prétendument
pour un mois et vont nous raboter la belle liberté inscrite au fronton de nos
mairie pour des siècles et des siècles amen !
Et pendant ce
temps les terroristes traversent la France impunément : trois cars suivis de leurs vélos !
Titi reprend, les
yeux écarquillés d'espoir.
- En fait, on a
un jour de repos par semaine, alors on aimerait bien que quelqu'un nous guide
pour le VTT.
Ça y est, ils
demandent à Nono d'entrer dans leur réseau… Classique en temps de guerre…
- Et les vélos,
poursuit l'enquêteur Nono, vous êtes venus avec vos vélos !
- Nan, des
collègues nous les ont prêtés…
Voilà pense Nono,
c'est la gang des vélos, c'est à ça qu'on les reconnait : tous les types en
vélo sont de dangereux terroristes. Et leurs collègues, qu'est-ce qu'ils font
leurs collègues ?
- Mais vous
bossez dans quoi ? craque Nono.
- Bah, on est des
gendarmes… font les duettistes, avec, quand même, un petit air contrit…
Nono a ses vapeurs.
Nono a décidé
d'aérer l'endive, qu'elle prenne un peu des couleurs.
Rien de tel que
de menus travaux pour s'occuper l'esprit et les mains, travail famille patrie :
en ces temps de patriotisme guerrier le retour aux valeurs traditionnelles
permettra à nos jeunes d'acquérir les valeurs qui seront le socle de la
nouvelle société qu'ils vont nous bâtir, fort de nos enseignements et instruits
de nos erreurs. A la tienne.
Bombe le torse
petit, et si ça sent le pétainisme c'est parce que le maréchal Pétain agit
tandis que la maréchale Pétain coud…
Oui, Nono est
aujourd'hui pouêt…
Nono observe donc
le futur dirigeant et se dit qu'il y a quand même du boulot : il a les mains au
fond des poches, ce qui signifie qu'elles touchent ses chevilles vu que son
pantalon commence juste en dessous de son derrière… Il a l’air inspiré de la
moule arrachée de son rocher, l'œil torve, la lèvre pendante et l'assurance du
condamné à mort qu'on a extrait de sa cellule à quatre heures du matin.
- Il y a la
grille à repeindre, on va travailler un peu.
Au mot
"travailler" le condamné s'est affaissé de dix centimètres. Sans
doute tente-t-il de se remémorer ce qu'il a fait avec ses dix doigts pendant
ces quatorze dernières année…
- La grille est
rouillée, on va la nettoyer et la repeindre. On va chercher les outils.
Au mot
"outil" l'ado a un haut de cœur, mais le pire l'attend encore… Déjà
qu'il a appris seulement ce matin ce qu'était une bêche, et encore juste en
apprenant les verbes anglais, le mot "outil" ouvre devant lui une
galaxie inconnue.
Voilà qu'ils
entrent dans l'antre de Nono, l'atelier. Il regarde
éperdument autour de lui et ne voit que des "truc qui sert à" ou des
"machin pour…", tous avec des formes bizarres, des couleurs bizarres,
des fils qui dépassent, des dents agressives… Il fait un petit bilan et se
résout à constater qu'il a repéré un tournevis, un marteau et une perceuse,
mais que le reste lui est totalement inconnu.
Quant à l'utilité
de ces engins, c'est un peu comme savoir comment un frigo dans lequel il puise
sans arrêt se trouve toujours approvisionné, ou comment le slip sale qu'il
balance sous son lit se retrouve miraculeusement propre et plié dans son
armoire…
Nono le finit en
sortant des gants, du papier de verre, une brosse métallique et une bouteille
d'acétone.
Celui qui a déjà
peint une grille connait la traîtrise de cet objet : il fait croire qu'il n'a
pas de surface, alors qu'il est en quatre dimensions. Pour résumer, c'est le
genre de boulot que tu penses boucler en une petite heure, et tu te retrouves
en fin de journée à en avoir fait seulement la moitié.
Nono fait une
brillante et rapide démonstration à la brosse métallique, la fourre dans les
mains du gnome et attend la suite.
Le bel enfant
commence à un rythme qui lui convient : gratte, ouf pendant cinq secondes,
gratte, etc… Va falloir prolonger le confinement les gars…
Nono reprend la
brosse, frotte comme un cinglé pendant dix secondes et tend l'outil à
l'apprenti, dont les yeux se sont mis en mode "jeu vidéo",
c'est-à-dire tourbillonnent dans tous les sens pour saisir le sens du
mouvement… Devant ce piteux résultat, Nono refait une session, au ralenti cette
fois.
- Vu ?
Le môme prend la
brosse, et attention, là, ça va aller très vite :
- frotfrotfrofrot
frotfrotfrofrot frotfrotfrofrot glisse ripe passe la main à travers, le bras
aussi et vient s'aplatir le museau contre la grille bong.
- youille ouille
! couine le maladroit.
Mais on sent chez
lui ce sursaut patriotique évoqué plus haut, il recommence de plus belle avec
une belle vigueur… et se reprend la même avec une belle vigueur aussi.
- 'tain !
grince-t-il, ce que Nono feint de ne pas avoir entendu, comprenant toute la
fervente détermination exprimée par ce juron.
Nouvelle attaque,
mieux ciblée et maîtrisée, trente seconde avant de se prendre le troisième
pain.
Décryptons : ceci
s'appelle le phénomène d'apprentissage, avec son côté un peu darwinien : soit
tu progresses et tu survis, soit tu disparais de la liste des espèces.
Ce gosse a un
mérite, il est têtu et pourvu d'un minimum d'orgueil. Nono laisse donc faire la nature en
surveillant d'un œil que l'espèce évite l'extinction, et il constate, un peu
rassuré, que la machine se lance.
- Si tu ne veux
pas te reprendre un pain, éloigne un peu ta tête de la grille…
Il explique
ensuite comment affiner les choses au papier de verre, et terminer en nettoyant
à l'acétone. Gros progrès de l'arpète.
Mais Nono détecte
encore une fois une grosse tendance à approcher son museau trop près de ses
doigts…
- Dis donc,
regarde un peu la voiture là…
- Laquelle ? fait
le môme, ce qui augure mal de la suite vu qu'il n'y en a qu'une…
- La voiture là,
devant nous : tu peux lire la plaque ?
- Beuhhhh, non….
- Approche-toi,
tu lis maintenant ?
- Beuuuuuuhhh…
non plus…
Okay : c'est une
taupe…
Voilà, ce môme a
14 ans, il est aussi myope qu'un expert en économie, et personne ne s'en est
encore rendu compte…
Comme la période
est peu propice aux consultations ophtalmologiques il est inutile de se
lamenter, passons à la suite se dit Nono.
On verra bientôt
que cette décision ne restera pas sans conséquence…
- Évite quand
même de mettre ton nez sur tes doigts…
Nono laisse donc
la nouvelle France face à son destin laborieux et va faire un peu de rangement
dans son garage, là, juste à côté.
Vingt minutes
plus tard, c'est, bien sûr, la factrice qui vient lui faire part de sa totale
réprobation, d'un "hem hem" accusateur et impérieux.
Nono sort de son
antre à sa suite.
L'endive est
vautrée contre la grille, le visage plaqué contre le métal. Il profère des sons
totalement inaudibles, ses yeux sont révulsés et un sourire béat est plaqué sur
sa face blafarde.
Par terre gît la
bouteille d'acétone, vide, et dans la main de l'arpète le chiffon avec lequel
il a si bien frotté qu'il l'a entièrement sniffée…
Ça chauffe pour Nono.
Donc Nono a rendez-vous
avec deux gendarmes! Suivez un peu quoi !
Pour faire du
Vtt.
Pendant le
confinement…
La dernière fois
les gars ont été conquis par la beauté du coin, et aujourd'hui Nono va les
émerveiller. Il est comme ça Nono, il aime faire plaisir.
Il leur a donc
concocté l'un des ses plus beaux circuits, avec les petits singles qui vont
bien, les descentes de la mort qui tue, et les montées dévoreuses de cuisses :
il les a vu à l'œuvre la dernière fois, Titi et Grominet sont de vrais
sportifs.
En approchant du
rendez-vous, Nono a cependant un doute…
Et si c'était un
piège ?
Se fier à des
gendarmes, oui, mais à des gendarmes qui délinquantent en Vtt…
Cette nuit l'idée
l'a effleuré… Il est comme ça Nono, méfiant.
Il approche donc
du lieu de rendez-vous avec la circonspection et la méfiance du sioux qui
sommeille en lui, sans bruit, sous le vent, et par le petit sentier qui domine
le point…
Les gars sont
déjà là. Nono surveille les alentours à la recherche d'un indice, puis se
reprend.
- Tu t'imagines
pas trouver trois cars bleus garés à cent mètres quand même…
Foin de
tergiversation, Nono s'annonce.
- Ah salut, on
t'a pas entendu arriver dis donc…
Nono le sioux en
est très fier…
Pas d'embrassade
ni de serrage de main, distance réglementaire à conserver, c'est dur d'avoir
des potes en ce moment…
Il n'y a que le
vieux qui habite dans son quartier, celui qui a la sale habitude de te
postillonner sous le nez quand il parle, qui continue comme si de rien était, à
te choper par le bras pour t'empêcher de fuir et te balancer son haleine de
cimetière sous le nez. Nono le soupçonne de vouloir attraper le virus…
- Où c'est qu'on
va, demande Grominet.
Question débile
pense Nono, puisqu'ils ne connaissent pas le quartier… Il répond donc en
tendant le bras d'un air évasif :
- Par là.
Le gars réfléchit
mais semble un peu contrarié.
- C'est bien ?
- C'est le mieux
! tranche Nono.
Une fois en route
Nono gamberge encore un peu, puis beauté du circuit et plaisir le détendent, et
les trois bandits arpentent des kilomètres de désert végétal en croisant des
chevreuils, des faisans et des lièvres, mais rien d'humain à contaminer.
Arrivés sur une
grosse piste, voilà les deux lascars qui commencent à bourriner fort, et Nono
doit forcer sévèrement pour les suivre,
les rattraper, et enfin les doubler avant de prendre le petit sentier, là à
gauche, que ces lourdauds ont failli
manquer !
Il s'abstient de
commentaire mais, lorsqu'ils empruntent de nouveau une grosse piste, les voilà
encore partis comme des fondus !
Tout en explosant
son cardio pour les reprendre, Nono est pris d'un doute… On dirait que les gars
sont plutôt pressés de dégager des grandes pistes et rassurés lorsqu'on entre
de nouveau à couvert…
Et là, Nono le
sioux subodore les emmerdes qui arrivent, comme s'il avait l'oreille collée au
rail juste trois mètres devant la locomotive…
Et effectivement…
On arrive vers la
fin et il faut enquiller une belle piste pendant deux kilomètres pour se perdre
à nouveau dans le maquis et finir la boucle.
Nono, qui a
anticipé la galopade, leur a donné une indication précise, permettant de
trouver à coup sûr le single qui part à gauche. Et, comme prévu, à peine posé
leurs pneus sur la piste les deux bourres avionnent comme des cinglés !
Nono se contente
de les suivre à distance…
Il les a déjà
perdus de vue lorsque les voilà qui reviennent face à lui, lancés à 40, les
yeux exorbités, la langue dans les rayons, tortillant leurs derrières comme des
danseuses du ventre.
Ils foncent sur
lui !
Pour les éviter,
Nono se jette à droite, quitte de la piste, traverse un gros bouquet de cistes
et finit planté dans un arbousier. Chute au ralenti, pas de mal.
Mais sur la
piste, ça chauffe grave…
Dorures, gants blancs et silicone.
Oui. Sur la piste
ça chauffe grave…
Nono, confiné
dans son buisson, observe la scène d'un œil incrédule.
Les malfaiteurs
sont poursuivis par un pick-up bleu marqué "Gendarmerie", tandis
qu'en face un Duster de la même maison leur barre la piste. Les deux gars
comprennent vite que c'est foutu et, petits joueurs, ne tentent même pas un
appel/extension pour sauter par-dessus la bagnole…
Ils se rendent
lâchement.
Et là, là : du
grandiose.
Les portières
s'ouvrent et lâchent la volaille en gilets pare-balles qui vient cerner les
nouveaux amis de Nono. Puis, par la portière obséquieusement tenue par un sous fifre, voici qu'apparaît,
reconnaissable à sa belle casquette dorée posée sur son fier crâne de
représentant de l'état, monsieur le Préfet, tout bien habillé et même avec les
gants blancs s'il vous plaît.
Immédiatement
suivi d'un gueux du type journaliste muni d'une caméra, et d'une nana, de type
journaliste également, munie d'assez de silicone pour fabriquer un trampoline à
quatre places.
Nono la
reconnaît, elle est la vedette de la feuille de chou locale, capable de faire
la une et trois pages sur n'importe quel sujet en utilisant la désormais
célèbre méthode dite du "N'importe quoi pourvu que ça mousse".
Tu connais pas la
méthode ?
"Les
piscines bientôt remboursées par la sécurité sociale ?"
Par exemple…
Tu peux mettre
n'importe quelle niaiserie entre les guillemets, genre " Ma belle sœur
nymphomane" ou "Un slip en latex à la Mairie"… du moment que tu
n'oublies pas le point d'interrogation, ça glisse tout seul.
L'important c'est
le point d'interrogation : par la magie du doute qu'il exprime, il t'exonère
automatiquement de tout sérieux, de toute étude, de toute connaissance du sujet
et, surtout, de toute poursuite éventuelle…
Le point
d'interrogation qui va pourtant se transformer
pour la quasi majorité des lecteurs en point d'exclamation.
Autrement dit la
question va se transformer en affirmation.
Autrement dit on
prend le lecteur pour un gland, afin de lui vendre du papier imprimé.
Autrement dit, vu
qu'il l'achète, c'est effectivement un gland…
Ne me dis pas que
tu n'as pas encore remarqué ?
Ah… tu as acheté
le canard... juste à cause de çà…
C'est pourtant ce
que la fumeuse race des experts en n'importe quoi qualifie de "tendance
forte" !
Tu vois,
"tendance forte", le genre de formule que Mimile adorera répéter en
boucle au bistrot pour impressionner ses potes.
"Tendance
forte", le prêt à penser que Jean Edouard Michel tartinera lors du
prochain conseil d'administration en présentant les jolies courbes de son power
point.
Sois un peu
attentif quoi…
- Lulu a piqué
dans la caisse ?"
- Le 11 mai, fin
du confinement ?
- Le virus
n'existe pas ?
- Macron : un
crypto-communiste ?
Tu vois, c'est
trop facile : tu racontes n'importe quoi et tu mets un point d'interrogation à
la fin, laissant le bon peuple faire le boulot.
Parce que le bon
peuple a de l'imagination, surtout, tu remarqueras, pour le pire : c'est même
dans le pire qu'il est le meilleur !
Imagine mémère
qui promène son bichon. L'animal vide ses intestins tout au long de la
promenade, trottoirs, pelouses, paillassons, rien n'échappe à ses vidanges.
Puis mémère, au retour, écrase de son escarpin siglé Louboutin un des déchets
ci-dessus décrits. A même moment, devant ses yeux, une affiche " Un slip
en latex à la Mairie ?"
Franchement, un
maire qui laisse ses trottoirs aussi sales, si en plus il porte des slips en
latex et qu'il les laisse traîner, tu vas quand même pas te gêner pour le
dézinguer auprès de tes copines… Et imaginer la suite si ça ne suffit pas…
Voilà, le bon
peuple, c'est çà…
Bon, revenons à
nos volailles…
Monsieur le
Représentant de l'Etat suivi des Représentants de la Presse s'approche, l'air
condescendant, du gibier, fraîchement capturé.
Nono voit que ça
discute ferme. Et lorsque les gants blancs montent en l'air et s'agitent
frénétiquement, il comprend que Titi et Grominet viennent de décliner leur
pédigrée de flic !
L'encasquetté
s'agite et brasse de l'air, tandis que les gilets pare balle se tournent pour
ne pas éclater de rire devant Sa Majesté.
On charge ensuite
les vélos dans la benne du 4x4, les cyclistes dans le Duster, et le noble
cortège s'éloigne.
Nono, dans sa
jungle, attend encore quelques minutes, le plus silencieusement possible, en
faisant quatre apnées de quinze secondes par minute, puis il jaillit de son
trou, et pédale comme un taré jusqu'à la casa.
La ouature bleue.
Le coup des bleus
arrêtés par les bleus a un peu refroidi Nono dans sa conquête de l'espace.
Il a peu dormi et
beaucoup réfléchi à la question.
Il lui semble
maintenant évident que Titi et Grominet savaient qu'une opération "chasse
au délinquant" devait avoir lieu, mais le démon du Vtt les a poussés à
prendre le risque…
Comme on est en
guerre, il est étonné qu'on ne les ait pas fusillés sur place, ce qui aurait
fourni l'occasion d'ériger une stèle en leur mémoire :
"A la
mémoire de nos camarades, victimes de leur passion de la liberté, fusillés ici
par la milice gouvernementale lors de la Grande Guerre du 17 mars au 11 mai
2020."
Au matin il a la tête
dans le seau : il a grillé une grande quantité de neurones à se poser mille
questions, et imaginé les scénarios les plus catastrophiques pour y répondre.
- Titi et
Grominet ont-ils dénoncé leur complice ?
- Big Brother
peut-il remonter jusqu'à Nono ?
- Peut-on tracer
un téléphone à ce point ?
- Se sont-ils
déchargés de leur responsabilité en balançant Nono pour " incitation à la
débauche sur majeurs de plus de quarante ans" ?
- Faut-il
anticiper et prendre le maquis ?
- A-t-on pu
retrouver mon ADN dans les buissons ?
- Dois-je changer
les pneus du vélo et les brûler pour effacer toute trace ?
- Ne devrais-je
pas manger une tartine de plus ce matin ?
Bref, Nono est
perturbé, ce que ne manque de pas de remarquer madame.
- J'ai un peu mal
à la tête…
L'ombre du
coronavirus le fait se retrouver sur le ventre, un thermomètre planté dans le
fondement et deux kilos de paracétamol au fond de l'estomac…
Puis il s'occupe
du jeune oisillon en l'aidant à faire ses devoirs, et lui balance ensuite une
série d'exercices, destinés :
Un, à asseoir les
acquisitions.
Deux, à laisser à
Nono le temps de se bouffer encore le cerveau avec cette histoire.
Nono tente
ensuite de bricoler un peu dans son garage, mais le moindre bruit de voiture
approchant la maison lui fait grimper le trouillomètre au-delà de la limite
autorisée par la médecine, pourtant tolérante en ce temps de crise sanitaire...
Dans le jardin
c'est pire, il entend des voix chuchoter et voit le GIGN derrière chaque
buisson.
A midi sa
décision est prise : il faut qu'il bouge, sinon il va faire un ulcère !
Il autorise donc
le nouvel intellectuel à s'accorder quelques heures de loisir après le repas,
et à sortir promener, muni de tous les certificats nécessaires à
l'accomplissement de cet acte à haut risque.
Puis il chausse
ses baskets pour aller évacuer le stress, muni lui aussi de toute la paperasse
nécessaire.
Et bien décidé à
ne prendre aucun risque, c'est à dire à
respecter scrupuleusement le kilomètre de liberté et l'heure qui lui sont
alloués. : dans les clous, faut rester dans les clous !
Une heure plus
tard il est de retour.
Comme il n'a pas
encore évacué toute la tension, il se cache au fond du garage et s'établit une
nouvelle dérogation pour une heure supplémentaire… Il psychote au point
d'envisager l'ingestion de la première… Il finit par la brûler dans la
poubelle, disperse les cendres accusatrices au fond du jardin, les recouvre de
terre et de feuilles mortes…
"Big Brother
était dans la tombe et regardait Nono !"
Et le voilà
reparti pour une seconde heure de thérapie.
Lorsqu'il revient
vers la maison, tout va bien. Il est calme, apaisé, serein, heureux de nouveau,
la tête pleine de projets excitants, il finit en récupération douce, court
léger, aérien, ferme les yeux tellement c'est bon, ôôôôôôôôhhhhhhmmm, nirvana,
cool, relax, fait tourner c'est de la bonne…
Lorsqu'il rouvre
les yeux, son cœur remonte dans sa gorge !
Ses jambes se
dérobent !
Son cerveau vomit
!
Ses poumons
patinent !
Son estomac se
bloque !
Ses sphincters se
distendent !
Une voiture bleue
marquée Gendarmerie stationne devant chez lui !
Pouces !
Les keufs !
Devant chez Nono
!
A la question
"pourquoi ?" Nono n'a aucun doute : s'ils ont pris la peine de se
déplacer, c'est que l'affaire est gravissime. Et la gravissime affaire, tu la
connais non ?
Il est fait !
Titi et Grominet
l'ont balancé !
- Ah les ordures
! se dit Nono, quand même déçu…
C'est vrai quoi :
tu emmènes des gars en randonnée, tu leur fait découvrir des merveilles, on
échange, on se raconte un peu, et au moindre accroc voilà qu'ils te balancent
pour sauver leur peau ! Et sans qu'on les tortures je suis sûr… c'est pas la
guerre quand même…
Mais comment
l'a-t-on identifié ?
Le cerveau de
Nono menace de s'éjecter pas ses trous de nez tellement ça bouillonne à
l'intérieur.
Sur son épaule
gauche le petit Nono avec une auréole lui murmure à l'oreille :
- Nono, l'heure
du châtiment a sonné ! Prépare-toi à avouer tes fautes ! Le repentir, et
éventuellement une bonne séance de flagellation, t'ouvriront ensuite de nouveau
les portes du royaume des cieux !
Bon, pour ce qui
est de la flagellation Nono a de l'avance : il se botte le cul depuis qu'il a
vu la voiture des bleus…
Sur son épaule
droite, le petit Nono avec les pieds fourchus est aux abonnés absents…
… Ah ! Tiens, non
! En fait il devait juste être aux toilettes parce qu'il revient en trimbalant
une odeur fétide, et murmure à l'oreille de Nono.
- Nono, tu vas
jouer ton gros blaireau, je sais que tu peux le faire, et très bien… Tu vas te
glisser dans le garage, te déguiser en jardinier, te pointer comme une fleur
par la cuisine avec cet air innocent que tu réussis si bien lorsque tu lâches
une caisse dans un ascenseur…
- Eh… oohh ! fait
Nono…
- Et puisqu'on
aborde ce sujet, continue l'inflexible diablotin, l'odeur fétide ne vient pas
de moi, Nono, mais plutôt du bas de ton dos…
- Euhhh… fait
Nono pris en flag…
- Mais t'inquiète
pas de l'odeur, fais fumer les pneus, tu es un homme d'action Nono! le regonfle
le diablotin, fonce !
Nono plonge vers
le garage, cherche la clef, cherche la clef, cherche la clef, les bourres vont
sortir juste maintenant tu vas voir, elle est où cette p… de clef, ah là, au
fin fond de la poche, collée par la transpiration.
Il sort la clef,
elle tombe. Dans le caniveau devant la porte. Nono est un homme d'action, il
arrache d'un coup d'un seul la lourde grille en fonte, récupère la clef,
relâche la grille…
Euh… non… en fait
il la relâche juste en sortant la clef. Un poil trop tôt… Elle fait un bruit
mat en tombant, comme si… oui… comme si le doigt de Nono avait amorti le choc !
Ce qui est le
cas… Nono a des étincelles dans le cerveau, la douleur est immonde, il va
vomir, son doigt est coincé, il tente frénétiquement de soulever la grille avec
son autre main et…
Arrive la factrice…
Elle trouve le
Nono accroupi devant son garage, en tenue de course à pied, suant par tous ses
pores le terrible coronavirus, et contemplant les yeux exorbités la grille au
sol.
Blasée…
- 'jour !
lance-t-elle avec la légèreté de celle qui a déjà connu les pires atrocités…
Nono, perclus de
douleur, ne peut répondre : ses dents sont profondément enfoncées dans ses
lèvres afin de bloquer le cri inhumain qui ferait à coup sûr arriver les
perdreaux.
- 'jour quoi !
insiste-t-elle, pensant le Nono un peu dur de la feuille.
Faire quoi ?
Téléphoner à qui ?
Nono n'a d'autre
choix que de rassembler son énergie, se tourner vers la factrice et grimacer le
sourire qu'elle attend.
Il réussit. Elle
part, rassurée.
Un qui l'est
moins c'est Nono, le doigt coincé.
Les perdreaux
pouvant surgir d'un moment à l'autre, il va se surpasser !
Tel le loup pris
au piège et se tranchant la patte, Nono tire sur son doigt, la grille décolle,
il l'attrape de son autre main et ne perd pas une seconde. Attrape la clef,
retire son pauvre doigt, lâche la grille, plante la clef dans la serrure,
tourne, entre, referme vivement, et…
La douleur qui
monte de son pied l'averti qu'il a de nouveau mal coordonné ses mouvements…
Et que son gros
orteil a bel et bien lui aussi réceptionné la lourde grille en fonte…
Sur son épaule
gauche on parle "châtiments divins !"
Sur la droite on
psalmodie " Nono t'es un héros !"
Dans son pouce
droit ça pulse horriblement.
Dans son gros
orteil gauche, il sent bien que l'ongle arraché tente de rentrer de nouveau
dans la chair !
Son problème de
gendarmes est toujours présent…
On entend madame
Nono crier…
On entend le
gosse pleurer…
Nono se la joue.
Nono, adossé à la
porte du garage, reprend un peu ses esprits.
Il a au moins
réussi la traversée de la cour…
Maintenant,
sortir discrètement, jouer le jardinier et faire le gros blaireau…
Il enfile toute
la panoplie, et surtout les chaussures à bouts ferrés pour protéger son orteil
ravagé, et des gants pour planquer son pouce explosé.
Puis, tel le sioux,
il se glisse dans le jardin, chope un arrosoir et va se montrer sur l'avant de
la maison.
Lorsqu'il voit du
bleu son cœur s'emballe.
Ils sont deux,
avec madame Nono et le gamin, installés à la cuisine.
Le gamin !
Nono, ému,
repense à son propre grand-père… Lui viennent les souvenirs du lac, de la
cabane au bord le l'étang, des amis du Papé, ce bon Riton, les lance-pierres…
- Oh, calme-toi…
se tance Nono, ça c'est "Les enfants du Marais" avec Villeret… Ton
grand-père était bistrotier à Lyon et n'est jamais sorti de son quartier…
- N'empêche…
reprend-il, ce pauvre gosse ! Il va voir son papy embarqué par les gendarmes.
Traumatisme,
famille brisée, honte, désespoir !
Nono se maudit.
Le pauvre petit va trimbaler ces images toute sa vie, son grand-père, poussé
dans la voiture, un flic lui appuyant sur la tête, comme dans Braquo, quand…
Tiens pense Nono,
pourquoi est-ce qu'on appuie toujours sur la tête du gars pour le faire entrer
dans la voiture ? Tu appuies sur ta tête pour entrer dans ta voiture, toi ? Les
films sont bourrés de ces clichés grotesques et perpétués sans fin. Tu as une
contrariété, tu vas te bourrer au bar. Tu t'es tapé la blonde toute la nuit et
tu n'oublies pas de remettre ton caleçon pour sortir du lit. Tu gares toujours
ta voiture pile devant ta porte, et surtout tu ne la verrouilles jamais. Quand
tu entres dans la maison, surtout en plein hiver, tu ne refermes jamais la
porte derrière toi. Sur la bombe la plus miniaturisée tu trouves toujours un
énorme écran pour compter les secondes qui te restent avant que ça pète. Le
type hyper-bon en informatique a des lunettes, l'air ahuri et des restes
d'acné. Les extra terrestres ne débarquent jamais en Côte d'Ivoire. Un tueur
sociopathe va plus vite en marchant tranquillement qu'une blonde qui court en
criant…
- Je leur dirai
que c'est pas la peine de m'appuyer sur la tête décide Nono, sortant du rêve et
retrouvant sa fierté, comme Bruce Willis dans…
- Action ! beugle
son oreille droite !
Et le voilà qui
passe sur la terrasse, s'arrête, attends que tout le monde le regarde, et fait
le gros étonné, comme Anconina dans "La vérité si je mens" quand on
lui demande s'il est ashkénaze ou séfarade…
Ensuite il fronce
les sourcils en penchant la tête, comme Montand dans "Jean de Florette" quand Ugolin lui annonce son amour pour Manon…
Puis il avance
comme Robocop, mais là il n'a pas à se forcer vu l'état de son pied…
Enfin il entre
dans la cuisine, tire sur ses
zygomatiques et lance un "Bonjour messieurs", comme Lino
Ventura dans "Les tontons flingueurs" qui voit débarquer les frères
Volfoni.
Très réussi, on
frôle le César !
Pile entre
"Content de vous voir" et "Que me vaut l'honneur ?"
Avec une pointe
de "Vous me voyez surpris !"
Du grand art,
Nono…
Ce faisant il
examine l'assemblée :
Les gars ont
l'air plutôt cools.
Madame Nono a
l'air plutôt en pétard.
Le rejeton a
l'air plutôt contrit.
Tout le monde se
dévisage, genre "le premier qui rit aura une tapette…"
Finalement le
chef se tourne vers madame en soulevant le menton, comme Belmondo dans "Le
magnifique", ce qui doit signifier qu'elle va causer…
Elle cause.
Et plus elle
cause, plus Nono l'aime ! Elle raconte si bien ! Ses paroles sont si douces !
Nono aime ce
gosse aussi, et ces deux gars, tiens c'est simple il a envie de les embrasser !
D'ailleurs il va tous les embrasser, les serrer dans ses bras, tellement ils
lui font plaisir, comme Darroussin dans "Le cœur des hommes"…
Pendant que
madame raconte, les flics ont le demi-sourire du patriarche bienveillant :
Brando dans "Le parrain"…
Qu'ils sont beaux
! se dit Nono.
Madame raconte
bien, vraiment : le gosse qui va promener. Qui rencontre un autre abruti dans son
genre. Ils vont au stade, l'endive toute fine passe par la fenêtre de la
buvette et envoie à son pote toutes les canettes de bières. Et puis la
maréchaussée arrive, le pote s'enfuit, et l'endive continue à balancer de la
canette aux bleus qui, patients, attendent qu'elle ressorte pour la serrer…
C'est beau, c'est
drôle, Nono est aux anges !
- Un petit café,
messieurs ? Comme Montand dans "Garçon !"…
Nono citoyen.
Les gendarmes
l'ont sermonné, et le gniard s'en est tiré avec des travaux d'intérêts généraux…
Nono s'est dit que ces gars là aimaient vraiment les missions impossibles…
Il a lui aussi
tenté la leçon de morale, mais la façon dont le condamné l'a regardé à coupé
court à ses velléités : on lisait dans ses yeux que l'hôpital se foutait de la
charité…
Et puis Nono
était tellement soulagé que même si cet abruti avait abattu un EHPAD entier à
la machette, il aurait de toute façon trouvé ça beaucoup plus cool que de se
voir embarqué au poste…
Nono va donc
s'acheter une conduite. Et pour commencer, aller faire les courses. Comme tout
bon citoyen.
Muni de la liste
établie par madame et enrichie des propositions gourmandes du monstre, que Nono
a validées avec un tel empressement que madame Nono est allée vérifier que la
bouteille de whisky n'avait pas subi une attaque fatale, le voilà donc en route
pour le monde merveilleux de la consommation de masse.
Arrivé au temple,
il enfile la paire de gants imposée par madame, ainsi que le masque qu'une
voisine solidaire a amoureusement fabriqué.
En temps normal
cette harpie lui envoie la municipale pour tapage nocturne, tapage diurne, vol
de pommes, destruction de grillage ou stationnement en dehors des clous, et là,
bénit soit le virus ramenant le royaume des cieux sur la pauvre terre, elle s'est
pointée toute mielleuse et souriante avec ses masques à la main. C'est
heureusement madame Nono qui a ouvert, sinon la vieille repartait avec ses
masques au fond… euh… au fond quoi…
Sur son parking,
Nono, même pour de simples gants ou un stupide masque, il a des problèmes…
Trop justes, les
gants lui raidissent les doigts, et il doit forcer comme un damné pour faire
entrer son groin dans le masque… La voisine a dû le tailler dans de la toile de
camion, ça lui serre bien la bouche, pas de problème…
Bon, un chariot,
il entre, et là, l'horreur !
Depuis le temps
qu'il n'a pas rencontré un humain, Nono voit ses contemporains comme autant de
risques potentiels. Rester à un mètre, absolument ! Mais il y a là au-milieu
une palette en attente de déchargement, et un type, un peu plus volumineux que
la palette, qui hésite entre le poireau vert et le poireau vert… Nono patiente.
Le gars doit être un hyper spécialiste parce qu'il se tâte maintenant entre la
carotte orange et la carotte orange… Nono patiente encore, pendant que le
chercheur hésite maintenant entre le radis rouge et blanc et le radis blanc et
rouge, Nono patiente toujours, mais s'il se tâte avec le concombre, ça va mal
finir …
Rien en face :
Nono accélère, double, et stoppe devant les tomates : les tomates, les tomates
et les tomates…Perplexité totale, téléphone, tutututut :
- Al--- m- ch---e
, des to----es y'en a pl----n !
- …. ?
- Be- c'e---
pa----e j'-- l-
ma----que !
- … ….. !!!!
Bon, bon …. Nono
ôte son masque en jetant des coups d'œil inquiet autour de lui…
Il y une femme
juste à côté, mais elle a l'air inoffensive.
- Je disais, ma chérie, tu préfères la grosse
et charnue, la petite et brillante ou alors la très grosse, mais un peu molle ?
- …. …?
- Bien… mais si
tu étais là tu pourrais la tâter…
- … … … … !!!
- D'accord, mais
tu va la manger crue ou pas ?
- … … … …
- …de la sauce ?
Tant que tu veux…
- … … … … !
- Mmm ! On va se
régaler hein ?!!!
Nono raccroche et
la femme à côté lui sourit étrangement,
la lèvre humide. Mais une mémé qui poireaute derrière le dévisage en tordant la
bouche, lui signifiant qu'il encombre un peu…
Nono remet son
masque en vitesse :
- Fa---t b---n que je pre-----e les
b------es to---m--es ! lui
fait-il.
Elle plisse les
yeux et tend l'oreille… en plus elle est sourde…
Les différents
rayons sont ensuite autant d'étapes de son chemin de croix.
Là ! Un vieux qui
sifflote, si si, il sifflote, sans masque !
- As----s--in !
murmure Nono le lâche.
Et l'autre là,
qui fait des fouilles dans son nez, contemple le résultat des ses recherches,
et reprends son chariot à pleine main ! Sans gants ! Dans cet antre de
l'épidémie…
Plus loin un type
renifle une salade ! Une salade…
- M---s put---n
c'est que de la fl---te
ces sa-----es, hurle Nono dans
son masque, t'as pas be---s--n de fo--t---e
ton nez de--s---us
bor----el !
Sourd aussi
celui-ci….
Il va devenir
cinglé Nono…
Il arrive au
jambon, prend en vitesse n'importe quel paquet, tandis qu'à côté un gars sort
tranquillement toute la pile des blisters et commence à les étudier un par
un... Interloqué, Nono observe…
Après une
minutieuse recherche, le savant choisit un paquet et remet la pile dans la
vitrine… Pris d'un doute Nono revient en arrière, regarde le jambon gisant au
fond de son charriot, l'attrape, sort lui aussi toute la pile de la vitrine, et
commence lui aussi sa recherche. Sans savoir ce qu'il cherche d'ailleurs… ce
qui ne va pas faciliter la suite des opérations…
De déductions en
recoupements il finit par trouver ! Ce sont les da…
La même vieille,
tu sais, la sourde, le dévisage à nouveau, l'air exaspéré par sa lenteur.
- Ma-s bo---l
de m---e, lui crie Nono au comble
de l'excitation, ces p---t--- de ja---
-ns sont to-s
à moi---ié po--r--is ! T'as qu'as r---g--d-r
la da--- de pé----p---ion !
Complètement
bouchée la vieille : elle le regarde avec des yeux ronds en tordant encore la
bouche… Elle a pas de masque ! Plein de
gens circulent sans masque dans ce nid de virus ! En plus elle a aussi
la lèvre humide !
- Je me tire,
pense Nono, il faut que je me sorte de ce repaire de cinglés !
La caisse. Nono
s'approche pour vider sur le tapis.
- M---s-----r
s'il vous pl--t, ga----z la
di-----c---e.
Kékailadit ?
- J'--- ri---
co----p---i ! soupire Nono désespéré.
Regarde autour de
lui, en haut, le miroir, sa tronche : le masque lui écrase le groin, mais lui
tire aussi horriblement les oreilles vers l'avant ! Elles sont rabattues sur
ses joues, aplaties, bouchée, fermées…
La caissière a un
regard de factrice…
Nono fourre les
courses dans le coffre, et rejoint sa tanière, le moral laminé… mais le
calvaire n'est pas fini : arrive un rond point… infesté de bleus…
-
Gendarmerie-nationale-bonjour-monsieur…
Nono transpire,
mais fouille sa poche…
Et toi tu te dis
" et voilà : ce tocard a encore gaffé…"
Mauvaise langue :
Nono sort le beau papier…
Et toi tu penses
"oui, mais il s'est sûrement gouré…".
- Tout est en
règle Monsieur, merci, fait le gendarme derrière son masque tandis que son
collègue le rejoint.
Son collègue…
avec son crâne…
Ils enlèvent
leurs masques : le cauchemar continue :
- Titi et
Grominet !
Oh! Marseille !
Titi et Grominet
sont tout sourire, ce qui nous laisse le Nono un peu perplexe…
Qu'ils aient
échappé à l'exécution sommaire l'avait déjà étonné, mais alors les retrouver
ici, en tenue, et avec la banane… Après le numéro du préfet…
- Meeeehhhh ?
Vouuuuuss ? déglutit Nono.
- Tu nous avais
pas reconnus ! rigole Titi.
- Meeeehhhh ?
Vouuuuuss ? ? répète Nono, décidément bloqué sur le sillon…
- Ah, l'uniforme,
ça change son homme, hein ?
- Meeehhh le
préfet… réussit à décoincer Nono.
- Et la blonde !
renchérit Grominet en se massant la poitrine, la blonde !
- Oui… la blonde
murmure Nono émergeant du silicone…
- La blonde…
soupire Grominet d'un air triste, se massant maintenant le derrière.
- Et… après ? ose
Nono.
Rappelons que
nous sommes en plein milieu d'un giratoire, et qu'une demie douzaine de
voitures attendent derrière Nono…
- Oh on a rigolé
! s'esclaffe le chauve, ça, on a rigolé !
- Oui, fait le grand,
on a rigolé…
Titi reprend :
- Figure-toi que
le …
"Tutut"
ose un gars dans la file d'attente…
Grominet bombe le
torse, passe les pouces dans son ceinturon, et se dirige à pas mesurés vers le
coupable.
Le gars est du
type plâtrier et marseillais : il explique sans ménagement que, lui, il bosse,
et que si on pouvait activer un peu !
- Vous pensez que
nous, on ne travaille pas ? demande Grominet d'un air chafouin.
Le gars devient
alors plus marseillais que plâtrier :
- Aaaahhhh si
votre boulot c'est d'emmerder le monde alors oui : vous êtes à bloc les gars !
Sans déconner, il faut pas trois heures pour lire un papier !
Après, si vous
savez pas encore lire, faut faire les ceintures, les téléphones ou les feux
rouges… pas les papiers…
Le sourire de
Grominet s'élargit et Titi vient à la rescousse. Mal lui en prend :
- Té, s'exclame
l'autre, j'avais Grominet en ligne et voilà Titi ! Oh Titi, tu sais lire toi,
ou pas ? Et une photo avec ton téléphone, tu sais faire ?
Il brandit alors
une attestation dont il est visiblement très fier :
- Alors vas-y,
prends une photo, et puis ce soir tu la fais voir à ton chef, il connaîtra
peut-être quelqu'un qui sait lire, lui…
Il fourre
maintenant son papier sous le nez de Grominet :
- Je suis en
règle, moi, je bosse, je paye mes impôts, et j'ai pas que ça à faire d'attendre
que ces messieurs fassent du fric sur le dos du pauvre couillon, là-bas devant,
qui a été assez con pour se faire coincer !
Il est maintenant
à moitié sorti par la fenêtre de fourgon, et interpelle Nono :
- Espèce de gland
! Alors toi, en plus, tu sais pas écrire ! T'aurais pu faire carrière chez les
gendarme tu sais ! Tu sors de quelle planète ?
Ça fait plus d'un mois qu'ils nous bassinent avec leurs conneries, et toi
tu quittes ta niche sans le papier ?
Il a ouvert la
portière, descend, s'approche de Nono.
Les deux flics ne
bronchent pas, on dirait même qu'ils jubilent…
- T'es un malade toi… lance l'excité à Nono.
Nono s'enfonce prudemment dans son siège…
- Ou alors t'es
un pervers… voilà, t'es un pervers : tu le sais bien qu'il faut un papier,
hein, tu le sais, oui ou non ?
Nono fait
"oui" de la tête.
- Voilà ! reprend
l'autre encore un ton plus haut : tu t'es levé ce matin et tu t'es dit
"tiens, je vais sortir sans le papier pour me faire gauler par les flics,
comme ça ils vont pouvoir emmerder les braves gens !" C'est ça hein, c'est
ça ? beugle-t-il, le doigt pointé sur Nono en train d'émigrer prudemment vers
le siège passager.
Il s'arrête alors
brusquement, et revient vers les flics :
- Bon, ça m'a
fait du bien : faut m'excuser mais j'ai du boulot en retard et ça me fait un
peu chauffer… Allez, finissez l'autre tache, là, tranquillement, mais
laissez-moi bosser. OK ?
- OK dit Titi, en
rigolant.
- Tout le monde
dégage, fait Grominet en moulinant des bras dans le sens de la sortie.
Décidément ces
flics sont un peu spéciaux…
Le troupeau de
voitures s'évacue, les duettistes reviennent vers Nono.
- Titi et
Grominet ! rigolent-ils !! Toi, tu
trouves qu'on ressemble à Titi et Grominet ?
Nono s'abstient…
Épisode n°22…
Cet épisode est
bien le n°22, y'a pas de hasard…
Nono se retrouve
dans le fourgon des bleus, un verre à la main : ces gars doivent en permanence
être prêts à faire face à toutes les situations... Grominet voudrait raconter,
mais il est incapable d'aligner plus d'une phrase sans s'esclaffer : on les
choisi plutôt gais dans la gendarmerie…
Alors c'est Titi
qui explique.
En gros, ils ont
laissé le préfet faire son sketch parce que c'était son boulot de préfet,
surtout devant les journalistes. Au mot "journaliste", Grominet
intervient en se massant la poitrine d'un air gourmand :
- Oh la
journaliste ! La blonde !
Ensuite tout le
monde s'est retrouvé à la Maison Mère, et le préfet en colère a demandé, d'un
air de préfet en colère, à voir le chef de la brigade !
Grominet
intervient encore, quasiment au bord des larmes :
- On a perdu la
blonde !
Le chef de la
brigade s'est donc avancé, du haut de son grade de capitaine.
Le préfet en
colère lui a passé un savon en gesticulant avec ses gants blancs, mais,
découvrant un petit sourire vicieux naissant aux lèvres de l'interpellé, il a
décidé d'enfoncer le clou en hurlant :
- C'est bien vous
le responsable de ces demeurés ??!! en désignant les deux délinquants.
L'autre a pris le
temps de savourer l'instant, puis il a répondu d'un ton apparemment désolé :
- Non Monsieur Le
Préfet…
Avec des
majuscules devant, comme je te l'ai écrit.
Un préfet,
Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant, se doit de savoir tout
encaisser, sans aucun sentiment apparent. Mais là, ses nerfs le trahissent un
peu : il a un coin de la bouche qui remonte en spasmes incontrôlés, sa glotte
fait douze allers-retours en cinq secondes, et ses doigts se raidissent au fond
de ses gants blancs.
Il ferme les
yeux, soupire, histoire de laisser le temps aux deux kilos de neurones planqués
sous son képi galonné de faire le point…
- Pardon ?!!!!
déglutit-il en tordant le cou.
L'autre reste
imperturbable devant l'Autorité de l'Etat :
- A la question
" C'est bien vous le responsable des ces demeurés ?", j'ai répondu
" Non Monsieur Le Préfet".
Même avec du
temps additionnel, le cerveau du préfet commence à patiner…
- Alors qui est
le responsable de ces abrutis ? réitère-t-il d'un air vachard, mais commençant
à subodorer - un Préfet Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant, se
doit d'avoir une certaine intuition - que ce sera là sa dernière saillie.
Le capitaine qui,
souvenons-nous, s'est fait copieusement pourrir quelques instants auparavant,
distille sa réponse :
- Ces hommes sont
là en renfort, ils ont leur propre chef.
L'orgueil : voilà
sur quoi un Préfet Représentant de L'Etat Avec Des Majuscules Devant doit
s'asseoir le jour de sa nomination. Il doit s'asseoir sur son orgueil.
Et le notre a
oublié cette règle élémentaire…
Il entre dès lors
dans un processus destructeur, identique à celui qui a entrainé l'explosion de
la centrale de Tchernobyl : on croit que le bouton AZ5 va effacer toutes les
conneries accumulées, mais le bouton AZ5 est lui-même une connerie…
Et, malgré les
deux kilos de neurones rompus à toute épreuve pédalant dans son képi, le
préfet, dans un grand élan d'orgueil suicidaire se lance :
- Je veux voir
immédiatement le responsable des ces crétins, immédiatement, vous m'entendez !?
Le capitaine en
face de lui, prenant pitié, lui laisse une chance :
- MONSIEUR LE
PREFET… commence-t-il en mettant, tu n'auras pas manqué de le remarquer, des
majuscules absolument partout, et encore tu ne vois pas les fleurs qu'il a mis
autour pour essayer de le calmer…
Mais LE PREFET REPRESENTANT DE L'ETAT AVEC DES
MAJUSCULES ABSOLUMENT PARTOUT ne comprend pas le préliminaire, ne supporte pas
le préliminaire, et décide de péter le
plomb…
- Immédiatement,
vous m'entendez, i-m-m-é-d-i-a-t-e-m-e-n-t articule-t-il en frappant la table
en cadence, parce que je vais lui dire deux mots, moi, au responsable, je vais
lui dire ses quatre vérités, moi, au responsable, je vais me charger de son
cas, moi, au responsable, je…
Le capitaine,
charitablement, l'interrompt :
- Il est là,
monsieur le préfet - toute majuscule a disparu – soupire-t-il en fermant les
yeux et en tendant le doigt.
Le préfet regarde
le doigt du capitaine. Tendu.
Tendu en
direction de … Grominet…
- Glouc,
gargouille le préfet fraîchement démajusculé...
Grominet
s'avance, sourire aux lèvres, claque les talons, et salue d'un geste si rapide
que le préfet sursaute, pensant qu'il va s'en prendre une.
- Colonel
CA……….ER, mes respects monsieur le préfet…
Là…………………………… il
y a un blanc………………………………..très long…
Sous le képi,
c'est Tchernobyl à Pétage moins une… Trop de pression, trop de chaleur, trop de
puissance : un vide se crée…
- CA………….ER …
réfléchit-il à haute voix… comme…. le….
Son cou se tord
encore une fois pour laisser passer les mots.
- CA…………..ER … comme….
le ….. Ministre ? reprend-il en un souffle.
- Voilà ! sourit
Grominet avec un air tout attendri : c'est mon petit frère…
Télé Nono.
Son frère, tu te
rends compte : Nono connait le frère du
ministre…
Et ils ont, bien
sûr, rendez-vous pour aller faire de la délinquance dans la colline.
Un rendez-vous
que Nono a manqué, c'est celui de la ponctualité…
La rencontre avec
les duettistes l'a un peu mis en retard… si l'on veut bien
admettre que deux heures de retard c'est "un peu"…
Mais Nono avait
rempli un sac chez le marchand d'articles congelés, et ce "un peu" eu
quelques conséquences…
La première étant
qu'il va falloir engloutir dix steaks, dix eskimos au chocolat, deux paquets de
dix poissons avec les yeux dans les coins, et cinq kilos de légumes divers en
quelques jours…
La seconde étant
que madame Nono n'a même pas fait semblant de croire à son histoire, et le bat
un peu froid depuis…
Mais il y a du
nouveau… Nono va passer à la télé. Voilà, il pourra porter le label "vu à
la télé" attribué, il faut l'avouer, à toutes les saloperies invendables
autrement…
Alors voilà. Nono
rôdait sur internet à la recherche de la recette du "steak à l'eskimo avec
sa garniture de poisson et de choux fleur" lorsque le téléphone sonna.
Il ne reconnu pas
immédiatement son interlocutrice, mais lorsqu'elle se présenta Nono fut envahi
d'une bouffée de silicone, et la remit immédiatement…
En gros, les
ventes du canard dans lequel elle sévissait quotidiennement était en chute
libre pendant le confinement, et la rédaction avait mis sur pied, afin de
continuer à exister, une chaîne de télé locale traitant des "problèmes
locaux avec des acteurs locaux", c'est comme ça qu'on cause dans les
rédactions.
Nono se voyait
mal donner une conférence sur "la délinquance en colline avec des
fonctionnaires d'état", mais lorsqu'il comprit que c'était en tant
qu'ancien chef de service à l'hôpital que le fantasme de Grominet l'appelait,
il refusa tout net.
La science a
prouvé que l'ADN du journaliste contient des séquences proches de celui du
morpion et du corbeau. Ce qui signifie que la blonde s'accrocha si fort et
flatta si bien le Nono, qu'elle lui arracha un accord de principe, qui, il le
savait, valait promesse ferme pour la silicone Valé.
Oui, son prénom
est Valérie…
Une simple
application permet la visioconférence, et l'affaire fut rondement menée, tout
au moins côté journal…
Parce que côté
Nono familly, ce fut un peu chaotique…
Dès que madame
sut que son époux allait avoir les honneurs de l'outil télévisuel, elle s'assigna
pour mission de le montrer sous son meilleur jour. Oubliés les steaks
poissonneux et chocolatés aux légumes… Son merveilleux compagnon redevient
l'homme de sa vie, et on allait voir ce qu'on allait voir.
Les séances
d'essayages furent assez rudes, Nono ayant depuis très longtemps déserté les
rivages du costard-cravate… Il fallut donc trouver parmi ces ustensiles
quelques spécimens datant de ce siècle…
Madame Nono se
toqua ensuite de fashion-choice, sujet sur lequel elle s'estimait imbattable
puisqu'elle visionnait régulièrement une émission intitulée " les reines
du shopping".
Sans préciser que
les sujets mâles en étaient totalement absents…
Il s'en fallut
donc de peu pour que Nono n'apparaisse en robe pailletée décolletée avec une
sobre écharpe violette pour rehausser son teint d'opaline…
Ensuite vint la
question du maquillage.
On sait qu'elle n'est pas à éluder, puisque chacun
s'est déjà retrouvé sur une vidéo avec des veinules sur le pif, les pommettes
labellisées miroir, le bouton au menton qui gigote devant la caméra, et le cheveu gras qui
indique clairement que tu as campé dans une décharge. Sans parler du cachou au
bord de l'œil qui menace à tout instant de finir dans ta bouche…
Plusieurs essais
furent donc nécessaires pour que Nono ressemble à autre chose que… ben… que ce
qu'il est vraiment… c'est-à-dire un type d'une banalité affligeante, pourvu de
paupières tombantes, surplombant des poches noirâtres, d'un nez fixant
obstinément le plafond, d'oreilles cherchant absolument à ce qu'on les voit,
même de face, d'un cou de vieux poulet que ses joues cherchent à dissimuler.
En voyant le
résultat dans la glace, Nono se sentit légèrement déprimé : le type qui le
regardait avait dix ans de moins, mais on sentait que l'édifice était fragile…
Les choses
s'accélérèrent le matin du jour J, sous l'œil goguenard de l'endive qui s'était
improvisé décorateur : il avait déménagé trente kilos de bibelots infâmes pour
ranger quelques livres sur les étagères qui allaient servir de fond visuel.
L'ultime problème
se présenta sous la forme d'un pantalon qui avait tellement rétréci au fil des
ans que Nono fut incapable de l'enfiler. Comme on était à H moins dix minutes,
on résolu de s'en passer : Nono étant cadré pleine face et gros plan, le
problème était résolu.
Tout se passa
admirablement bien. Installé sur le canapé, l'ordinateur sur la table de salon,
Nono, d'abord un peu crispé, se détendit, et les échanges avec ses trois
partenaires furent d'un niveau fort correct.
Mis en confiance,
Nono n'hésita pas à dévoiler le fond de sa pensée, qu'il exprima en une phrase
concise, précise et efficace :
- Ça fait des années qu'on nous prend pour des
cons, et voilà qu'aujourd'hui on nous
lèche frénétiquement le cul.
Deux substantifs
robustes en une formule parlante… Concis quoi…
Ayant ainsi
synthétisé sa pensée, Nono trouva la suite du débat très insipide, et s'en
désintéressa passablement…
D'autant qu'il
fut distrait par Grominou venant aux nouvelles, le poil soyeux et la queue
droite, avide de caresses.
Tandis qu'à
l'écran un pompier tirait ostensiblement la couverture à lui, réduisant le
corps médical à un fonctionnariat laborieux,
Nono grabota le chat derrière les oreilles, comme il aimait.
Pendant que le
maire du bled expliquait qu'il avait sauvé de la mort tous ceux qui avaient
voté pour lui et même, quelle grandeur d'âme, ses contradicteurs, Nono grattait
le ventre du tigre qui s'était couché sur le dos.
Puis silicone
Valé prit la parole afin qu'on puisse contempler ses investissements, et
Grominou, repu de caresses, alla s'allonger sur la table du salon, derrière
l'ordinateur.
Inoccupé de ses
doigts, Nono s'en fut chercher quelque chose à gratter et tomba sur ses
coucougnettes, un peu serrées à son goût dans le slip, pourtant assez lâche,
qui les abritait.
Mais Grominou avait, modérément mais suffisamment,
incliné l'écran et la caméra, pour que le sujet principal devienne l'entrejambe
de Nono : c'est donc un simple problème technique qui bousilla la glorieuse prestation de Nono...
Pan sur le bec.
Suite à sa
fulgurante prestation télévisuelle, Nono est devenu une vedette. Dans son
quartier.
Confinement
oblige il ne voit heureusement pas grand monde, mais ceux qu'il croise ont
désormais le même regard que la factrice…
Comment
pourraient-ils deviner que sa notoriété va devenir nationale ?
Son expression
franche et concise eut l'heur d'intéresser quelques personnes. La vidéo tournée
par le canard local fut relayée, heureusement amputée de son bonus
testiculaire, et tomba dans l'oreille d'un des ces amuseurs qui font leur miel
des déclarations colorées dans ce monde grisâtre.
La collaboratrice
qui contacta Nono se fit bien évidemment passer pour une journaliste, ce qui
n'était que demi-mensonge puisqu'elle en possédait effectivement quelques séquences
ADN, particulièrement celles du morpion et
du corbeau précédemment évoquées dans ce brillant ouvrage…
Nono se laissa
donc embobiner une seconde fois, la fierté le disputant sans doute à la soif de
revanche.
Madame Nono prit
la chose très au sérieux et mit en place un plan totalement verrouillé, mettant
la future prestation à l'abri de toute surprise.
Le studio de
diffusion migrerait dans le bureau de Nono, afin d'écarter toute possibilité de
filmer en dessous de la ceinture. L'écran serait parfaitement calé et réglé, et
le félin cinéaste serait prié d'aller s'occuper des souris dans le garage, et
exclusivement dans le garage. Fermé. A clef. Barricadé.
La tenue
vestimentaire de Nono fut revue, et il fut cette fois muni d'un pantalon, de
chaussettes et de mocassins qui, si par extraordinaire l'image montrait le
sujet en pied, ne viendraient pas défrayer la chronique par des digressions à
caractère pornographique…
Le mouflet fut
reconduit sans son rôle de décorateur, avec pour consigne qu'un bureau doit refléter
l'esprit de son propriétaire. Muni de ce fil conducteur, il eut carte blanche
pour sa mission. On lui confia le soin de choisir photos et accessoires à répartir dans le décor.
Nono fut briefé
par un assistant sur les éléments de langage, et en conclu benoîtement qu'il
avait carte blanche pour exprimer sa
pensée concernant le traitement de la race des soignants avant et pendant
l'épidémie. Il était bien conscient qu'il allait faire le guignol, mais il
estimait que s'il se dérobait, personne ne tiendrait ce discours à sa place.
Une sorte de sacerdoce, quoi…
Le jour J, madame
Nono passa les troupes en revue et inspecta le matériel.
Sur le bureau
étaient disposés quelques livres et quelques crayons dans un pot : cucul,
classique et sans risque. La lumière viendrait de face, évitant de transformer
le nez du sujet en sommet montagneux au coucher du soleil, les fenêtres
seraient fermées pour éviter tout bruit parasite, les téléphones resteraient
loin et éteints.
Derrière Nono,
l'endive avait composé un patchwork de photos représentant Nono dans sa vie
professionnelle, mais aussi dans ses loisirs ou ses voyages.
Un plan
infaillible.
Moteur.
Tout se déroula à
merveille.
On était entre
gens respectueux et Nono dosa habilement petites piques et humour : on parlait
quand même d'une épidémie assez ravageuse…
Les échanges
furent cordiaux, parfois houleux mais toujours respectueux, au point que
l'amuseur s'emmerdait ferme, lui qui aimait que le monde s'écharpe et s'invective.
Il tenta bien de
mettre de l'huile sur le feu en incitant Nono à faire un numéro un peu plus
vigoureux, mais Nono resta parfaitement maître de lui.
Comme s'il avait
décidé de lui bousiller son spectacle…
Après plusieurs
tentatives de mise à feu avortées, le vendeur de pubs, fou de rage, rendit
Nono responsable du ratage complet de son émission. On veut rire gras, choquer le bon peuple, et
faire le buzz, et voilà que l'autre, qu'on invite juste pour le voir casser la
baraque, nous la fait bien sage…
Vint enfin la
conclusion, pendant laquelle chacun pris sobrement la parole, sans se la péter
ni dénigrer personne !
Un fiasco
complet…
Mais…
Mais lorsque Nono
en arriva à sa conclusion, l'opérateur, bien déçu lui aussi par cette bande de
bien élevés, repéra une photo, derrière Nono…
Il l'étudia et
sut qu'il tenait sa vengeance !
La photo avait
été prise lors d'un bivouac, en plein désert. On y voyait quatre gars hilares
derrière une rafale de bouteilles dont le contenu avait visiblement disparu
dans leur système sanguin. Nono y apparaissait hurlant et brandissant un
litron…
Alors, pendant
que Nono concluait, l'opérateur commença à flouter son visage, dériva lentement
vers la photo, et finit par faire le point sur cette scène, pile à la fin de
l'intervention de Nono.
Le salopard en
chef jubilait et s'apprêtait à éclater
Nono avec une des vannes dont il avait le secret, lorsque Nono, qui avait
observé le manège, le devança.
Visiblement très
ému, il s'adressa aux salopards :
- Je vous
remercie d'avoir choisit cette photo. Elle a une très grande importance pour
moi…
L'autre,
contrairement à son habitude, la boucla : il existe bien un réflexe de survie
chez ces primates…
Et il fit bien :
- C'est une photo
de mon père, articula péniblement Nono,
il est décédé hier soir du coronavirus.
La minute écononomique.
Quel ordure ce
Nono quand même : faire pleurnicher sur la mort de son père pour moucher un
imbécile !
Outre le fait que
moucher un imbécile fait partie des grands plaisirs de la vie, j'en connais
qui, pendant leurs études secondaires, ont fait mourir une bonne douzaine de
grand-mères pour cause de devoirs en retard…
Je vois des
rougeurs apparaître…
Et puis l'époque
est quand même aux ordures, non ?
Certains se
rincent le cerveau devant une télé 24/24 et 7/7, applaudissent à huit heures,
puis vont glisser un mot dans la boîte à lettre de l'infirmière du cinquième,
lui conseillant vicieusement de déménager pendant cette période.
Certains se sont
mis à la boxe, et s'entraînent régulièrement sur leur femme.
Certains
arnaquent les pharmaciens à coup de masques qui n'existent pas.
Certains écrivent
des trucs débiles et les infligent quotidiennement à leurs victimes.
Et puis…
Et puis il y a
les vraies Grosses Ordures qui, comme leur nom l'indique, continuent à exercer
leur occupation favorite et, oh combien, rentable : nous ravager la planète.
Car, à la
question récurrente " ce monde va-t-il changer ?" Nono l'ordure a sa
réponse :
- Sûrement pas…
C'est à partir
d'un minuscule indice qu'il s'est forgé cette conviction, un fait banal, totalement
passé inaperçu, quasi invisible.
Explication.
On sait le monde
gouverné par le fric, le flouze, le blé, l'oseille, la fraîche, le pognon, le
pèze, les biftons.
On sait que les
temples de cette religion s'appellent les bourses, et leurs icônes les marchés
boursiers.
On sait que les
grands prêtres s'appellent des économistes.
Définition : un
économiste est un type qui t'explique magnifiquement, le lendemain, pourquoi il
s'est trompé la veille.
Démonstration :
Imagine que tu
marches, tu te prends un poteau pleine face, bong, sur ton pif. Ça peut
arriver…
Imagine ensuite
que tu continues à marcher et que tu te goinfres un autre poteau, bing, sur ton
pif encore.
Ça, c'est de la
mathématique : si tu te déplaces sur une droite d'un point à autre et qu'un troisième point se situe sur
ta ligne, tu vas le rencontrer.
La Mathématique
est une science.
Imagine encore
que, au lieu de marcher, tu te mettes à courir…
On se dit :
- Holà, déjà en
marchant il gère pas trop, ça va mal finir l'histoire…
Effectivement, tu
te prends encore un gadin, bouf, sur ton pif, encore plus sévère parce que tu
avionnais plus vite…
Ça, c'est de la
physique : plus ta vitesse est grande, plus le choc est violent.
La Physique est
aussi une science.
Imagine enfin que
tu continues comme ça pendant des années : courir, bing, courir, bong, courir,
bouf, etc…
Ensuite tu ériges
cette pratique en une science, que tu l'appelles "l'Economie"…
Ben on en est là…
pense Nono… On vient de se prendre un super gadin pleine tronche, on est encore
par terre, mais on va se relever très vite pour recommencer à pédaler comme des
tarés jusqu'au prochain poteau.
Nan tu penses, on
peut pas être aussi stupides !
Si.
Le tout petit
indice, le fait banal, quasiment invisible, tient en une toute petite phrase,
évidemment prononcée par un des grands prêtres :
- Dès la mise au point d'un vaccin, les
marchés vont rebondir.
Auto-prédiction.
C'est comme ça
que ça s'appelle…
Processus : un
grand prêtre, "croit"
que le marché va rebondir dès que la mise au point d'un vaccin sera annoncée.
Or nous possédons actuellement des millions d'actionnaires crétins, désorientés
et aveugles qui sont pendus aux lèvres de n'importe quel gourou, leurs grosses fesses serrées sur les - 40% qu'ils viennent
de se prendre dans le fondement. Ils
gobent évidemment cette prophétie, parce que pour eux, c'est çà ou sauter par
la fenêtre du vingtième étage…
Et donc, dès
qu'on annoncera la bonne nouvelle, ils fonceront de nouveau !
Et la prophétie
se réalisera… Auto prédiction…
Le mot important
c'était "croit".
Il se trouve que
le verbe "croire" est juste l'inverse du verbe… "savoir"…
Soit tu dis :
- Je sais que 2
et 2 font 4. Et basta. C'est de la mathématique.
Soit tu dis
- Je crois que 2
et 2 font 4… ce qui signifie que tu n'en sais foutre rien… c'est donc
simplement une croyance, et tu ferais mieux de la boucler…
Mais l'économiste
ne la boucle jamais. Jamais. Donc, avec l'économie on est dans la croyance,
voire dans la religion, et surtout pas dans la science…
Même si les
grands prêtres ont réussi à nous faire gober que leur fumisterie était une
science…
Alors voilà, dans
les prochains mois le marché va se relever, pédaler à bloc, et nous… on va
suivre.
Pourquoi ? Parce
que c'est lui qui nous gouverne tiens…
Et donc :
rendez-vous au prochain poteau les gars !
Tu comprends
maintenant que Nono il aille faire du VTT avec des gens normaux qui, même munis
de galons et de pouvoir, savent rigoler et se foutre de ce monde si peu sérieux
?
Nono prend du galon.
Voilà donc Titi,
Grominet et Nono qui délinquantent dans la colline en Vtt. Nono regarde
désormais ses compagnons de façon différente, et, tout en roulant, ils
devisent.
- Vous êtes quand
même des flics spéciaux, fait Nono.
- Tous les flics
sont spéciaux : pour vouloir faire ce boulot il faut être spécial.
- Ah…
- Ben évidemment.
Tu vis dans une société dans laquelle tricher est érigé en valeur suprême, et
tu veux combattre ce système, en étant mal payé, mal vu et en risquant ta peau.
- Tricher…
- Ben évidemment.
Tout est fait pour que tu triches. Déjà quand tu nais : si tu pleures pas on
t'en claque une sur le cul. Dans ta prochaine vie, tu arrives : tu triches, tu
pleures, et tu évites la claque sur le cul…
- Ah…
- Ben évidemment.
Quand tu es gosse : tu dis non, tu t'en prends une. Tu dis oui, tout va bien.
Alors tu triches : tu dis oui. Et tu fais ce que tu veux.
- Ah…
- Ben évidemment.
Ensuite, tu n'es pas bien riche mais tu vas en boîte, avec tes fringues relous
et ta bagnole fatiguée : tu repars à tous les coups avec coquette sous le bras.
Alors que si tu triches, tu loues la bagnole qui flambe, tu mets les fringues
vues à la télé, et tu vas emballer la bimbo qui a les fringues vues à la télé,
le sac et la montre entièrement taillés dans la contrefaçon massive, et
coquette va pouvoir faire du sport…
- Ah…
- Ben évidemment.
Tu arrives pour trouver un boulot et on te demande un diplôme : tu triches, tu
t'en fais un. Et personne ne vérifiera.
- Ah…
- Ben évidemment.
Ou alors t'as pas assez de doigts pour bosser: tu triches. Tu trafiques un peu
: du moment que tu as du fric à balancer, tu seras partout accueilli avec
sourire et cirage de pompe, tout le monde se fout que tu sois honnête ou pas.
- Ah… mais vous
trichez pas vous ?
- Ben évidemment
qu'on triche. Sinon on est des saints : on est entré sans la police, pas dans
les ordres.
- Ah…
- Ben évidemment.
Tout le monde triche. La règle c'est juste de pas se faire pincer.
Sur ces fortes
paroles, ils partent comme des cinglés en le laissant sur place.
- Bah, se dit-il,
ils connaissent le circuit maintenant …
Mais Nono, qui
n'aime pas trop se retrouver dernier, se met lui aussi à avionner gravement.
Sur un bout de
ligne droite il les voit de nouveau. Allez Nono, envoie !
Ils virent à
gauche, Nono se rapproche, c'est une belle piste en descente, avec des whoops
qui te font bien décoller. Trop.
Nono retombe en
travers, les jambes écartées, s'écrase la nouille sur la selle et finit dans un
bosquet d'arbousiers.
- You youille,
grogne-t-il en essayant de remettre le boulier en place.
Il respire à
peine tellement le moindre mouvement irradie son système reproducteur.
Cinq minutes, il
lui faut cinq minutes pour repartir, un peu secoué mais bien décidé à retrouver
les petits poulets.
Quelques instants
plus tard il se sent mieux et, joie, sent qu'ils sont passés ici depuis peu :
une odeur de transpiration les trahi.
Plus Nono avance,
plus l'odeur est prenante : ça transpire fort un poulet !
D'ailleurs ça ne
sent pas le poulet, mais plutôt…. plutôt… le poney !
Ils transpirent
comme des poneys, se réjouit Nono !
Et plus il
avance, plus l'odeur est forte : il se rapproche.
Ça descend
toujours, Nono a bien récupéré, il emmanche sévère, et il sent qu'il revient
vite sur les poneys.
- Les poneys !
rigole-t-il dans sa barbe.
Un virage serré à
droite, Nono est au taquet, pas question de couper, sus aux poneys ! Une belle
bosse, hop, Nono en l'air, sus aux poneys !
Et là, là…
Ah, ça pouvait sentir
le poney ! Nono a tout bloqué mais continue d'arriver très vite sur… des
chevaux !
Oui, des chevaux,
des bourrins, des canassons quoi ! Là, au milieu, impossible de les éviter. Les
deux roues bloquée Nono a le temps de décortiquer la scène.
Ses deux complices
sont là, discutant avec des collègues montés sur des chevaux, une brigade
équestre quoi. Nono en avait entendu parler, mais là il les voit, et il les
voit de plus en plus gros… Il voit le cul d'un des bourrins se rapprocher très
vite, trop vite, de toute façon tout est bloqué, il lui reste juste à attendre…
Bouf !
C'est le bruit
que fait le museau de Nono en s'encastrant dans les fesses du cheval. Bouf,
exactement.
Puis Chlurp !
Comme quand tu
arraches un pansement.
Titi le laisse à peine respirer :
- Tiens, le voilà
justement, fait-il, très sérieux, à
l'adresse de ses collègues.
Aussitôt les deux
cavaliers se mettent au garde-à-vous.
Titi et Grominet
le regardent, sourient, hochent la tête et ferment les yeux.
Les deux gars au
garde-à-vous portent la main au képi et saluent Nono avec un bel ensemble :
- Mes respects,
Monsieur le Préfet.
Nono voit
Grominet qui le fixe et, muet, articule
:
- Tricheur !
Promonono.
Nono le Préfet
commence mollement sa carrière, ne sachant pas qui est sérieux, ou pas :
- Euh….
- Le colonel nous
a expliqué la situation.
- Oui… se lance
enfin Nono, parce qu'un préfet qui roule des yeux et bredouille "euh" sans arrêt
n'est pas très crédible.
- Moi aussi je
fais du sport, dit l'un des gardes, je cours tous les jours.
Ça y est, Nono
est dans la peau du préfet :
- Dans votre
jardin j'espère, lâche-t-il d'un ton sévère.
- Bien sûr,
acquiesce le gars, avec le sourire en coin qui raconte le contraire.
- Très bien, fait
Nono, de l'air du curé dans son confessionnal.
- C'est
quand votre championnat ? demande
l'autre.
Grominet
intervient :
- Dans un mois et
demi, je t'ai dit…
- Ah oui, c'est
sûr qu'il faut pas arrêter l'entraînement maintenant, fait l'autre cavalier.
Et il continue :
- Franchement
Monsieur le Préfet, vous avez raison. Parce que je suppose que vous vous
entraînez depuis un bon moment déjà ?
- Houlà ! fait
prudemment Nono…
- Préparer un
championnat de France, ça se fait pas en trois semaines… Alors tout arrêter …
Pour rien, hein ? Qu'est ce qu'il en a faire le virus que vous rouliez ici, en
pleine pampa ?
En veine de
confidence, il commence à chauffer :
- Je vais vous
dire le fond ma pensée, Monsieur le
Préfet : si on est là avec mon collègue, c'est parce que vous avez signé
l'ordre. Nous, se promener à cheval, on aime plutôt ça. Quand le chef nous a
dit d'aller faire des barrages pour vérifier les papiers, on n'avait pas envie.
Alors on a demandé à venir ici. Le chef
nous a dit qu'il demanderait au préfet, alors moi, Monsieur le Préfet,
je vous dis merci. Et dès que je pourrai je ferai savoir…
- Non, à crié
Nono, non ! Surtout ne dites rien. A personne. Silence. Secret !
Ça commence à
déraper, mais les deux autres imbéciles sont tout sourire.
Usurpation
d'identité, ça va chercher dans les combien ?
Mais l'autre et
lancé :
- Si si, on voit
toujours les préfets comme des gens guindés, tristes, froids. Et vous, là,
franchement vous faites plaisir à voir. Ma maman me disait toujours "si
quelqu'un t'impressionne, imagine le quand il est aux vécés". Et ben avec
vous, c'est pas la peine, on voit que vous êtes humain. Franchement, je suis
fier de servir sous vos ordres, vraiment.
Nono est ravi de
ne pas finir aux chiottes… Il hoche donc la tête d'un air de fausse modestie.
Ce qui encourage l'autre garde qui s'adresse maintenant à Titi et Grominet :
- Vous les gars,
vous avez vraiment du bol : accompagner le préfet qui s'entraîne en VTT, c'est
de la mission XXL !
Puis, à Nono :
- Je vais vous
avouer Monsieur Le Préfet, moi aussi je fais du VTT, et je me suis pas non plus
privé de m'entraîner depuis le début du confinement ! Tous les jours je vais
faire mon petit tour… Et ce coin là, fait-il en montrant tout autour de lui, je
le connais comme ma poche. Alors si vous avez besoin d'un guide… Parce que les
deux là, continue-t-il en désignant les deux poulets, ils doivent pas trop
connaître le coin…
Et là, Grominet,
l'incontrôlable, intervient :
- Ah oui, bonne
idée, hein monsieur le Préfet ?
Nono est partagé…
Partagé entre l'envie d'emplâtrer ce crétin, et la trouille de foirer l'examen.
Parce qu'il s'agit bien d'un examen n'est-ce pas ? Examen de triche, mais
examen…
A-t-il le choix ?
S'il balance tout, quelle sera la réaction des deux gardes, se rendant compte
qu'on les a pris pour des …. glands ?
Alors Nono se
résout à jouer le jeu :
- Excellent, mon cher, excellent !
L'autre, le
"mon cher" lui fait grimper l'égomètre en zone rouge : on entre dans
l'intimité, on va bientôt se tutoyer, et plus si affinité.
Maintenant Nono,
pris d'une soudaine inspiration, va lui faire carrément exploser son appareil !
Tout en enfonçant profondément la tête de
Grominet dans les latrines :
- Et j'espère que
le colonel C……R ici présent, nous fera le plaisir de venir avec son petit frère
Christophe, vous savez, le…
Glouc et Glouc
font les deux gardes, bien en chœur.
Glouc fait
Grominet.
Nono sourit.
Titi rigole.
La gloire de Nono.
Lorsque Nono
arrive à la maison, il est encore tout ébouriffé de son aventure. Son torse est encore bombé, et son casque lui
semble porter les feuilles chêne et olivier de l'autorité et de la paix
publique, dorées et entrelacées, qui décorent la casquette préfectorale. C'est
ainsi qu'il se dirige fièrement vers son garage.
Et croise la
factrice.
Loin de
s'incliner avec humilité devant les ors préfectoraux, elle dévisage bêtement
Nono, puis se crispe comme sous l'effet d'une grande douleur. Elle tord ensuite
la bouche et secoue la tête de droite à gauche, ce qui n'est pas, tu l'auras
remarqué, une attitude très correcte face aux autorités. Puis elle se hausse un
peu pour étudier la visière de Nono, et recule enfin, l'air effaré.
Enfin elle
désigne le casque et, d'une main impérieuse, indique à Nono qu'il mériterait
peut être un petit nettoyage.
Nono s'exécute,
passe la main sur sa visière…
Et ramène du
crottin de cheval.
Fin de
l'intermède préfectoral.
Nono revient donc
sur terre. Il a un petit fils à assumer, et un restant d'autorité préfectorale
collée au fond de son cortex l'incite à remplir sa mission éducative : il va
donc aujourd'hui s'occuper de l'éducation et de l'instruction du mouflet, lui
montrer la rigueur, la droiture, le travail, et toutes ces belles valeurs, qui
lui permettront ensuite de tomber de bien haut.
Il entre donc
d'un pas martial dans la maison, et tombe sur le sujet, accompagné d'un bruit
de chasse d'eau indiquant qu'il vient juste de mettre fin à une longue nuit
réparatrice, il est quand même onze heures…
- Tu te lèves
juste ? questionne Nono, pour qui les portes ouvertes méritent toujours d'être
enfoncées.
- Bah oui… répond
le pilote de chasse les yeux par terre.
- C'est tard.
- Bah oui…
- Moi, j'ai déjà
fait trois heures de VTT, se la pète Nono.
- Bah… ça se
sent… tu pue comme un poney…
Il faut bien
reconnaître… qu'effectivement…
Le môme le regarde
alors, et recule, horrifié.
- Houlà, t'es
tombé !
- Un peu oui…
- Dans la boue !
Nono n'a pas
souvenir d'avoir vu de la boue…
- T'es plein de
boue, là… fait le môme en lui touchant
le visage.
Puis il regarde
son doigt, le renifle, et hurle :
- C'est… c'est…
de la merde, c'est de la merde ! Mamie ! Mamie ! Papy s'est roulé dans la merde
!
Nono va au
miroir. Horreur : il s'est tartiné le visage dans le cul du bourrin…
Alertée par les
cris du mouflet, Madame Nono arrive, et la fait courte : elle hume, tord la
bouche, lève les yeux au ciel et, d'un signe de tête, désigne la salle de bain…
Bon, pour les
belles valeurs, c'est compromis…
Mais la mission
c'est la mission, et Nono, malgré sa précédente expérience, chope le môme et se
lance dans Pronote, le fabuleux logiciel
le l'Education Nationale.
Il faut
reconnaître qu'au bout d'un mois, les choses ont évolué. Certain correspondants
ont totalement lâché prise, balançant leurs recommandations au hasard des
rubriques, d'autres ont profité des vacances pour disparaître des radars, et il
y en a un qui s'est révélé être un grand informaticien, c'est le prof de
physique. Tout bien organisé, tout à la bonne place, impeccable.
Malheureusement,
soit il ne sait plus trop à quel niveau il navigue, soit il travaille avec le
dictionnaire des synonymes pour crypter ses textes…
- Formule une
problématique sur l'évolution de la luminosité des voyants d'une voiture.
Perplexe, Nono
observe l'endive qui croupit à son côté : tellement habitué à baragouiner
n'importe quoi, il donne l'impression que formuler une problématique sur
l'évolution de la luminosité des voyants d'une voiture ne lui posera absolument
aucun problème… Tellement cette génération est rodée à l'enfumage…
Si tu en chopes
un la main dans le pot de confiture, il va t'embrouiller pendant une heure et
te démontrer finalement, que cette main, c'est pas la sienne…. Trop forts. Ils
seront d'excellent commerciaux, capables de vendre de la glace à un eskimo, ou
des lunettes de soleil à des aveugles. Ah ? C'est déjà fait…
Peut être aussi
d'excellents politiciens…
Souvenons-nous
que le monstre est en quatrième, avec un niveau de CE2, et que la soupe pour
chat qui lui sert de cerveau a déjà disjoncté sur le mélange de l'intensité et
de la tension, sur les trucs qu'on ajoute en haut là… euh… oui, les puissances,
et que si tu lui cause des voyants d'une voiture, c'est comme si tu parlais des
êtres humains à un économiste…
Soudain l'endive
observe Nono. Penche un peu la tête, et, totalement admiratif :
- Tu fais
vraiment des trucs incroyables toi…
Finalement, il
est sauvable, ce gosse…
Nono pédale dans le gratin.
Grominet est-il
du genre à se dégonfler ?
Nan.
En conséquence ?
En conséquence,
Nono va poursuivre son ascension républicaine : après son, bref, épisode
préfectoral, il va pédaler avec un ministre.
Si.
Rendez-vous avait
été pris à la fin de la dernière sortie, et les forces, de l'ordre, en
présence, se retrouvent donc le jour dit.
Nono se fait
désirer et, lorsqu'il arrive, est accueilli par ses amis, Titi et Grominet, le
guide-cavalier, désormais juché sur un vélo, et…
Et Sa Majesté le
Ministre de l'Intérieur, flanqué de deux types droit sortis d'un film :
oreillette à l’oreille, crâne rasé, taillés dans de la viande d'assassin, et
vêtus de costards noirs outrageusement bombés à la poitrine, faisant clairement
savoir qu'ils ont la puissance de feu d'un sous-marin nucléaire… Dans les films
les costards sont impeccables, mais les deux tueurs présents dérogent à la
règle, vu qu'ils viennent de se faire cinq kilomètres en courant derrière leur
protégé…
Le protégé
disposant d'un superbe vélo électrique, ils ont aussi un bout de langue qui
pendouille sur leur face ruisselante.
Sa Majesté arbore
une sobre tenue de vélo, un peu malmenée par sa corpulence, et le sourire de
Depardieu dans "Les valseuses" : décontracté du gland…
La présence du
garde oblige Grominet à présenter Nono sous son identité d'emprunt :
- Et voici notre
préfet !
Nono affiche donc
un sourire de préfet, du genre "je viens de m'exploser un doigt avec ce
gros marteau, mais j'ignore la douleur", et, dans un reste de lucidité,
évite de se vautrer dans la très grande délinquance en gardant sagement sa main
sur le guidon.
Un qui se vautre
allègrement, c'est le Ministre, qui fonce sur Nono, lui tend une paluche
énorme, mais cependant gantée, et effusionne sa pogne en lui tenant le coude de
son autre main, visiblement réjoui de rencontrer le spécimen…
Avec un accent
des Alpes de Haute Provence, qu'il gomme ordinairement parfaitement, il
accueille chaleureusement un Nono à la limite du pétage de plomb :
- Vé, le voilà !
Ah p….., fais-nous la photo ! dit-il à son frère, en prenant Nono par l'épaule.
" Dans ses
petits souliers", est une expression courante, qui s'applique, en cet
instant, très exactement à Nono. On pourrait même préciser : Nono aimerait
entrer et même se terrer "dans ses petits souliers"… Au fin fond…
Après cette
effusion, Monsieur le Ministre dévisage Nono :
- P…., tu me
plais toi, il faudra qu'on cause.
Grominet semble
ravi, Titi plisse les yeux, avance les lèvres en cul de poule et tend les deux
pouces devant lui, ce qui semblerait indiquer que tout va bien…
S'ensuit une
discussion très animée entre le Ministre et ses molosses, qui ne semblent
visiblement pas d'accords sur la suite du programme. Ça se termine de façon
péremptoire, conformément au sens de la négociation qui caractérise le sujet :
- Je le sais que
vous êtes des bons, les gars. Mais moi j'avais encore jamais rencontré des gus
qui ne savent pas faire du vélo… Alors si vous voulez continuer à vous ruiner
la santé à me cavaler derrière, vous pouvez. Sinon, vous m'attendez ici
sagement, tiens, là, à l'ombre. On en a pour quoi ? une heure, une heure et
demie ? Voilà. Et basta.
- Allez, roule ma
poule, fait-il à Grominet en guide de conclusion.
Donc, on roule.
Le garde a dû
être briefé, et on n'emprunte que de la piste assez facile. Sa Majesté sifflote
à côté de Nono, Grominet et le garde discutent, Titi ferme la marche comme un
chien de berger.
- Tu as vu, mon
frère, c'est un furieux ! lâche soudain le ministre plein d'admiration.
- Ah ça… opine
Nono, totalement sincère.
- Ça lui a valu
quelques ennuis, parfois… rigole-t-il.
- C'est peut être
pas fini… pronostique Nono.
- Sûr ! Mais
c'est comme ça qu'on l'aime…
Grominet les rejoint
alors :
- Alors mon gros
père, tu la transpires ta vodka, hein !
- Et en plus, il
est con, sourit le ministre : il a pas remarqué que j'ai un vélo électrique…
- Electrique ou
pas, vu que tu passes ton temps le cul dans des fauteuils, tu vas rester derrière
mon gros père ! fanfaronne Grominet.
Et là, juste là,
une montée…
Grominet démarre
comme un démon, immédiatement suivi de son ministre de frère, bien décidé à
relever le défit !
Une dizaine de
minutes plus tard, on fait les comptes :
Titi, qui s'était
érigé en garde du corps, s'est arraché la peau pour suivre, sans succès
d'ailleurs, et il est appuyé contre un arbre, tentant vainement de vomir.
Le garde regarde,
effaré, cette bande de tarés, tout en essayant de faire rentrer sa langue dans
sa bouche.
Sa Majesté, qui à
enfumé tout le monde grâce à la fée électricité, arbore un grand sourire.
Grominet est
crampé de partout et gémit par terre.
Nono arrive bon
dernier pour constater les dégâts.
Et pense que ça
augure bien de la suite…
Le château de Nono.
Après cette
première passe d'arme, les choses semblent claires : ça va saigner !
Grominet
l'indomptable fomente sa revanche…
Nono, qui connaît
bien le coin, pense que la deuxième manche se jouera dans quelques kilomètres :
une longue montée assez technique dans laquelle Grominet pourra faire parler
son expérience, tandis que son rival sera désavantagé par son manque de pratique.
On roule donc
tranquillement pour l'instant, mais la tension est palpable…
Nono a
l'impression que depuis quelques jours il bâtit un immense château de cartes,
et que plus il en ajoute, plus l'édifice devient fragile… Tu sais, l'intuition
du type qui chute depuis le vingtième étage et qui, en passant devant le
premier, dit aux gens qui le regardent :
- Jusque là, ça
va…
Parce que la
situation est quand même un tantinet instable : il se fait passer pour un
préfet auprès du premier ministre, avec lequel il circule en toute illégalité,
en plein confinement, accompagnés de trois représentants des force de l'ordre
totalement barrés du bulbe…
Un qui ne se pose
pas de question c'est Grominet. Depuis sa cuisante défaite il a perdu tout sens
de l'humour et Nono, lui-même grand spécialiste, le voit appliquer à la lettre
toutes les techniques de cette spécialité indissociable de la sortie vélo :
l'intox.
Exemples :
- Se tenir
derrière son adversaire, puis prendre de l'élan et le doubler apparemment sans
effort, avec un petit gimmick du genre "je regarde mes ongles voir si le
vernis est sec…" Cerise sur le gâteau : l'intéressé profère un juron,
voire une simple parole. On freine alors immédiatement, pour bien lui prouver
qu'on allait vraiment plus vite que lui, on sourit, vraiment décontracté, et on
questionne : "tu disais ?"
- Attendre,
toujours en retrait, une petite montée dans laquelle tout le monde se
retrouvera le souffle court. A quelques encablures du sommet, pédaler comme un
taré puis doubler chacun des adversaires en lui glissant une petite parole
d'encouragement, afin de lui faire comprendre que "tu vois, tellement je
force pas je peux encore parler". Très efficace, mais demande une grande
maîtrise du terrain, parce que si on s'effondre avant le sommet de la bosse, on
passe pour le gros loser qu'on est…
- Choisir un faux
plat montant dans lequel tout le monde est obligé de forcer. Se tenir cette
fois à l'avant du peloton, puis choisir une des options suivantes : sortir
ostensiblement sa gourde pour boire / sortir une barre et manger / vérifier,
toujours très ostensiblement, d'une main décontractée que le sac à dos est bien
fermé / sortir son smartphone et photographier le groupe derrière soi après
avoir réclamé des sourires…
Grominet pratique
tout cela à merveille, c'est un pro de l'intox. Malheureusement pour lui ce
groupe est composé, Nono compris, d'un échantillon de population représentatif
de tout ce qui existe de plus blaireau chez l'humain :
- trois flics,
qui plus est pratiquants assidus du
vélo.
- un politique,
qui plus est élu "blaireau de l'année" par l'ensemble de la
profession.
Autrement dit,
Grominet se ridiculise et gaspille inutilement une belle énergie…
Arrive donc le
second test…
Titi, qui s'était
fait oublier jusque là -bonne technique également- pose une mine en bas de la
côte. Par mesure purement vexatoire, personne ne bouge. Message envoyé à
l'intéressé : "même pas peur…"
Le garde, victime
de la hiérarchie, ne joue pas : il lui semble compromettant pour sa carrière de
mettre minables un colonel, un préfet et un premier ministre…
Nono décide
d'adopter la technique dite de "la poubelle".
Elle suppose un
égo assez terne, et une propension aux jeux de hasard : on laisse les winners
se détruire entre eux, et on ramasse tout le monde en gérant son effort. C'est
sans aucun panache, mais permet, en cas de réussite, de faire un grand numéro
de fausse modestie…
Grominet lui,
vient d'opter pour la méthode dite du "Gros Bourrin". Simple et
efficace, elle consiste à débrancher le cerveau et à bourriner jusqu'à ce que
mort s'ensuive.
Bon, ne nous
voilons pas la face : si l'on prend deux frères, et que l'un devient colonel de
gendarmerie et l'autre ministre… on se doute que la distribution de neurones
n'a pas été franchement équitable…
Donc, pendant que
l'un se déchire les cuisses et les poumons, l'autre joue avec le petit bouton
de gauche sur le guidon, permettant de passer de l'assistance "éco" à
la puissance "turbo".
Vingt minutes
plus tard, il faut bien dresser un bilan…
Après que Titi
ait explosé à moitié de la côte, comme espéré par ses fidèles amis, l'homme
électrique l'a dépassé et tranquillement finit premier en haut. Nono et le
garde l'ont suivi au sommet. Bien qu'ils aient souffert dans l'ascension, le
moment le plus douloureux fut celui où ils dépassèrent un Grominet hagard,
poussant son vélo, les jambes totalement raidies par de monstrueuses crampes,
proférant un mélange de jurons et de couinements dignes du film
"Délivrance". Pour les connaisseurs…
Mais la vraie
surprise les attendait encore.
Lorsque le martyr
parvint au sommet, un grand silence régnait. Même son ministre de frère joua
l'apaisement. Pour dire qu'on lui avait quand même préparé une arrivée assez
digne… Nono observait la scène, le garde scrutait ses chaussures, Titi avait la
bouche tordue et des yeux de cocker neurasthénique, et monsieur le ministre
s'avançait vers son frère pour une accolade. Correct quoi.
Mais Grominet
l'indomptable, sans prononcer une parole, pas même un petit juron, enfourcha
son vélo, ignora ses compagnons, et se jeta immédiatement dans la descente.
Titi, inquiet, le suivit aussitôt, ainsi
que le garde, craignant de les voir se perdre.
Monsieur Nono se
retrouva seul avec Monsieur le Ministre…
Début du drame…
Le temps des secrets.
Grominet vient
donc de se jeter dans la descente.
- …'culé ! fait
le ministre, mi admiratif, mi inquiet, mi fâché.
Oui, je sais, ça
fait trois demis, mais n'oublions pas que cet homme est capable de vous
arracher deux doigts et un œil d'un même mouvement…
Nono la fait
sobre, n'omettant cependant pas d'enfoncer une nouvelle porte ouverte :
- L'a les boules…
- …'culé ! répète
l'autre en enfourchant son vélo.
Et il démarre,
plein pot lui aussi, dans la descente de la mort qui tue…
Le vélo
électrique est un outil merveilleux, il permet à des personnes d'une condition
physique moyenne de découvrir des espaces qui leur resteraient inaccessibles
sans assistance.
Voilà pour le
côté positif.
Il a donc permis
à monsieur le ministre "passant son temps le cul planté dans des
fauteuils" comme le lui avait aimablement rappelé son frère, d'accéder
sans trop d'effort au sommet de cette côte.
Le côté négatif
est lié à un principe physique très simple, qui affirme que les côtes sont,
assez souvent, suivies de descentes…
Or, si le vélo
électrique est un merveilleux outil pour la montée, il redevient un banal vélo
pour la descente… Et la descente exige une maîtrise que ne possède pas
forcément un quidam "passant son temps le cul planté dans des fauteuils".
Si le quidam est, de plus, mi admiratif, mi inquiet et mi fâché, un simple
calcul mathématique conclut qu'il a 133% de chances de se vautrer…
Ajoutons à cette
probabilité qu'un ministre a pour habitude de prendre le plus court chemin pour
atteindre son but, et on obtient un chiffre tel que, même avec la meilleure
statistique, il ne peut échapper à la gamelle…
Oui. Parce qu'il
existe dans cette descente, un passage vertigineux, que l'on peut cependant
éviter en faisant un léger détour.
C'est pour cette
raison que Nono s'attelle maintenant à rattraper l'autre furieux avant qu'il ne
se retrouve face au vide.
Vu de derrière,
un ministre sur un vélo n'est guère reconnaissable, mais un type "passant
son temps le cul planté dans des fauteuils", si : il manque, beaucoup, de
souplesse… Nono voit le vélo rebondir de plus en plus haut, et le cul habitué aux fauteuils osciller
avec une amplitude exponentielle, dans tous les sens : ça sent le brûlé…
Arrive un gauche
assez serré : Nono, les dents sur le guidon, effectue un freinage de
Grand-Prix, réussit un intérieur très propre, sort du virage devant le
ministre, freine et agite une main à plat vers le sol, ce que n'importe quel
individu ordinaire interpréterait comme signifiant "mollo mollo".
Question : un ministre
est-il un individu ordinaire ?
Perds pas ton
temps, la réponse est non.
Dommage
d'ailleurs…
Dommage parce
qu'arrive justement le petit raccourci qui t'évite la vertigineuse descente.
L'individu pas
ordinaire, loin de se ranger aux injonctions de Nono, le redouble comme un
furieux, manque donc le raccourci qui sauve, et s'engage, lesté de ses 133%
dans la descente…
Rassure-toi : il
a du bol.
Il a du bol parce
que Sainte Gamelle s'occupe immédiatement de lui, sans le laisser prendre
l'élan qui l'aurait vu finir totalement déchiqueté au pied du mur. Un ministre,
ça sait prendre des décisions rapides : lorsqu'il s'aperçoit que sous ses roues
c'est le vide, il freine des deux en murmurant sa phrase fétiche :
- …'culé…
Fétiche ou pas,
va falloir assumer…
Voici donc quatre
vingt quinze kilos de ministre plus vingt cinq kilos de vélo, ce qui nous fait
un total de… cent vingt kilos, merci, qui… volent.
Jusque là, ça va…
Lorsque
l'équipage touche le sol, les roues sont bloquées, mais pas le ministre.
En conséquence le
vélo s'arrête, mais le ministre continue sa trajectoire : il vole encore.
Jusque là, ça va…
La formation à la
haute fonction publique, si elle prépare à bien des situations scabreuses,
n'inclut pas l'atterrissage sur le ventre en territoire hostile. C'est pourquoi
notre sujet rate totalement cet examen : il touche le sol les deux bras en
avant, ce qui a pour effet immédiat de les refouler vers le bas et vers
l'arrière. C'est ensuite son torse qui prend contact avec le sol, puis le reste
du sujet. Pour la trajectoire elle-même, c'est sans problème puisqu'il vient
d'intégrer une profonde ornière qui va désormais guider le projectile.
Quelques secondes
plus tard la poussière se dissipe et Nono, découvre le spectacle…
Une ornière donc,
dans laquelle est allongé, à plat ventre, Sa Majesté, dans une position assez
peu protocolaire, puisque ses deux bras sont coincés sous son ventre, réduisant
ainsi à néant toute tentative d'extraction autonome… Du genre gros phoque sur
la banquise… Détail cocasse, une petite touffe de romarin orne sa lèvre, un peu
comme un cochon grillé, quoi…
- …'culé,
lâche-t-il afin de prouver qu'il est toujours vivant et que son fétiche ne l'a
pas quitté.
Nono l'enfonceur
de portes ouvertes ne va évidemment pas la manquer :
- Ça va ?
- Une aute
queftion ? murmure l'autre en crachant le romarin.
Puis il tente de
bouger en grognant : habitué aux sangliers, Nono ne peut retenir un sourire…
Il faut aussi
dire que le ministre de l'intérieur n'a jamais autant mérité son nom, depuis
qu'il est encastré dans cette ornière…
Privé de ses
bras, la victime arrive à remuer les pieds, ce qui semble notoirement
insuffisant pour espérer un quelconque retournement de la situation.
- Je vais vous…
commence Nono…
- Grouik, répond
le ministre, évacuant quelques cailloux de sa bouche.
Nono prend alors
les choses en mains. Enfin tente…
Parce qu'il
s'avère que l'ornière est si bien remplie qu'il lui est impossible de passer
les mains sous la victime pour la soulever !
- On est mal on
est mal ! mumure Nono…
Le temps des amours.
Résumons : Nono
est face à un joli cochon de lait de quatre vingt quinze kilos coincé dans une
ornière, et ne peut même pas passer ses mains sur les côtés pour le soulever.
L'animal est
habillé d'une tenue de vélo, laissant espérer une prise possible. Voici donc
Nono, à califourchon sur un ministre en exercice, tentant de lui arracher
successivement son maillot, puis son cuissard…
Mission
impossible.
- Téphone,
murmure la victime.
- J'ai pas de
téléphone, avoue Nono.
- Hon téphone han
ha hoche ! s'énerve l'allongé en remuant
la tête.
Voici donc Nono
fouillant un ministre en exercice… Rien…
- Dans gna poche
! grogne l'autre.
- Nan, dit Nono,
perdu…
Il remonte un peu
la pente à la recherche de l'appareil, sans succès. Il va falloir survivre
seuls… parce que si on les cherche, on ne viendra pas fouiller ici… hors du
circuit prévu…
Nono tente de
soulever les pieds, sans autre effet que de tirer des grognements du blessé. La
seule solution semble donc être de lui faire retrouver l'usage de ses bras,
mais il va falloir pour cela soulager tout l'avant de… du… du ministre…
Nono s'accroupit
alors face à lui, et tente de soulever la tête.
- Gargol !
suffoque l'autre.
- Désolé… gémit
Nono.
Et là, là… un
beau sourire apparaît sur la face du ministre ! Il est même tenté de rire mais
l'opération semble un peu douloureuse pour l'instant.
- Hé bras !
articule-t-il.
- Oui, fait Nono,
on va essayer…
Alors, âmes
sensibles sautez quelques lignes, Nono s'accroupit près de la tête, et fait
ramper ses mains sous le torse du ministre.
- Ouïne ouïne ,
fait la victime en riant à moitié : il est chatouilleux…
Les mains de Nono
s'enfoncent plus en avant, il progresse un peu, ses mains gagnent, il avance
encore.
- Uh euh une hipe
? bredouille l'autre, le nez fourré dans l'entrejambe de Nono.
On ne rit pas :
il s'agit d'une opération de sauvetage !
Nono réussit
enfin à attraper une main, leurs doigts se crochent et rampent maintenant en
sens inverse, jusqu'à ce qu'un appui soit possible. Le mourant réussit alors à
se décoller légèrement du sol.
Vas-y Nono, fonce
!
Nono attrape la
main ainsi libérée, bascule sur le côté,
tire sur le bras et le lève, faisant ainsi basculer le corps dans
l'ornière.
Quelques secondes
s'écoulent, pendant lesquelles divers grognements se succèdent, sans qu'on
puisse précisément les attribuer à un sanglier, un porcelet ou un phoque…
Couché sur le
côté, le ministre dévisage Nono, puis un haut le cœur le traverse. Un autre, et
il commence à être secoué d'un rire spasmodique, qui semble lui procurer autant
de plaisir que de souffrance. Il rit, il s'esclaffe, en tordant terriblement la
bouche sous la douleur, c'est horrible, c'est dantesque, mais Nono est
contaminé, il rit, il éclate, il pleure de rire et finit par manquer de
souffle…
Quelques
contorsions plus tard, ils sont assis côte à côte, les pieds au fond le
l'ornière, et reprennent leur souffle.
En manque
d'inspiration le ministre murmure :
-…'culéculéculéculé…
avec un accent des Hautes Alpes qui sent le mouton.
Il semblerait que
la tenue l'ait assez bien protégé, et que rien ne soit cassé à l'intérieur. Il a
finit de cracher du romarin et du caillou, et tous deux tétinent leurs bidons
d'eau.
- Aqui, li sian
bèn, continue-t-il, sans que Nono comprenne…
- Euh…
- C'est pour dire
que ça va mieux… j'ai eu peur quand même…
Nono lui fait
voir son casque qui a pris un bon pet : l'autre éclate de rire !
Puis il penche la
tête, observe son maillot déchiqueté, et éclate de rire !
Il frotte ensuite
ses genoux incrustés de cailloux, ce qui le met également en joie… Puis il
commence une phrase :
- Ecoute Nono…
S'arrête et
pouffe…
Y'a pas que le
casque qui a prit un pet…
- Ecoute Nono,
reprend le pété du casque en s'efforçant de ne pas éclater de rire, il m'arrive
des trucs louches en ce moment…
Appliquer
l'adjectif "louche" au fait qu'un ministre de l'intérieur se prenne
une gamelle en VTT, à neuf cent kilomètres de son lieu de résidence, en plein
confinement ; peut s'apparenter à une litote…
Foin de litote,
en veine de confidences, il continue :
- Tu vois, je
suis plus très sûr d'être ministre…
Nono se dit que
ce doit être contagieux parce que lui-même ne sent plus très sûr d'être préfet
non plus… Mais il la ferme prudemment.
Toujours à la
limite du fou rire, il continue :
- Tu sais qu'on a
tous une doublure ?
- Euh… couine
Nono.
- Les ministres :
on a une doublure, un sosie, pour nous remplacer aux manifestations peu
importantes, ou trop risquées…
- Glouc …
acquiesce Nono un peu inquiet parce qu'on entre quand même dans le secret
d'état là, non ?
Ce qu'un pet au
casque peut faire, quand même…
- Et ben ma
doublure, il essaie de me piquer ma place.
Okay : science
fiction maintenant…
Il explique que
sa doublure s'est fait choper en boîte, tripotant une blonde qui n'était
évidemment pas la sienne, et engloutissant des litres de vodka gracieusement
offerts par le contribuable. Pour éviter tout problème on a exfiltré le
noctambule directement au ministère, et convoqué le ministre. L'erreur fatale
fut de s'enfermer avec le sosie pour lui passer un savon…
L'autre, munit
d'un culot à côté duquel celui de Trump passe pour un simple haussement de
sourcil, est sorti de la pièce en engueulant le ministre ! Un peu estomaqué, le
Cricri a fait une seconde erreur : il lui
a collé une droite. Maîtrisé par les gardes du corps, on l'a emmené à
l'écart tandis que l'usurpateur se la jouait offusqué. Perdu pour Cricri…
Depuis, personne
ne sait quel est le vrai et le faux….
- Il a même
téléphoné à mon père ! se lamente-t-il,
il sait tout sur moi !
Et là il hurle de
rire… mais tu sais, le rire du type qui se jette dans le vide pour en finir…
Tu connais Nono:
on l'a forcé à manger de la terrine de Saint Bernard lorsqu'il était petit,
alors les missions de sauvetage sont devenues son karma…
Du coup il a les
neurones qui bouillonnent.
L'usurpé murmure
:
- Je suis fatigué
là…
- On va y aller,
fait Nono doucement.
Il remonte les
deux vélos, puis le comique dépressif au sommet de la côte. Le remet en selle,
et on repart tout doucement.
Surveillant
l'accidenté d'un œil, Nono cogite.
Lorsqu'ils
arrivent enfin, les deux cerbères sont au bord de la crise de larmes tellement
ils sont contents de revoir leur protégé. Grominet chope son frère et le
tripote de partout pour vérifier qu'il ne manque pas de morceaux. Le garde et
Titi ressemblent à de vieux ballons dégonflés tant ils ont soufflé.
On rentre
doucement. Soudain Nono s'approche du ministre, et, avec un sourire, lui tape
sur l'épaule :
- J'ai trouvé !
Sièu d'Oulièle.
Le soir même,
petite réunion à la mairie.
Le pseudo
ministre s'est déplacé en urgence au prétexte qu'on a un très gros problème
avec le colonel C……R, ci-devant frère du rival : il menace d'exécuter la
brigade entière si le pseudo ne vient pas lui causer… Le genre d'incident qui
risque de faire tache s'il n'est pas traité rapidement…
Il débarque donc
avec les porte-flingues à oreillettes, et est accueilli par le préfet.
Nono est dans les
coulisses. La ressemblance est telle qu'il doute un instant… le temps de
constater que le nouvel arrivant promène un menton intact, contrairement au
vététiste…
En coulisse se
trouvent également les duettistes, et le ministre déchu.
On frôle la
catastrophe lorsque se pointent les municipaux qui accompagnent le maire : ce sont
les deux gardes équestres ! Sans doute désireux de montrer à leur patron qu'ils
connaissent du beau monde, ils se ruent sur Nono en lui tendant leurs petites
mains et en lui balançant du "Monsieur le Préfet" par rafale.
Le maire, qui
connaît quand même bien son préfet, se met à flotter…
Déjà qu'on lui
explique à dix sept heures que le ministre de l'intérieur et le préfet vont
venir lui faire une petite visite pour le souper, déjà qu'on ne lui donne
d'autre indication que "secret défense", déjà qu'on se renseigne sur
son pedigree en lui demandant quasiment s'il porte à droite ou à gauche…
Si en plus on
brouille ses repères au point d'envoyer un préfet qu'il ne connait pas et
dépourvu des apparats de fonction qui font la dignité du personnage…
Le maire est un
grand échalas de deux mètres, au crâne rasé surplombant de petits yeux de
tueur, profondément enfoncés. Il en est à son cinquième mandat, pour dire qu'il
a déjà connu des situations scabreuses, mais il est présentement si perturbé
qu'il lève un sourcil !
Puis ses beaux
yeux de tueur se posent sur Nono, qui se dit qu'il aurait mieux fait de choisir
baby-foot que VTT…
Une petite
faiblesse dans les genoux, il commence à bredouiller :
- Je vais vous
expliquer….
…cherchant
désespérément de l'aide dans les alentours…
Arrive alors
Grominet qui, dans un salut impeccable, fait péter son nom et son grade.
Un cerveau de
maire fonctionne généralement à une vitesse correcte, et l'intervention de
Grominet fait bon effet sur l'élu, qui demande quand même précisions :
- C……R ?
- C'est mon
frère.
C'est toujours
pareil… Dès que tu te présentes comme assez proche d'une célébrité, tu prends
instantanément une autre valeur aux yeux de ton interlocuteur… Tellement humain
et tellement pitoyable, que les pires escrocs de l'histoire n'ont jamais rien
fait d'autre que d'exploiter cette faille…
Toujours est-il
que l'échalas à écharpe tricolore se fend d'un demi-sourire qui signifie
"bien reçu mon cher ami, nous pouvons donc causer entre honnêtes
gens…"
Et Grominet, du
haut de sa superbe, d'expliquer la situation et le rôle qu'on entend lui faire
jouer. Il semble apprécier le scénario, au point qu'un vrai sourire apparaît au
milieu de son visage d'assassin : ça fait peur…
Tout est en
place.
L'usurpateur
discute avec le préfet.
On envoie le
ministre…
Il est tout
rafistolé, mais ficelé dans un costard à dix mille boules, ça passe…
A sa vue, le
préfet a un petit hoquet, puis il reste la bouche ouverte à faire des bulles.
On voit sa casquette qui va de l'un à l'autre, tandis que ses gants blancs se
tortillent pour tenter d'exprimer son incompréhension.
L'usurpateur a
des nerfs :
- Et voilà de
nouveau notre candidat ! lance-t-il avec son incroyable culot.
L'autre en face a
retenu la leçon : il se garde bien d'emplâtrer l'enflure…
Il garde son air
sérieux de ministre, tout en levant une commissure à l'intention du préfet.
Et puis, derrière
eux, arrive le maire :
- Adiou…
Les sosies se
retournent.
- Me dison Ferdi.
- Adiou, me dison
Christophe, d'oute sies ? Sies d'aqui ? questionne le ministre.
- Sièu d'Oulièle.
- Oulièle ! Siéu
d'Oulièle autambèn !
- Coume vai ?
- Balin-balan…
Et les voilà qui
tapent la discute en provençal : c'est joli, c'est chantant… et ça contrarie
profondément le sosie qui se voit ainsi démasqué…
Eh oui, si tu es
né à Ollioules, tu parles la langue…
Il est question
de "Chiapacan" lorsqu'ils désignent le sosie, qui, lui, fait
maintenant "le gobi",
c'est-à-dire qu'il attend, la bouche ouverte…
Grominet et Titi
s'avancent, avec les tueurs à oreillette, et pêchent le gobi.
Nono respire
enfin.
Le préfet écoute
les explications de Grominet en hochant la casquette, mais on sent qu'il a du
mal à réintégrer le réel…
Un qui n'a aucun
problème avec ce sujet, c'est Sa Majesté
Le Ministre.
Il expédie le
maire et le préfet d'une poignée de main mollassonne, donne des ordres, le
menton levé, les tueurs l'entourent, tout le monde se dirige vers la sortie.
Une petite tape sur l'épaule de son frère, un petit signe de tête à Nono, il
s'engouffre dans le van noir, et disparaît…
- …'culé… pense
Nono.
Les politiques,
c'est comme les poupées gonflables…
Si tu n'en
attends rien, tu n'es jamais déçu…
Fumer le pangolin.
Voici Nono revenu
à l'ordinaire.
Et la fin du
confinement approche.
Ces semaines,
outre qu'elles ont été riches en événements, nous ont rendu le Nono différent
de ce qu'il était.
Il avait
accueilli une endive molle gavée de jeux vidéo et d'écrans de toutes sortes,
qui s'est transformé en ado gazouillant, par la grâce d'une restriction
radicale de l'usage des machines à décérébrer. Téléphone une heure par jour, et
basta.
Une communication
a ainsi pu être établie, et il est devenu capable d'apprendre et retenir
quelques données fondamentales, dont l'absence faisait capoter toute tentative
de progression.
Mais dans quel
état sont ceux qui ont continué le gavage ?
Ben… ils sont
juste à point, finalement…
Son expérience
télévisuelle lui a fait reconsidérer le rôle des médias. Nono a désormais la
sale impression que ces vecteurs ont pour fonction principale de transformer en
spectacle tout ce qu'ils touchent.
La sale
impression que tout ce qui vit de la pub, est vendu à la pub…
La sale
impression que les journaux vivant exclusivement de leurs ventes sont fragile
et précieux.
Sa brève
fréquentation de la haute administration et de l'engeance politique l'a amené à
cette laconique conclusion :
- Les politiques
sont comme les poupées gonflables : si tu n'en attends rien, tu n'es jamais
déçu.
Sur un plan plus
global, le bilan semble, hélas, être le même: grotesque.
Grotesque que les
masques soient inutiles lorsqu'on en manque, et obligatoires lorsqu'on les
vend.
Grotesque la
transformation soudaine des emmerdeurs du service publique en demi-dieux
soignants.
Grotesques les
agités du bocal pour qui cette crise n'est qu'un accident de parcours, et qui
vont repartir de plus belle vers la suivante.
Grotesque d'aller
skier à Dubaï.
Grotesque d'aller
faire les soldes à New York.
Grotesque de
fumer le pangolin pour réveiller coquette.
Grotesques leur
pétrole qu'ils vendent au prix de l'or.
Grotesque leur
pétrole qu'ils te paient ensuite pour les en débarrasser.
Grotesque leur
"loi des marchés" qui vient nous pleurer des subventions quand ils
sont arrivés au bout de leur nullité.
Grotesques leur
shoot au bénéfice net et au CAC 40. L'endive est la preuve que les bonnes vieilles méthodes donnent de
très bons résultats...
Grotesques les
bricolages incessants et approximatifs de dirigeants pétant de trouille
derrière leur arrogance. Pour le bricolage, Nono peut donner des leçons.
Grotesques les
raisons pour lesquelles on s'excite, les priorités finissant toujours par
s'imposer.
Sans oublier
surtout, et pour être parfaitement honnête, grotesque d'oublier que notre
liberté de critiquer n'existe pas partout :
critique
gouv.turquie, critique gouv.russie, critique gouv.egypt, etc… sont des adresses
inconnues…
Et Nono de
conclure, tel le taureau dans La Corrida de Cabrel :
- Est-ce que ce
monde est sérieux ?
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